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REFLEXIONS D’UN AGNOSTIQUE
Actualisation du 15 mai 2020 : sans chercher spécialement à justifier mon écrit qui remonte déjà à un certain nombre d’années, je viens de lire le « Journal de l’abbé Mugnier », journal d’un ecclésiastique ayant vécu à cheval sur le XIXème et le XXème siècle. Je trouve, à tort ou à raison, tant de convergences avec ce que je pense que je ne résiste pas à mettre en annexe quelques citations.
Plan
1. Remarque
liminaire
2. Les préalables.
2.1. La grande question : que faisons-nous sur
cette terre ?
2.2. Le cours de ma démarche et la structure du présent
essai.
2.3. Synthèse et intuition.
3. La chrétienté, morale originelle et
dérives.
3.1. Les fondements d’une morale chrétienne.
3.2. Le Message de Jésus.
3.3. Les dérives historiques.
3.4. Les Cisterciens, les Cathares, les Béguins, St François d’Assise,
etc.
4. Des bribes sur les autres religions ou
philosophies.
4.1. Le Taoïsme.
4.2. Confucius.
4.3. Le Bouddhisme.
4.4. Autres croyances. Culte des ancêtres, Hindouisme, Shintoïsme, Animisme, etc.
4.5. Et puis le monde laïc…
5. Conclusion sur l’agnosticisme.
5.1. De l’ « inutilité » de Dieu et des clergés.
5.2. Un fond moral tout à fait essentiel.
5.3. Insertion dans la société et amour.
5.4. A propos de la sexualité.
5.5. Les actions positives.
5.6. A propos des sciences et de la connaissance.
5.7. A propos de l’argent.
5.8. Et le reste…
5.9. Action et méditation.
5.10. Pour terminer.
6.Annexe : citations
du journal de l’abbé Mugnier
Avertissement.
Dans notre monde où pour l’immense majorité, Dieu le Père habite place de la Bourse, j’ai ouï dire que d’habiles spécialistes du marketing avaient récupéré le terme « agnostique » (ou « agnostic », il semble s’agir surtout d’anglo-saxons) pour mieux vendre diverses choses n’ayant aucun rapport, sauf peut-être conflictuels, avec les religions ou la morale. Au risque de paraître ringard, c’est bien à propos de l’agnosticisme en matière religieuse que j’écris… et je n’ai du reste rien à vendre ! Pauvre agnosticisme que beaucoup confondaient déjà, volontairement ou non, avec l’athéisme, alors qu’il n’a rien à voir ! Il mérite bien que je m’y attarde, en étant moi-même un fervent partisan, si ce terme est approprié…
1.Remarque liminaire.
Au moment où je commence à écrire le présent texte, le but que je recherche doit être limpide. Il s’agit dans un premier temps et pour moi-même de mettre au clair un ensemble d’idées que je mûris depuis fort longtemps et qui commencent à cristalliser dans mon esprit à la lumière de lectures récentes.
Dans un second temps, je les mettrai à disposition de tout un chacun, comme je l’ai fait pour mon essai « Le principe de générosité », si quelques conditions impératives sont remplies :
-que cela me semble présenter une utilité pour quelqu’un, c’est la moindre des choses
-que cela n’ait aucun « effet prosélyte », ni positif, ni surtout négatif
-positif ; je ne cherche surtout pas à convaincre ni à convertir qui que ce soit à quoi que ce soit et je ne suis ni un prophète, ni un gourou, ni un représentant d’un culte quelconque ; agnostique je suis, agnostique, j’entends rester ;
-négatif ; je ne veux surtout pas faire douter des gens qui ont une croyance, une foi diraient certains ; je les respecte trop pour cela… tant qu’ils ne font pas eux-mêmes de prosélytisme ! Je ne veux pas non plus risquer de déstabiliser des gens qui ont trouvé une stabilité, parfois précaire, fut-ce dans une secte ou dans l’athéisme ;
-par contre, si cela amène certaines personnes à infléchir leur conduite dans un sens positif, je m’en réjouirai fortement ; si cela amène certaines autres personnes qui n’avaient pas réfléchi à amorcer une réflexion sur ce qu’ils font sur cette Terre, je n’aurai pas perdu mon temps car le fond du problème est là. Etre athée ne me semble pas une position tenable, tout juste un refuge contre l’inquiétude ; je ne veux pas pour autant détruire ce refuge nécessaire à certains, voir à ce sujet l’item précédent. Etre fidèle d’une religion ne me semble pas non plus une solution, on verra pourquoi dans la suite…
Par ailleurs, ma démarche ne s’inscrit pas dans la logique habituelle des clergés, exégètes, historiens des religions, traducteurs des textes anciens, polémistes religieux ou politiques, etc. Elle est même à l’opposé. En effet, loin de rechercher le micro-détail qui va prouver que tel évangile a été écrit avant tel autre, que Jésus a vécu tel épisode rapporté par les évangiles avant tel autre, que la Trinité s’interprète de telle ou telle façon, que les anges sont ceci ou cela, que Lao Tseu a ou n’a pas existé, que la méditation bouddhique doit se dérouler de telle ou telle manière en fonction de l’enseignement de telle ou telle sommité, que la laïcité implique de pouvoir porter ou non un voile ou une burqa ou au contraire d’accepter que des femmes largement dénudées couvrent nos murs sous prétexte de publicité et de croissance,… je m’efforce de réaliser une démarche toute de synthèse. La recherche d’une vision globale, à l’opposé de notre siècle dominé par le dessèchement de l’hyperspécialisation. Il ne s’agit pas de tout détailler pour mieux s’en tenir ensuite aux détails qu’on préfère mais bien au contraire d’appréhender un ensemble, de voir ce qui fédère les messages importants délivrés par les diverses religions ou convictions, d’en tirer enfin les grandes lignes des règles essentielles qui élèvent l’humanité et donc les êtres humains qui la composent. Le résultat est certainement très dur. Je ne suis en tout cas ni le seul, ni le premier à l’avoir mis en évidence…
