De l’esprit civique.
Fréquemment, à l’occasion de
faits divers, les médias nous parlent du manque d’esprit civique des jeunes
générations, de l’instruction civique telle qu’elle avait cours il y a quelques
décennies à recréer, du manque de civisme des électeurs qui s’abstiennent de
plus en plus fréquemment. Il semble que cela aille bien au-delà de l’esprit
chagrin de certains anciens qui regrettent le « bon temps » de leur
jeunesse, ce qui est un phénomène connu à toutes les époques. Il semble, il me
semble en tout cas, qu’il y a une défaillance de l’esprit civique... et pas
uniquement des jeunes. J’espère montrer dans les lignes qui suivent, non
seulement qu’elle existe, ce qui est finalement de peu d’intérêt, mais surtout
ses causes.
Et tout d’abord, qu’est-ce que le
civisme, l’esprit civique ?
Toutes les sources que j’ai
consultées semblent converger vers le fait qu’il s’agit d’attitudes « propres
au citoyen », « à celui qui appartient à une cité, en reconnaît la
juridiction, est habilité à jouir, sur son territoire, du droit de cité et est
astreint aux devoirs correspondants. » (cette
dernière citation étant issue du Petit Robert). Il s’agit donc d’un
comportement typiquement social de l’individu en relation avec ses semblables
au sein d’une structure qui peut être la cité, mais aussi ses déclinaisons en
Etat, collectivité territoriale, ou bien encore Patrie.
Les messages que l’on nous délivre
actuellement.
« On » correspond aux
médias ou aux diverses personnes à qui la parole est donnée à travers ceux-ci.
Dans une bien moindre mesure, il peut s’agir également du système éducatif,
aussi bien à travers l’Education Nationale que dans le rôle que les parents
jouent ou sont censés jouer. Même s’il n’y fait pas référence en permanence, ce
système éducatif s’inscrit globalement dans les principes du
« néo-libéralisme » que je désigne dans l’essai présent sur ce site
sous l’expression d’ « ultralibéralisme » qui est moins
hypocrite…
Citons quelques-uns de ces
messages :
-il faut « moins
d’Etat », celui-ci étant supposé apporter tous les maux par les
contraintes qu’il exerce (sur les citoyens, mais aussi sur les
entreprises...) ; il est aussi censé exercer son rôle par l’action de
fonctionnaires aux effectifs pléthoriques, nantis de salaires et de conditions
de travail luxueux, quand on n’insinue pas en outre que ce sont des
fainéants... ;
-en corollaire, ou en préalable
suivant les goûts, on apprend que ce sont « les marchés », donc les
rapports de force, qui régulent la société ; ils doivent réguler les
rapports entre entreprise, mais aussi entre individus (puisque le rôle de
l’Etat doit aussi diminuer à ce niveau), et par voie de conséquence, entre individus
et entreprises (si Mr X. n’est pas d’accord avec l’entreprise qui l’emploie, à
lui d’être plus fort qu’elle et d’imposer l’application de la réglementation du
travail, les inspecteurs du travail, aux effectifs évanescents et les tribunaux
surchargés, survivances temporaires de l’Etat, pourront l’aider dans cette
tâche !...) ;
-l’idée que les impôts et les
prélèvements sociaux sont une monstruosité qui oppresse les individus (et les
entreprises...) est renforcée chaque jour ;
-les hommes politiques répètent à
satiété que les individus doivent être « mobiles » s’ils veulent
travailler... comme si la mobilité créait des emplois alors qu’elle ne fait que
permettre de sélectionner « les meilleurs », en un mot ceux qui
s’inscrivent le mieux dans le Système ; le corollaire en est bien entendu
qu’il faut être mobile au point de vue logement ; l’individu ne doit plus
s’inscrire dans des structures locales pérennes qui pourraient le
sécuriser ; rester proche de sa famille n’est plus une valeur (même si
« La Famille » reste une « valeur sacrée » pour certains
des mêmes hommes politiques et que les mêmes toujours font des cartes de
vacances scolaires destinées à favoriser l’étalement donc les gains du tourisme
au détriment du rapprochement des familles éclatées entre les quatre coins de
la France...) ;
-parallèlement, on apprend aux
enfants dès le plus jeune âge à s’exprimer ; on leur apprenait jadis à
écouter, y compris parfois d’une manière un peu excessive (silence imposé aux
enfants à table dans certaines familles) ; si tout le monde s’exprime pour
mieux « vendre sa salade » et que plus personne n’écoute, vous voyez
tout de suite ce que cela donne ! Nous en sommes là ! La publicité et
le management tel qu’il est actuellement pratiqué en sont des
« sous-produits ».
