Jeudi 4 septembre 2003
Ténèbres extérieures
Que peut-on rêver de plus beau que les montagnes
autrichiennes sous le soleil ? Le vert des alpages, le blanc éblouissant
des glaciers et le bleu du ciel s’y marient pour vous communiquer leur
imposante sérénité. C’est toujours une joie pour moi de revenir à Obergurgl,
coquet petit village du Tyrol dont les hôtels et les remonte-pentes n’ont pas
réussi à faire perdre le charme ancestral. Tout autour veillent des sommets de
plus de trois mille mètres. La barrière au sud sert de frontière avec l’Italie.
Il y a cinq mille ans, de hardis voyageurs la franchissaient déjà. Ötzi,
l’homme des glaces, retrouvé congelé il y a quelques années, nous en apporte le
macabre témoignage.
Non loin de là,
l’homme moderne a accroché l’une des routes de montagne les plus hautes
d’Europe, passant par le col nommé Timmelsjoch, ouverte seulement dans la
journée et si le temps le permet. Comme on n’arrête jamais le progrès, elle est
à péage. Si l’on n’y risque plus trop d’y mourir de froid, il vaut mieux ne pas
y tomber en panne. Cette route conduit vers le haut Adige à l’histoire
mouvementée et à Meran, curieuse petite ville riche et ensoleillée d’Italie,
regorgeant de fleurs et de décors baroques, dans laquelle tout est d’abord écrit
en allemand avant de l’être en italien..
A Obergurgl, à près de deux mille mètres, on frise la
limite extrême des arbres ; au-dessus, les alpages, la roche, puis la
glace, dominée elle-même par les parois vertigineuses des sommets.
Seule la forêt
d’arolles, pins réputés plusieurs fois centenaires, domine le village. Pour y
arriver, on quitte celui-ci par un sentier longeant une dernière Gasthof. Sur
ses murs, comme sur bien d’autres, une fresque de plusieurs mètres de haut
fraîchement peinte présente une image sainte. « Schütze
uns die Bergsteiger. Hl.Bernhard » « Protège nous autres alpinistes. St
Bernard ». Une fois atteinte, la forêt constitue le dernier havre d’ombre
avant d’entrer dans le domaine cuisant du soleil et des cimes. Une biche et son
faon peuvent s’y rencontrer au détour d’un chemin. Les myrtilles y poussent à
profusion. Dans cet espace protégé, des mains bienfaisantes ont disposé sur
certains arbres des nichoirs, véritables maisons pour oiseaux, en bois, dotées,
comme il se doit, d’un toit à deux pentes. Il n’y manque qu’une fresque de
Saint François d’Assise...
Les alpages
nourrissent des moutons, des chevaux à demi sauvages et le peuple des marmottes
au sifflement suraigu. Les rhododendrons sont ici appelés
« Alpenrose », rose des Alpes. Durant leur courte floraison, ils
inondent l’espace du rouge de leurs fleurs rehaussant le vert de leur feuillage
luisant. Ce n’est pas par hasard s’ils ont donné leur nom à nombre de refuges
et d’auberges de montagne du Tyrol. Dans les creux, des tourbières d’altitude
balancent les plumets blancs de leurs linaigrettes. Ça et là, des rochers ayant
dévalé les pentes vous offrent un siège, au milieu de l’herbe verte ou au bord
d’un torrent. On peut s’asseoir ici et y rêver des heures devant la dentelle
des sommets de glace et de pierre ou le cortège de nuages blancs qui défilent
parfois dans le ciel.
La roche aux
couleurs changeantes recèle, quant à elle, des trésors : des grenats de
réputation mondiale. Chaque jour de beau temps, des dizaines de passionnés partent
à leur recherche. Peu d’élus arriveront dans le Saint des Saints : la
paroi du « Granatenwand », le « mur des grenats ». Comme
autant de rhododendrons pétrifiés, elle recèle de parfaits cristaux de plus de
dix centimètres au rouge profond se détachant sur le vert somptueux de la
roche. Rechercher des minéraux est un sport national que pratiquent nombre
d’autrichiens. Certains y trouvent en outre une activité lucrative qui leur
permet de vivre confortablement. S’il est l’un des plus renommés, le Granatenwand
n’est que l’un des très nombreux gîtes minéralogiques d’Autriche, mais il
n’échappe pas à cette exploitation. Si j’y suis passé quelquefois pour ramasser
les échantillons tombés de la paroi, un homme, surnommé « le yéti »,
y est célèbre pour en faire profession depuis des décennies en grimpant au
« mur » plus ou moins équipé de pitons et de cordes. Là, il abat les
blocs contenant les échantillons convoités puis les descend dans son sac à dos,
le long des mille mètres de dénivellation, chaque jour de météo favorable… sauf
le dimanche, jour du Seigneur. Ce sont des dizaines de tonnes qui ont ainsi été
descendues, nettoyées, exposées et vendues depuis que ce site est connu. La
fascination du grenat égale ici la fièvre de l’or qui sévit dans d’autres contrées.