2. Les préalables.
2.1. La grande question : que faisons nous sur cette Terre ?
L’autruche ???
Nous enfouissons la tête dans le sable, pour ne pas voir que nous allons vieillir puis mourir et qu’il faudrait peut-être se poser des questions à ce sujet. Et encore, vieillir… si nous ne sommes pas victimes prématurément d’une maladie plus ou moins rapide ou sournoise ou d’un accident. Comme nous constituons une société particulièrement imbue d’elle-même, dans ce dernier cas, notre famille, poussée par des avocats, recherchera des coupables qu’elle traînera devant les tribunaux. Pour nous humains, notre « sable d’autruche » sera le plus souvent la recherche d’argent ou de pouvoir, à moins que ce soit la luxure et la jouissance sous toutes ses formes ou encore les quatre combinées… Et soudain, au hasard d’une maladie ou du décès d’un proche, nous prendrons brutalement conscience que nous sommes voués à mourir. Cela nous plongera d’un coup dans le désespoir et la dépression, ou, au contraire, nous nous étourdirons encore plus pour l’oublier.
Il y a bien sûr ceux qui ont répondu, les catholiques, les protestants, les musulmans, les juifs, les bouddhistes, les athées, communistes ou non, … Il y a aussi ceux qui, après avoir beaucoup réfléchi et s’être largement documentés ont répondu qu’ils ne savaient pas… mais qui en ont tiré une morale qui vaut bien celle des autres, en un mot les agnostiques dont je fais partie. En effet, « agnostique » signifie « qui ne sait pas ». Rien à voir avec les athées qui nient a priori l’existence d’un Dieu et avec lesquels nous sommes trop souvent confondus. Je souligne que cette assimilation est faite, soit par ignorance et c’est excusable, soit délibérément. C’est le cas notamment de beaucoup de chrétiens et surtout de catholiques qui ont pris le parti de confondre les deux pour mieux les mépriser ensemble. Il est si facile de dire qu’ils ne sont rien et ne croient à rien ! En termes de propagande et de tactique, c’est tout à fait bien vu…, mais nous ne sommes ni en compétition, ni en guerre ! En termes de tolérance et de « charité chrétienne », c’est une autre histoire sur laquelle je préfère ne pas m’appesantir ! Si je suis souvent horripilé de me voir confondu avec les athées, croyez bien qu’il n’y a de ma part aucun mépris pour ces derniers. Pourquoi y en aurait-il ? Je n’ai rien à prouver ni à « vendre ». Par contre, je trouve légitime que mes idées ne soient pas confondues avec d’autres convictions qui n’ont rien à voir.
Etre agnostique ne prédispose pas à faire connaître cette position de manière tapageuse. Au nom de quoi se livrerait-on au prosélytisme qui fait la force (terrestre) de beaucoup des autres ? A quel titre irait-on crier sur tous les toits que nous avons trouvé La « Voie » et la « Vérité » ? Dans quel but pourrions-nous essayer de l’imposer de force à nos concitoyens ou, « mieux encore», à des peuples pauvres et sans défense que nous pourrions « convaincre » plus facilement en assortissant notre bonne parole de quelques sous dont ils ont grand besoin ? (et au besoin en récupérant ces derniers au centuple en pillant leurs richesses naturelles ou culturelles…).
Et bien si ! Il faut aussi faire connaître notre point de vue. Le faire connaître non pour convaincre mais :
-positivement surtout pour apporter du grain à moudre à ceux qui, comme moi, cherchent à agir et comprendre toujours plus ; pour pouvoir échanger avec d’autres qui ont fait des réflexions analogues ou complémentaires ;
-négativement aussi, hélas, pour offrir une alternative, un espoir, à tous ceux qui ont été trompés ou escroqués par des religions ou des sectes peu honnêtes, à ceux qui n’ont plus vers qui se retourner, à ceux qui se sentent perdus et inquiets, à fort juste titre… ; montrer qu’il existe des possibilités d’appréhender les choses positivement ; leur venir en aide si c’est possible avant qu’ils ne sombrent dans la dépression, les addictions ou les sectes.
