Ce qu’est la croissance.
Rappelons-le car c’est là le
fondement de tout le raisonnement, ou plutôt de toute la pétition de principe
dans laquelle nous nous enferrons.
La croissance est l’évolution
(positive...) d’un chiffre qui est le résultat de la division du P.I.B.,
produit intérieur brut par l’indice des prix. Quant à lui, « le P.I.B. se
décompose [...] en un P.I.B. marchand et un P.I.B. non marchand. Dans les deux cas
il s’agit d’une somme des valeurs ajoutées (en l’occurence
marchandes et non marchandes) obtenues par les unités de production résidentes
pendant l’année civile... » (R.Granier.
Croissances et Cycles. L’économie en mouvement. Ellipses. Editions marketing.
Paris 1995, ouvrage dont je ne saurais trop recommander la lecture à ceux qui
voudraient approfondir le sujet, la présente simplification outrancière n’ayant
pour seul objet que de montrer où le bât blesse et ce qu’on pourrait peut-être
y faire). La croissance est donc celle de tout ce qui est produit par les
unités de production relevant d’entreprises ayant une comptabilité chiffrée en
valeur monétaire.
Plusieurs éléments essentiels
apparaissent dès cette définition (et sont fort bien analysés dans l’ouvrage
référencé ci-dessus) :
-la
fabrication de matériel militaire est comptabilisée comme croissance ;
-la
reconstruction de ce qui a été détruit par les guerres ou les catastrophes
l’est également ;
-la
disparition de biens consommables obsolètes n’est comptabilisée nulle part (ce
qu’on appelle « amortissements » dans la gestion d’entreprise) ;
-toutes les
activités bénévoles sont exclues de la croissance ;
-en
outre, rien ne précise bien entendu à qui bénéficient les biens qui ont été
produits et, pour prendre un exemple, si les disparités riches-pauvres se sont
accrues ou réduites.
La croissance est donc un
indicateur chiffré sur des bases monétaires concernant tout ce que les
entreprises produisent et rien de plus. On ne saurait le lui reprocher, il a
fourni dans le passé un élément précieux sur l’évolution des sociétés humaines.
Mais de là à vouloir en faire l’INDICATEUR qui décrit toute l’évolution de la
société, de son bien-être, de son bonheur, de son épanouissement, comme
beaucoup, économistes ou non, veulent nous le faire gober, il y a quand même un
très grand pas pour ne pas dire un gouffre !
Le lien entre croissance et
chômage.
Autrement dit, le taux de
croissance est tout simplement un indicateur global d’activité de notre société
qui ne préjuge en rien de la pertinence de cette activité (et qui exclut bon
nombre d’activités bien utiles à ladite société et en inclut des nuisibles…).
Le taux de chômage est tout
naturellement un indicateur d’inactivité lui aussi global. Il ne préjuge en
rien du fait qu’il serait judicieux de produire plus en occupant des gens on ne
sait à quoi. Le problème humain des individus-chômeurs, si douloureux, n’en est
une conséquence que parce qu’il n’est pas traité socialement comme il le
faudrait.
Il suffit de rapprocher les deux
items ci-dessus et le lien entre croissance et chômage devient limpide :
l’inactivité est directement liée à l’activité. C’est une lapalissade !
Si l’on a plus de croissance, on
devrait avoir moins de chômage et réciproquement. Tous les journalistes et les
hommes politiques ont appris cela, s’ils n’ont pas toujours développé ensuite
le raisonnement qui peut seul conduire à résoudre le problème. Il faudrait
plutôt s’inquiéter du fait que, depuis une date très récente, on ait parfois vu
apparaître une croissance sans diminution du chômage (par exemple aux
Etats-Unis avec la guerre en Irak) car cela semble indiquer combien les
chiffres sont actuellement pervertis ; mais ce n’est pas le sujet ici.
Absurdité de la recherche de
croissance actuelle.
Des économistes (on pourra par
exemple consulter R. Granier, cité ci-dessus) ont
montré toute l’absurdité d’une croissance qui n’est « bonne » que si
l’on fabrique toujours plus, par exemple avec une économie de guerre conduisant
à construire beaucoup d’armes et à les utiliser pour détruire, ce qui permettra
d’obtenir de la croissance au moment de la reconstruction. Un excellent (si
l’on peut dire...) exemple historique de ce genre de phénomène est constitué
par Hitler et le troisième Reich. La fabrication outrancière d’armement a
permis de sortir l’Allemagne de la crise de 1929. Les destructions de la
deuxième guerre mondiale ont procuré beaucoup d’activités de reconstruction,
donc de croissance, relayées par la course à l’armement de la guerre froide. La
cause de ce que les économistes ont appelé les trente glorieuses (les trente
années de « prospérité économique » qui ont suivi la fin de la guerre
mondiale) n’est pas à chercher ailleurs. Corrélativement, il n’y avait pas de
chômage... puisque les gens étaient occupés à reconstruire ce qui avait été
détruit, puis à fabriquer, dans le cadre de la Guerre Froide, ce qui servirait
à réaliser les destructions futures...
Il n’y a pas besoin de lire des
manuels d’économie de cinq cents pages pour comprendre cela ! Mais on ne
nous le dit pas pour autant. Pensez-donc, cela remet en cause tout le
fonctionnement de notre société ! Cela revient même à constater que les
sacro-saintes valeurs que sont le Travail et le fait d’Entreprendre n’en sont
plus si elles conduisent à fabriquer et à utiliser des engins de mort ou tout
simplement à piller les ressources de la planète ou à stresser ses habitants.