C’est ainsi que deux chercheurs de grenats se sont déjà tués en tombant de
cette paroi magique. Une plaque les rappelle au souvenir des passants… et les
autres continuent à grimper.
Les glaciers enfin cascadent les uns au-dessus des autres, nourrissant de leurs eaux le chevelu des mille et un torrents qui se fondent dans l’Oetz, rivière tourmentée qui donna son nom à l’ensemble de la vallée. Les glaciers vivent. Non seulement ils reculent depuis des décennies, on peut le constater si l’on revient régulièrement, mais ils s’éboulent aussi. Par un bel après-midi d’été, cherchant paisiblement les grenats au pied du « Wand », vous pouvez soudain entendre un craquement. Le temps de lever le nez et la cavalcade des blocs de glace entraînant des rochers dévale à grand bruit la paroi en face de vous, à quelques centaines de mètres. Un sérac est tombé ; banalité de la montagne pour qui la connaît, émerveillement inquiet pour le néophyte.
La photographie est un art difficile, remarque
naïve : il tombe sous le sens que n’est pas Doisneau qui veut. Mais sans
rechercher vainement un tel niveau, bien des déceptions pavent déjà le chemin
de l’amateur voulant saisir sur le vif la nature sauvage. Que de photos loupées
avant le cliché que l’on aimera montrer… si on l’obtient.
Essayez donc simplement votre talent sur les humbles
fleurs des pâtures. Elles sont légion, toutes plus belles les unes que les
autres pour qui sait les observer, taches de couleur vive au milieu de l’herbe
verte. Pourtant, que de désillusions ! Trop petite, ne ressortant pas sur
le fond, floue car agitée par le vent, floue par manque de profondeur de champ,
pas assez de lumière sur le sujet, trop de lumière… Et quand enfin vous
tiendrez le cliché qui plaît… mais au fait, de quelle fleur s’agit-il ? J’ai
raté la soldanelle, floue, la joubarbe, diluée dans le fond, le sédum, manquant
d’éclairage, mais celle-là ? Celle qui rend si bien ? C’est justement
celle que je n’arrivais pas à trouver dans mes bouquins ! Je l’avais prise
à tout hasard…
Les animaux de la montagne sont encore plus ardus à
immortaliser. Eux n’ont pas besoin du vent pour bouger ! Sans matériel
sophistiqué, vous ne ferez rien. Au minimum, il vous faut un bon gros
téléobjectif, bien voyant ; avec un zoom, c’est encore mieux… et plus lourd ;
quand vous l’aurez, vous devrez le monter vers les vallées sauvages. Vous aurez
ainsi acquis votre titre de frimeur, de paparazzi des montagnes. « Cannes,
ce n’est pas dans cette direction ! » « Les chamois n’ont qu’à
bien se tenir ! » « Vous arrivez encore à respirer avec ça en
bandoulière ? » « Vous l’avez payé combien ? ». Et
pendant ce temps, vous suerez à grosses gouttes en montant le précieux
attirail, fruit de vos économies et cible des railleries, même si elles
sont parfois un peu envieuses !
Ces contingences matérielles dépassées, que d’échecs
encore ! Vicieuse, la bonne grosse marmotte qui a plongé dans son trou au
moment où vous appuyiez sur le déclencheur ? Qu’il était beau, le chamois
rigolard volant de rocher en rocher au nez et à la barbe de votre engin
resté en bandoulière ! Mais pourquoi diable l’autofocus s’est-il réglé sur
l’arrière plan dans le court instant durant lequel vous pouviez admirer cette
biche ?
Et votre entourage qui se gausse ! « Une marmotte,
ce point brun au milieu des rochers bruns ? » « Un papillon,
cette chose aux ailes floues ? » « Et les moutons ?
Pourquoi ne prendrais tu pas un mouton ? Il ferait très joli sur fond de
montagnes enneigées ! » « Un oiseau ? Où ça ? Je ne
vois qu’un gros rocher ! Ah oui ! Le petit truc sur le gros rocher…
Mais oui, il est beau ton oiseau, mon chéri ! J’aurais préféré un
aigle que ce moineau mais tu ne peux prendre que ce qui se présente… »
J’avais appris à mes dépens que la gentille marmotte
devient très vite un animal vicieux aux yeux du photographe déçu. Je m’étais
mis à l’affût plusieurs fois sans succès décisif. Les marmottes semblent
respecter une distance de sécurité : si vous approchez plus, elles sifflent et
plongent dans leur trou. Cette distance paraît toujours trop longue, même avec
un bon téléobjectif ! Si, vous promenant, vous la surprenez, vous êtes souvent
le premier surpris ; elle part alors trop vite pour que vous ayez le temps
de cadrer. Vous armant de patience, vous devez donc vous installer
confortablement, vous intégrer au paysage, et attendre qu’elles veuillent bien
apparaître. Lors de mes premières tentatives, installé trop près des sentiers,
remarquablement balisés et drainant un flot de promeneurs importants, le
passage dérangeait mes sujets, d’où mes échecs répétés.