-etc.
Comment un esprit civique
pourrait-il se maintenir dans de telles conditions ?
Je vous le demande !
A quel Etat, à quelle cité, à
quelle Patrie nos concitoyens (si je puis dire...) peuvent-ils bien se
référer ?
Pour réveiller l’esprit civique, il
faudrait sans doute délivrer un message que je vais esquisser (aux enfants,
mais tout autant aux adultes qui ne sont pas logés à meilleure enseigne et sont
en outre les éducateurs des premiers). Il est totalement antinomique des
messages précédents et donc diamétralement opposé à notre idéologie
ultralibérale :
-il faudrait réexpliquer le rôle
de l’Etat, qui nous fournit des services que nul ne peut fournir de manière
aussi cohérente : protection des individus à travers l’armée et la police,
éducation, santé, etc.
-il faudrait en tirer comme
corollaire le rôle des impôts et des prélèvements sociaux : si l’on veut
plus de protection, la suppression des zones de non-droit, une meilleure santé,
des gens sans emploi mais mieux dans leur peau, des retraités épanouis, il faut
plus d’argent et plus de prélèvements sociaux et non pas moins ;
-il faudrait aussi offrir au vote
des électeurs de vrais choix ; actuellement, dans de nombreux pays dont la
France, les élections principales voient un taux d’abstention croissant et des
votes de deuxième tour extrêmement proche des 50% entre les deux candidats
restants ; au lieu de l’analyse journalistique d’une « France coupée en
deux » entre droite et gauche, il y aurait lieu de se demander si ces
votes équilibrés ne sont pas un pur produit des statistiques : l’électeur
moyen ne voyant pas de vraie différence entre les deux candidats, il y a 50
chances sur cent pour qu’il vote pour l’un ou pour l’autre ; ceci semble
étayé par le fait que lors des élections récentes, lorsque des alternatives
claires ont été présentées, le nombre des votants a aussitôt cru et le résultat
a été sans ambiguïté ; ce fut le cas lorsque le Front National fut présent
au second tour, et aussi lors du référendum sur la constitution européenne ;
dans ce dernier cas, un message clair contre l’Europe ultralibérale (et non
contre la construction européenne) a été délivré ; quel femme ou homme
politique l’a repris à son compte ne serait-ce que parce que nous sommes en
démocratie ; c’est cela aussi l’esprit civique : respecter
l’expression des citoyens même si on ne partageait pas cette opinion au
départ ; nos politiques nous donnent donc un bien piètre exemple de
civisme, eux qui veulent le régénérer chez les autres !
-il est d’un intérêt très faible
de faire ce que l’on fait souvent actuellement dans le cadre d’improbables
cours d’instruction civique, c’est-à-dire d’enseigner les mécanismes de
fonctionnement de nos institutions, locales, nationales, européennes ; à
quoi bon enseigner comment on élit telle ou telle catégorie d’élu si l’on n’a
pas clarifié à quoi servent les institutions ? A quoi bon surtout, si cela
ne fait que mettre en évidence auprès de l’auditoire que ces institutions ne
font rien de ce que le civisme imposerait qu’elles fassent ?
Il faut faire un choix !
Il faut donc trancher entre cet
esprit civique qui s’effiloche et cet ultralibéralisme qui se renforce. Les
deux sont en effet totalement antinomiques : le civisme est le
fonctionnement en société et l’ultralibéralisme recouvre l’individualisme
forcené visant à essayer de s’affranchir des contraintes sociétales. Qu’on y
prenne garde, la disparition de l’esprit civique est une toute petite partie
émergée d’un iceberg gigantesque qui pointe son nez un peu partout sous forme
d’indifférence aux autres, de développement d’un individualisme exacerbé, de
disparition des valeurs morales et de l’honnêteté, etc. Le moins qu’on puisse
faire est de parler de décadence de notre société. On peut aussi parler
d’autodestruction. L’essai présent sur ce site Internet se penche sur ses
causes et je vous y renvoie.
En tout cas, pour ce qui me
concerne, mon choix est fait ! Et le vôtre ? Car il ne s’agit pas de
se cacher derrière son petit doigt pour faire semblant de ne pas avoir vu qu’il
y a un problème et où il se situe !