Rompre la contradiction.
Présentée comme précédemment, la
contradiction saute aux yeux : soit nous réduisons (et même supprimons) le
chômage en « faisant de la croissance », donc des forces de
destructions ou du gaspillage, soit nous développons le chômage et tous les
maux qui l’accompagnent. Entre la peste et le choléra...
En réalité, la source de cette
contradiction peut être présentée sous deux formes qui sont totalement
équivalentes :
-elle
provient du chiffrage monétaire de la croissance qui conduit à ne prendre en
compte que ce qui ressortit au monde économique ; quand vous faites du
sport, que vous jouez ou écoutez de la musique ou que vous lisez ou écrivez,
vous n’apportez rien à la croissance de votre pays, bien au contraire... sauf
si vous êtes un champion, un virtuose ou un écrivain de renom ; en un mot,
que vous générez de l’argent avec cette activité... ; pire encore, lorsque
vous nourrissez des français qui ont faim, par exemple dans le cadre des Restos
du Cœur, vous ne faites pas de croissance car vous êtes bénévoles ; pour
le Système vous feriez mieux d’occuper le même temps à travailler dans une
entreprise, même si celle-ci fabrique des canons ou de la publicité !
-elle
provient tout autant du dénombrement des chômeurs sur leur rôle
économique ; est chômeur un individu qui n’apporte rien au système
économique, même s’il est totalement occupé par des activités diverses qui
peuvent aller jusqu’au bénévolat et s’il est épanoui ; pour bien marquer
cette inféodation de tous les individus au système économique, la condition de
chômeur est le plus souvent présentée comme dégradante et, en tout cas, on
s’efforce de couper les vivres au maximum à ceux qui en relève...
Tout est dit !
Les solutions sautent maintenant
aux yeux, aussi bien sur le rôle à donner à la croissance qu’à celui du
traitement du chômage ! Bien entendu, elles impliquent d’agir sur le
fonctionnement économique (surtout celles concernant le deuxième item)... mais
qui, à part nos grands partis politiques, oserait penser que l’on peut résoudre
un problème sans agir, simplement parce qu’on a compris la manière dont il se
pose ?
En ce qui concerne la croissance, il est bien évident qu’il faut
lui substituer une notion qui ne prenne en compte que ce qu’on veut réellement
développer, en supprimant de cette comptabilité tout ce qui est destructions,
gaspillages, etc. (j’ai assez largement développé sur ce qui devrait être
supprimé en premier dans mon essai et je vous y renvoie pour plus de détail).
Il faudrait aussi y introduire tout ce qui est bénéfique pour notre
société : bénévolat, activités culturelles, artistiques, sportives, etc.
La croissance est un indicateur concernant les Etats. Depuis des décennies, on
nous rebat les oreilles avec la « Réforme de l’Etat », le fait que
celui-ci doit se moderniser, qu’il « doit fonctionner comme une
entreprise ». Or tout chef d’entreprise qui ferait une comptabilité
analogue à celle du PIB et de la croissance aurait toutes chances de faire
faillite rapidement, sinon de se retrouver en prison : comment pourrait-il
ignorer les amortissements et présenter des comptes de résultats qui croissent
avec le gaspillage de ses moyens ? Il n’y a donc finalement rien de
nouveau dans cette « nouvelle croissance » que je propose. Il n’y a
que le constat que l’ancienne notion, qui a bien servi pendant des années à des
finalités qui n’étaient pas celles qu’on lui donne actuellement, est maintenant
obsolète. En outre, point n’est besoin d’une révolution pour cela : rien
n’interdit à un Etat de développer cette nouvelle comptabilité en parallèle
avec l’ancienne pour la substituer le moment venu. Tout au plus cela demandera-t-il
des moyens comptables supplémentaires, mais nous avons une pléthore de chômeurs
qui pourraient être embauchés pour cela... Cela ferait même un petit peu de
croissance en plus !
En ce qui concerne le chômage, il apparaît clairement que c’est
le distinguo entre actif économique et inactif économique qui est vicieux. Il
est important que les gens aient de quoi vivre. Il est important qu’ils aient
un statut social. Il est peut-être encore plus important qu’ils ne soient pas
désœuvrés. Mais, du moment que les fonctions essentielles sont assurées (ce qui
va assez loin dans une société aussi complexe que la nôtre où même l’armée comme
moyen de défense est loin d’être obsolète), qu’ils s’occupent à se dorer
sur une plage, à faire de la philosophie, à faire du bénévolat, à taper dans un
ballon ou à faire des études qu’ils n’auraient pas pu faire sinon est
indifférent. Le problème est donc simplement (si l’on peut dire, il y a du
travail, surtout pour faire évoluer les mentalités...) de changer le statut
social des chômeurs en un statut de personne occupée en dehors du strict champ
économique, de mettre en place les mécanismes économiques de distribution
adéquates (vaste problème que j’ai traité par ailleurs, mais dont la prise en
compte serait fortement impulsée par la mise en valeur produite par ce nouvel
indicateur que serait la « nouvelle croissance »).
En prime, tout cela devrait nous
aider à sortir de notre « culture frelatée » dans laquelle seuls les
champions (en sport) ou les virtuoses (en art) ont le droit de s’exprimer avec
comme seul critère de reconnaissance de cette élite le fait qu’elle est capable
de rapporter de l’argent...