Ce jour là, j’avais donc décidé de m’éloigner nettement
plus. J’avais choisi une vallée peu fréquentée. Comme le soleil était radieux,
j’avais parcouru un long trajet avant de quitter le chemin et d’aller me perdre
dans les creux et les bosses d’anciennes moraines reprises par l’érosion des
torrents. Quelques marmottes avaient fui en poussant leur sifflement suraigu,
avant que j’établisse mon poste d’observation tout près d’un rocher pour
attendre leur retour dans de meilleures dispositions d’esprit. L’endroit,
entouré de cimes, était vraiment désert. Je n’avais plus rencontré de promeneur
depuis près de trois quarts d’heure et je ressentais un sentiment de liberté
mêlé d’un peu d’angoisse devant tous ces sommets qui pesaient au-dessus de moi.
En montant le chemin, j’avais remarqué en plusieurs
points les traces noirâtres sur le sol, accompagnées d’une odeur fort
désagréable et étrange. J’avais découvert les premières quinze jours avant, en
arrivant de France, au bord de la haute route qui vient du Timmelsjoch. Comme
les autrichiens, habituellement fort respectueux de l’environnement, ont ici
une fâcheuse tendance à ouvrir de nouvelles routes conduisant à de nouveaux
télésièges, j’avais pensé que cette odeur était liée aux travaux. Epandage
malheureux de gaz-oil tombé d’un engin ? Odeur de tourbe de sols remués par les
travaux ? Restes de l’explosif ayant servi à faire sauter quelque rocher
gênant? Je n’arrivais pas à me faire une opinion, pas plus que sur les traces
noirâtres et grasses qui occupaient quelques mètres carrés à la végétation
souillée et desséchée. Mes connaissances limitées en allemand ne me
permettaient guère d’engager la conversation pour savoir de quoi il retournait.
Au demeurant, je m’en fichais! J’essayais simplement de passer vite, malgré le
poids de mon attirail, pour fuir cette odeur âcre aux relents de soufre.
Ce qui m’étonna le plus, ce fut de trouver une zone
semblablement noircie et puante peu avant l’endroit où je m’arrêtais pour me
mettre à l’affût des marmottes. Cette fois, il ne s’agissait ni d’une route, ni
d’un télésiège : j’étais à deux heures et demie du dernier point accessible à
un 4x4. J’avais passé mon chemin en pressant le pas et en pestant contre ces
autrichiens qui ne respectent finalement pas autant l’environnement qu’ils
voudraient le faire respecter aux autres!
Je mis fort longtemps à me fondre dans le paysage au
point que les marmottes se remettent à vaquer à leurs occupations quotidiennes.
L’une d’elle finit cependant par se montrer à proximité. Je commençai à cadrer
ma photo avec une économie de mouvements digne d’un Sioux sur le sentier de la
guerre. Pour bien prendre une marmotte, il ne faut pas qu’elle soit sur fond de
terre, de la même couleur que son pelage. Il faut qu’elle se détache et
« la mienne » se dirigeait vers le sommet d’un petit talus où elle
constituerait le sujet idéal, la marmotte du siècle. Qu’elle était belle et
grasse, se goinfrant pour préparer le long jeûne de l’hibernation ! Son
œil malin regardait de tous côtés tandis qu’elle se dirigeait progressivement
vers l’endroit souhaité.
Dans l’oculaire, j’apercevais ses incisives blanches
comme les névés. Je la suivais de l’objectif, une main sur le levier permettant
d’orienter celui-ci, l’autre prête à mettre en œuvre le déclencheur souple qui
allaient immortaliser ce photogénique rongeur. Plus qu’un mètre, encore
quelques pas de ses courtes pattes. Allez ! Un petit effort ! Et la
rafale de clichés serait prise. Je tournai dans ma tête tous les réglages que
j’avais faits. Ils étaient bons. Je n’avais pas le droit de la louper. Cette
fois, je devais réussir. Elle était trop belle.
Je fis un bond ; et elle aussi, lorsque le
sifflement d’une de ses congénères retentit tout près de moi. En un éclair, ma
marmotte disparut dans son terrier tandis que j’entendais des bruits de pas.
J’étais furieux ! Aller se trouver un coin aussi isolé pour en arriver
là ! Quel gêneur !
L’homme émergea d’une petite butte, à une dizaine de
mètres. Il se dirigea vers moi, me saluant d’un retentissant: « Grüss
Gott », salut qu’échangent entre eux les habitants de la très catholique
Autriche. Il y avait de quoi faire rentrer toutes les marmottes d’Autriche dans
leur terrier. Je répondis de même, et même très poliment. Pourquoi lui en
aurais-je voulu ? Il ne pouvait pas savoir. C’était juste ma scoumoune
marmottesque. Mon interlocuteur se mit à parler très vite. Je lui laissai finir
sa phrase, puis lui expliquai que j’étais français, que je comprenais
l’allemand à condition qu’on ne le parle pas trop vite, et lui demandai
finalement de répéter plus lentement.
Son aspect présentait quelque chose d’insolite. Je
n’aurais su dire quoi. Pourtant, je l’observais tout en parlant. Il y avait
quelque chose qui clochait chez un autrichien rencontré à cet endroit. Il était
grand mais sans plus, d’allure plutôt sportive, ce qui n’a rien d’étonnant en
de tels lieux. Sa tenue était tout à fait standard, trop nette peut-être. Le
pli de son pantalon était marqué comme on en voit rarement en haute montagne.
Ses chaussures de marche étaient nickel, comme si on venait de les nettoyer.
Son chapeau tyrolien, sans être excentrique, n’était pas très courant à cette
altitude et semblait juste échappé de chez un marchand de souvenirs
d’Innsbrück. Il y avait aussi son visage, au teint, bronzé certes, mais presque
marron avec une peau très lisse, pas du tout tannée par les intempéries ; ou
bien peut-être ses yeux noirs, d’une vivacité étonnante, plus vifs que ceux des
marmottes. Il n’avait visiblement pas transpiré comme moi pour venir jusqu’ici.
Il ne portait rien, ni sac à dos, ni bâton, pas même une banane ou une gourde à
la ceinture.
Après que j’aie parlé, l’homme eut un moment de silence,.
Ce fut court, mais plus long que nécessaire pour reprendre lentement ce qu’il
m’avait dit. Avait-il bien compris mon mauvais allemand ? Je m’apprêtais à
reprendre la parole lorsqu’il ouvrit la bouche.
Il s’adressa à moi dans un français impeccable, recherché
même. Il entra directement dans le vif du sujet. Il me priait de l’excuser de
m’avoir dérangé et d’avoir fait fuir, involontairement, le sujet de ma
photographie. Il m’avait vu depuis longtemps car il était lui-même installé non
loin de là. Il était victime d’un petit accident technique, difficile à
m’expliquer, mais il avait bien besoin de mon aide. Si je voulais bien venir
avec lui, à dix minutes de là, je comprendrai tout de suite et cela lui
rendrait un immense service.
Je l’écoutais attentivement, de plus en plus étonné. Il y
avait toujours quelque chose qui clochait et je n’arrivais toujours pas à
savoir quoi. Son léger accent me troublait : il ne me rappelais aucun accent
précédemment entendu, et surtout pas l’accent allemand ou autrichien. Il y
avait comme des sonorités métalliques, pour ainsi dire des vibrations, dans sa
voix. Mais non, seule mon imagination devait travailler. Le français
extrêmement recherché qu’il utilisait m’étonnait également. En fait, son
français était plus un français littéraire écrit que notre langue parlée. Il
« parlait Châteaubriant ou Yourcenar », ce qui étonnerait déjà dans
les rues de Paris, alors, pensez-donc, en plein cœur des Alpes autrichiennes...
De toute façon, il n’était pas question que je refuse :
on ne refuse jamais de l’aide à quelqu’un qui en demande en pleine montagne. Je
lui dis donc que j’allais le suivre et pliai rapidement mon matériel photo que
je rangeai dans mon sac à dos. Adieu marmottes! Puis je me mis sur pied et
partis derrière lui.
Au bout de quelques minutes, nous gravissions une petite
levée de terre quand je commençai à sentir l’odeur étrange que j’avais déjà
remarquée. Arrivé au sommet derrière mon guide, je m’arrêtais pétrifié, et, je
dois bien l’avouer, terrorisé. Devant moi, il y avait une petite cuvette d’une
vingtaine de mètres entourée de talus de trois côtés. Le quatrième était ouvert
dans la direction de parois rocheuses un peu plus lointaines, tant et si bien
que cet endroit était à l’abri de tous les regards, dans une montagne où
presque tous les points sont visibles en vue plongeante à partir d’un chemin ou
d’un sommet.
Mais ce n’était pas cela qui m’avait paralysé. C’était
l’objet métallique au milieu du petit terrain. Il était rond, de plusieurs
mètres de diamètre, posé sur trois pieds dont l’un s’était profondément enfoncé
dans le sol tourbeux. Mon guide se retourna et me dit: « Oui. Il s’agit
bien là de ce que vous autres terriens avez baptisé soucoupe volante. Je n’ai
pas voulu vous le dire avant car vous ne m’auriez pas cru. En tout cas, vous ne
m’auriez pas suivi. Mais je suis seul. Comme vous pouvez le constater, elle
s’est enlisée en partie et j’ai grand besoin d’aide pour la remettre d’aplomb.
Si je décolle dans cette position, les tuyères seront trop près du sol et vont
complètement la détériorer. Si j’appelle une soucoupe de secours de ma planète,
cela va prendre du temps et je risque d’être découvert par n’importe quel
groupe de terriens plus ou moins bien intentionnés, alors que je tiens à la
discrétion et que votre seule aide suffira à me tirer d’embarras.
Je me rendis soudain compte que j’étais totalement
immobile, en train de trembler de la tête aux pieds, alors même que, bien
couvert pour mon affût, et en plein soleil, le froid de l’altitude ne pouvait
en être la cause. Mes idées se bousculaient. M’enfuir n’était pas une solution.
L’être, car j’avais du mal à lui appliquer le nom d’ « homme », qui
m’avait amené ici, semblait tout à fait à même de me rattraper : il avait
grimpé les pentes avec une vitesse peu commune et sans le moindre signe
d’essoufflement.
Mais si je l’aidais, qu’allait-il advenir ensuite de moi?
Il pouvait très bien me faire un mauvais sort pour que je ne trahisse pas sa
présence. J’étais entièrement à sa merci. Par chance, il semblait plutôt du
genre calme et poli. Bien intentionné? Je verrai après! Des idées mineures me
venaient également à l’esprit : cette odeur qui empestait mes narines, c’était
la même que j’avais déjà sentie un peu partout sur les chemins. Il y avait donc
eu de nombreux atterrissages d’engins de ce genre dans les environs. Dire que
j’avais critiqué les autrichiens pour leur non respect de l’environnement !
Mes jambes tremblaient et cela se voyait. L’être, je
préfère décidément ce vocable, me dit de m’asseoir. Il allait m’expliquer un
certain nombre de choses car je n’étais visiblement pas en état de l’aider pour
le moment. Il ajouta, plus pour lui-même sans doute que pour moi, que
décidément, rien n’était simple avec les terriens et qu’il aurait dû s’en
douter.
Il entama alors une longue série d’explications que je
vais tenter de résumer ici. En fait, il m’incita dès le début à l’interrompre
pour poser des questions et je ne m’en privai pas, si bien que ce qui pourrait
passer pour un exposé didactique en lisant les lignes qui vont suivre est en
réalité la synthèse d’une conversation de plusieurs heures.
Tout d’abord, et sans doute pour me rassurer, il précisa
deux choses importantes pour moi.
Il n’y avait absolument rien de secret dans tout ce qu’il
me dirait et que j’allais voir. Bien au contraire, cela ne serait sans doute
pas inutile que j’informe largement autour de moi. Simplement, il pensait que
j’aurai bien du mal à me faire prendre au sérieux par mes congénères, les
terriens, si je leur racontais l’ensemble tout à trac. Je risquais même d’être
pris pour fou et enfermé, sur une des rares planètes où l’on enferme les fous.
J’allais certainement passer un temps important à
l’écouter, puis à l’aider, si bien qu’il n’y avait aucun espoir que je sois
redescendu dans la vallée avant le soir. Ce n’était en aucun cas un problème
car son engin pouvait aussi se déplacer dans le temps et me ramener sur mon
site à marmottes à l’heure où je l’avais quitté. Simplement, n’étant pas
habitué, je me sentirai un peu drôle pendant le laps de temps terrien durant
lequel j’aurai deux existences simultanées, une en train de redescendre dans la
vallée et l’autre, avec lui, à l’écouter et à l’aider. Il ajouta que l’on se
faisait très bien au fait d’exister en plusieurs endroits à la fois, mais que,
comme j’allais bientôt le comprendre, cela était, et devait rester, une
expérience assez rare pour un terrien.
Il va sans dire que de telles affirmations, si simples à
énoncer maintenant en quelques lignes, furent beaucoup plus difficiles à
« digérer » par moi sur le moment. Je ne savais plus trop si je
rêvais, si j’étais la victime d’une mauvaise plaisanterie, s’il me racontait
n’importe quoi pour mieux arriver à ses fins. Tout ce que je savais, c’est que
j’étais en présence d’un humanoïde au ton particulièrement doux, mais ferme et
persuasif, que j’avais devant moi un engin métallique comme je n’en avais
jamais vu, bien difficile à amener ici par les moyens terriens habituels,
surtout pour une simple plaisanterie, et que je pouvais toujours, comme on le
lit dans les romans, me pincer pour m’assurer que je ne rêvais pas. Je finis
par entrer dans le jeu, à moitié hypnotisé par mon interlocuteur, me disant
surtout qu’il valait mieux que j’écoute et que j’assimile ce que j’entendais,
quitte à en faire plus tard l’analyse critique. De toute façon, je n’avais pas
le choix.
Il entra ensuite dans le vif du sujet. Je m’étais assis
sur le talus et lui sur une pierre, de trois quarts par rapport à moi. Je ne
m’attendais pas à le voir sourire ni rire. Pourtant, il commença, en souriant,
par me dire que toutes les explications qu’il allait me donner ne lui faisaient
en aucun cas « perdre son temps », expression terrienne s’il en fut,
puisqu’il pouvait se déplacer dans le temps comme il voulait et que les
connaissances en médecine de ses semblables faisaient, en pratique, qu’il ne
risquait guère de mourir. La condition était d’avoir toujours au moins un
double de lui simultanément, quelque part en sécurité. Par exemple, il avait en
ce moment une autre existence sur sa planète d’origine.
Il m’expliqua ensuite que l’univers comportait de
nombreuses planètes abritant de la vie à divers stades de développement. Les
êtres du niveau intellectuel de l’homme terrien étaient donc légion. Il venait
lui-même sur terre assez fréquemment car il s’intéressait beaucoup à l’étude de
toutes les formes de vie et que la terre était très riche en espèces animales
et végétales. « Dommage que les terriens détruisent tant, »
ajouta-t-il sur un ton de regret, « même pour nous, les voyages dans le
temps ne sont pas aussi faciles qu’il pourrait y paraître et il m’a fallu
remonter les siècles et parfois les millénaires pour retrouver certaines
espèces disparues. »
Il ajouta que, curieusement, la forme de vie supérieure
de toutes les planètes évoluées qu’il connaissait ressemblait assez fortement à
l’homme, pour ce qui est de l’aspect et du mode de fonctionnement physique en
tout cas. Un cerveau, un cœur, un système respiratoire, deux bras dotés de
mains et deux jambes étaient le lot commun. C’était par contre une toute autre
chose pour ce qui concernait le développement intellectuel, et surtout, le fonctionnement
social et les valeurs morales. En ce qui le concernait personnellement, il
n’avait qu’à se grimer légèrement pour passer inaperçu. Il devait aussi
disposer de tout un système permettant de reconstituer les langues pratiquées
par ses interlocuteurs. Cela se faisait assez facilement à partir du moment où
il pouvait se procurer, comme sur terre, à la fois des écrits variés et des
enregistrements des sons correspondants. Il ne fallait pas chercher plus loin
l’explication de la langue très littéraire qu’il pratiquait, et pour laquelle
il présentait ses excuses, tout comme le laps de temps mis par lui à passer de
l’allemand au français. Il aurait pu tout aussi facilement passer au chinois,
au russe ou à l’arabe si tel avait été mon langage.
Mais le cœur du problème n’était pas là. Il trouvait les
terriens désolants, il regrettait d’avoir à le dire. Sur la plupart des
planètes habitées, comme la sienne, les humanoïdes vivaient pour assurer leur
bonheur collectif et la pérennité de leur espèce, de leur planète et des
individus. Sur terre, les gens ne pensaient que lutte, domination, compétition.
Il prit quelques exemples qui me sidérèrent.
Il ne considérait que comme modeste l’exemple de ces
guerres où l’on tue des millions d’individus pour accaparer un territoire, pour
une simple question de susceptibilité mal placée, ou simplement parce que les
autres sont différents et qu’on supporte mal leur existence. Après tout, tant
que nous n’avions pas de système convenable de régulation des naissances, il
fallait bien que nous régulions notre population par des décès. Non ! Il y
avait hélas des choses paraissant mineures mais bien plus graves.
Le plus grave pour lui, c’était le sadisme latent. La
torture, physique et morale, était de tous les temps et de tous les lieux.
Comme exemple, il me raconta qu’un de ses amis était venu sur terre, à peu près
deux millénaires auparavant. Souhaitant étudier l’espèce humaine, comme lui
même étudiait les autres espèces vivantes, il s’était mêlé aux hommes de
l’époque. « Vous savez ce qu’il lui ont fait ? » Me demanda-t-il ex
abrupto. « Vous devriez le savoir, surtout ici, en Autriche »
ajouta-t-il. Sur le moment, je ne vis pas de quoi il retournait. Il m’expliqua
que son ami n’avait eu que des paroles de paix, et pour cause, et que les
terriens avaient trouvé le moyen, suite à des querelles entre eux, de le faire
mourir dans d’abominables souffrances, qu’on infligeait, au demeurant, à des
milliers de personnes à cette époque, et tout particulièrement à des esclaves
car non content d’être sadiques, les humains instaurent des relations de
domination entre eux. Heureusement, l’ami avait un double qui permit de venir
le récupérer rapidement, de le ressusciter au sens terrien du terme.
« Mais cela, ce n’est rien » ajouta-t-il,
« vous ne savez pas le comble? » m’interpella-t-il. Si... Maintenant,
je savais! Je commençais à m’en douter en tout cas, mais je le laissais
continuer pour avoir sa version des faits. « Ils ont trouvé le moyen d’en
faire leur Dieu, et, sous ce prétexte, de mettre partout des reproductions de
l’instrument de torture. Regardez tous les sommets qui vous entourent : il y a
une croix sur chaque. Il n’y a pourtant pas de quoi être fier! »
Et il continua en m’expliquant ce que je savais, mais
n’avais jamais appréhendé sous cet angle. Au nom de ce Dieu, ils en ont torturé
plein d’autres, par des moyens divers, tous plus horribles les uns que les
autres. Ensuite, ils ont mis partout des copies des instruments de torture.
C’est ainsi qu’on trouve en de nombreux endroits, dont les églises, des
personnages percés de flèches, le gril sur lequel on les a fait rôtir vivant à
côté d’eux, portant leur tête à la main ou en train de se faire massacrer à
coups de pierres, d’épée, etc. « Au nom de mon copain qui est si sensuel,
ils ont même été jusqu’à faire un tabou de l’amour physique, une des choses les
plus belles qui existe sur les planètes. Leurs prêtres n’y ont pas droit, et
comme cette privation n’est, pour la plupart des individus, humainement pas
possible, sombrent dans la névrose ou se défoulent comme ils peuvent, en se
cachant ou parfois en contraignant certains de leurs fidèles, femme, homme ou
enfant. Quelle perversion ! »
Puis il passa à autre chose. Il me fit part de
l’étonnement de ses compatriotes lorsqu’ils avaient découvert que, sur terre,
chaque terrien devait obligatoirement consacrer de ses moyens, matérialisés par
son temps et son argent, à tuer d’autres terriens. On appelle ça la guerre et
on entretient des armées pour la conduire à tout moment. Surtout, on invente
des moyens de plus en plus perfectionnés pour anéantir. Après les explosifs, de
plus en plus puissants jusqu’au nucléaire, on avait inventé des poisons
chimiques, puis la mise au point de maladies susceptibles de tuer une
population nombreuse en peu de temps.
Par contre, il n’y a rien d’obligatoire pour participer
au sauvetage des terriens malades ou en difficulté. « Vous pourriez guérir
tous les lépreux de la terre, qui vivent d’horribles souffrances pendant des
années, avec le prix d’un avion qui sert lui-même à bombarder et à imposer
d’horribles souffrances. Vous le savez car il y a eu une campagne d’affichage
disant cela… et vous ne le faites pas! J’ai le regret de vous dire que la terre
est une des rares planètes ou les humanoïdes ont un tel comportement collectif.
Chez nous, la solidarité n’a pas besoin d’être obligatoire pour se développer,
nous consacrons d’énormes moyens pour soigner et améliorer le sort de notre
population, mais aussi de la population de toutes les planètes où nous pouvons
mettre les pieds sans risquer de nous faire massacrer. Enfin, nous ne
fabriquons jamais d’armes. »
J’étais un peu abasourdi mais il se mit à rire.
« Allez, je vais vous donner l’exemple le plus cocasse »
continua-t-il. Pour être cocasse, il l’était. Il m’expliqua que, depuis un
certain nombre de décennies, nous avions inventé la « science-fiction ».
ça, je le savais ! Mais il ajouta
: « Vous vous rendez compte? Elle n’est fondée que sur des guerres
planétaires, des soucoupes volantes et autres engins qui envahissent,
détruisent, ont des armes terrifiantes. Toutes les formes de tyrannie
planétaire ont été inventées. Mais ça n’est pas ça du tout ! J’arrive chez vous
et vous devriez m’offrir le café et venir m’aider, comme l’hospitalité
planétaire le veut… et vous êtes terrorisé au point de ne plus pouvoir bouger.
Les terriens ne fantasment qu’en termes d’agression : agresser ou être agressé,
tuer ou être tué, torturer ou être torturé, dominer ou être dominé !
Comme je suis évidemment le plus fort physiquement, vous ne comprenez pas
vraiment pourquoi je ne vous ai pas encore fait un mauvais sort, et vous êtes
mort de trouille à l’idée que ça va venir !» Il était perspicace mais cela me
rassura un peu.
Il y avait aussi le revers de la médaille. A certaines
époques, moins développées techniquement, lui ou ses amis, débarquant sur Terre,
avaient été pris pour « les forces du mal ».. comme si celles
ci-existaient ailleurs que dans l’imagination d’un terrien ! L’odeur des
soucoupes, assimilée à celle du soufre, avait été prise comme un des symboles
de Satan. Après avoir été pris pour Dieu, pure invention des hommes, il ne
s’agissait après tout que d’un juste retour des choses !
Il me précisa que leurs soucoupes volantes n’étaient en
principe jamais armées car ils ne connaissaient l’existence des armes qu’en
fréquentant de rares planètes comme la terre. Depuis la malheureuse affaire de
Sodome et Gomorrhe, ils avaient cependant de quoi se défendre quand ils
venaient sur ce genre de site dangereux. Comme j’avais un air interrogatif sur
Sodome et Gomorrhe, il m’expliqua que c’était cette vieille histoire de la
Bible. Un équipage masculin de soucoupe était arrivé à Sodome, ville où il n’y
avait que des hommes, alors qu’il n’y avait que des femmes à Gomorrhe. Ses amis
et lui n’avaient rien spécialement pour ou contre l’homosexualité, qu’ils
pouvaient pratiquer suivant leurs goûts. Par contre, sur une planète comme la
terre, où les humanoïdes étaient encore mortels, l’exclusivité de celle-ci
voulait dire la fin de l’espèce, faute de reproduction. Hors les habitants de
ces villes commençaient à faire école.
Mais ce n’était pas cet aspect des choses qui avait posé
problème. Après tout, si les terriens voulaient se saborder, ça n’était pas
vraiment leur problème : ils voulaient bien aider les autres humanoïdes
planétaires, mais ne pouvait pas faire leur bonheur malgré eux ! Non, en fait,
les habitants de Sodome avaient voulu violer l’équipage de la soucoupe, les
« connaître » comme le dit la Bible de manière si édulcorée, écrite
qu’elle est par ces prêtres qui se privent de relations sexuelles. Celui-ci
avait trouvé un expédient en les aveuglant temporairement avec un laser de bord
dont ça n’était en aucun cas la fonction. Finalement, pour donner une chance de
pérennité à l’espèce humaine, ils avaient anéantit les deux villes et leurs
habitants avec une charge d’explosif nucléaire dont la destination première
était de détruire un astéroïde se dirigeant vers une planète habitée. « Ca
a été un des plus beaux gâchis que nous ayons vécu et depuis, nous avons
toujours de quoi nous défendre quand nous venons sur terre » termina-t-il.
Il ajouta, pour me rassurer dit-il, et je compris que, dans sa logique, j’avais
effectivement besoin d’être rassuré à ce sujet, qu’ils étaient arrivés in
extremis pour détruire l’astéroïde, objet de leur mission, mais que celle-ci
n’avait pas échoué. Elle ne le pouvait de toute façon pas, il aurait en effet
suffit d’un petit décalage temporel pour faire en sorte d’arriver à temps.
« Malheureusement, ou heureusement, les rares
planètes où les humanoïdes sont comme sur la terre sont vouées à la
disparition » ajouta-t-il. Je pensais aussitôt, réflexe de terrien, que
lui ou ses amis, terme qu’il affectionnait, devaient les détruire. Je compris
très vite mon erreur quand il m’expliqua que, dès que des êtres aussi sadiques
et agressifs que nous commençaient à maîtriser le tout début des forces
physiques naturelles, pas celles qui font déplacer les soucoupes volantes dans
le temps et l’espace, mais de toutes petites choses comme l’énergie nucléaire,
ils s’en servaient pour se détruire mutuellement et la planète revenait à un
stade pré-humain, avec en prime un beau gâchis dans les espèces végétales et
animales. Nous en étions visiblement tout près, lui et ses amis n’y pouvaient
rien et, au demeurant, n’étaient pas faits pour faire le bonheur d’humanoïdes
qui n’en voulaient pas. En fait, nous leur étions assez indifférents.
Après toutes ces explications, il me demanda si je
pouvais maintenant l’aider à remettre sa soucoupe sur pied. J’étais un peu
rasséréné et j’avais retrouvé mes jambes. J’acquiesçai. Il était déjà tard dans
l’après-midi. Nous commençâmes les travaux. En réalité, même si l’engin devait
être très lourd, il disposait de vérins assez peu différents des crics de nos
automobiles. La tâche était relativement aisée. Il fallait simplement être deux
pour que l’un glisse une grosse pierre plate sous le pied défaillant au moment
où l’autre arriverait à décoller celui-ci du sol à l’aide des vérins, eux-mêmes
calés sur des dalles rocheuses.
En moins d’une heure, tout était rentré dans l’ordre et
mon compagnon m’invita à embarquer. J’étais curieux de voir l’intérieur de
l’aéronef et je fus bien surpris. Il s’agissait plus d’un confortable salon
doté d’une épaisse moquette que d’un poste de pilotage. On n’y trouvait aucun
de tous ces voyants, boutons et compteurs qui encombrent les tableaux de bord
des voitures et encore plus le cockpit des avions. On voyait juste, dans un
coin, un petit bureau surmonté de trois écrans. Rien en tout cas de tout cet
appareillage délirant qui encombre les vaisseaux spatiaux de nos films de
science-fiction. L’appareil se guidait à la voix. Les écrans ne servaient que
pour fournir quelques informations de contrôle et avaient beaucoup d’autres
usages utilitaires, pour communiquer avec d’autres planètes ou soucoupes, et
tout simplement le rôle qu’ont pour nous les encyclopédies et les
bibliothèques, en infiniment plus riche.
Le premier ordre donné fut de fermer la porte. Celle-ci
glissa progressivement. Au moment où elle achevait sa course, un claquement
très violent me surprit dans cet univers feutré.
Je fis un bond et me réveillai en sursaut : quelqu’un
venait de claquer une porte dans le couloir de la « Frühstückspension St
Hoamatl d’Obergurgl » où j’étais hébergé. J’étais bien dans mon lit, au
chaud sous ma bonne couette autrichienne. Dehors, le soleil brillait dans un
ciel sans nuage. Il laissait envisager les plus belles excursions. Dieu merci !
De mon lit, j’apercevais même la croix solidement plantée sur le sommet de
l’Hangerer, mon prochain projet de promenade. Mais quel rêve étrange !
La seule chose qui me turlupine, c’est d’arriver à me
rappeler quand j’ai bien pu prendre ces deux superbes photos de marmotte, au
sommet d’un talus, se détachant sur un névé. Sur la pellicule, elles sont juste
avant les photographies que j’ai prises lors de mon excursion à l’Hangerer.
Mais non, vraiment, je n’arrive pas à me souvenir quand j’ai bien pu appuyer
sur le déclencheur ! La veille, j’étais allé chercher des grenats et n’avait
pris que quelques paysages ; à l’Hangerer, je n’avais pas vu de marmottes.
Et pourtant, ce sont les plus belles que j’aie jamais réalisées. Je les montre
avec fierté à tous mes amis et j’en ai même mise une en fond d’écran de mon
ordinateur, à la place de cette photo d’un bombardier supersonique que
j’affectionne pourtant tellement…