Mais en aucun cas pour faire du prosélytisme ! Les agnostiques ne détiennent pas une vérité… pas plus que les autres. Mais nous en sommes conscients et n’avons pas cet orgueil, si nous en avons peut-être d’autres, nul n’étant parfait.... Je ne prétends convaincre personne… J’offre simplement quelque chose, quelque chose en évolution car la recherche doit être permanente. Mais aussi quelque chose de déjà très structuré car j’ai lu et réfléchi longuement. De fait, j’ai réfléchi sans discontinuer depuis plus de cinquante années, depuis une époque où les catholiques me tenaient sous leur coupe comme adolescent influençable et où les communistes offraient une alternative terrestre qui paraissait généreuse… Une époque où je pressentais cependant déjà que ni l’un, ni l’autre ne fournissait des propositions d’actions en accord avec les idées généreuses qui semblaient faire leur fond de commerce…
Ma réflexion étant vouée à être nourrie indéfiniment, je suis aussi preneur de toutes les réflexions qui pourront enrichir la mienne. Il y a beaucoup à faire ! Par exemple, j’ai eu la curiosité bien naturelle de chercher sur Internet les mots « agnostique » et « agnosticisme ». Quelle déception ! Certains articles sont complètement réducteurs et certains semblent avoir le but caché de diminuer les pensées agnostiques aux yeux des « ouailles » qui tenteraient de s’ « échapper » dans cette direction. D’autres visent à récupérer les agnostiques eux-mêmes, soit vers l’athéisme soit vers d’autres croyances. Dans tout cela, je n’ai guère trouvé ce que je cherchais…
En outre, si vous vous adressez à un autre agnostique, vous ne percevrez très probablement pas le même point de vue que le mien. Je ne connais pas de courant agnostique. Mais qu’importe ? Le tout est que cela nourrisse vos réflexions. C’est même une des forces de l’agnosticisme.
2.2. Le cours de ma démarche et la
structure du présent essai.
A défaut d’avoir la prétention de répondre avec certitude à la question : « Que faisons-nous sur cette terre ? », je me suis efforcé de répondre à : « En fonction des diverses propositions faites par les religions et idéologies sur lesquelles j’ai pu m’informer, quel comportement avoir ? » Et là, Ô miracle (que je n’impute à aucun Dieu… mais on ne sait jamais !), je constate que cette question trouve une réponse analogue, sinon semblable, dans de très nombreux cas. Et ça, ça me paraît beaucoup plus fort que de crier sur tous les toits qu’on a trouvé « le seul Dieu » et d’aller faire en conséquence les salamalecs qui s’imposent dans les bâtiments ad hoc, religieux ou laïcs suivant les versions, tout en essayant de manière plus ou moins coercitive d’entraîner les autres à sa suite !… Entendons-nous bien, ça n’est pas moi qui prétends être beaucoup plus fort, c’est la réponse qui me semble sauter aux yeux et qui est très forte. Son application reste très difficile.
Je livre donc ici ma version de cette réponse à ceux que cela pourrait intéresser.
Bien entendu, on m’objectera immédiatement la question de la Foi… Etre fidèle d’une religion implique la Foi et si on l’a, on suit aveuglément les indications données par le clergé. Par exemple, dans le cas des religions chrétiennes, les évangiles semblent clairs sur ce point. Or il n’en est rien ! « Et s’adressant à lui, Jésus dit : « Pour toi que veux tu que je fasse ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je recouvre la vue. » Et Jésus lui dit : « Va ; ta foi t’a sauvé ! » et aussitôt il recouvra la vue, et il le suivait sur le chemin . »[1]. En fait, il s’agit d’avoir Foi en Dieu, en Jésus, dans le Saint Esprit peut-être… et c’est tout ! En aucun cas foi dans un clergé ! Bien au contraire, celui-ci devrait être un modèle d’humilité. En particulier, en aucun cas un membre d’un clergé chrétien ne devrait se faire appeler « Père » ou « Docteur » : « Alors Jésus parla aux foules et à ses disciples, en disant : […] Pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, car vous n’avez qu’un Maître et vous êtes tous frères. Et n’appelez personne votre « père » sur la terre, car vous n’avez qu’un Père, le Céleste. Ne vous faites pas non plus appeler « Docteurs », parce qu’il n’y a pour vous qu’un Docteur, le Christ. Le plus grand d’entre vous sera votre serviteur. Celui qui s’élèvera sera abaissé et celui qui s’abaissera sera élevé. »[2].
Pour ma part, j’évacue cette question de la Foi. Je ne sais si Dieu existe ou non. En me plaçant toujours du point de vue chrétien, je pourrais dire que je m’efforce d’appliquer le premier des Commandements. « Et l’un d’entre eux, un légiste, l’interrogea pour le mettre à l’épreuve : « Maître, quel commandement est le plus grand dans la Loi ? » Il lui déclara : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu avec tout ton cœur, et avec toute ton âme, et avec toute ta pensée. C’est là le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »[3]. Si Dieu existe, le deuxième item étant équivalent au premier, si je m’efforce de l’appliquer au mieux, il ne saurait me tenir rigueur de mon désintérêt pour le premier... Par contre, il pourrait me tenir rigueur des manquements à cette application, ou de mes « turpitudes » propres. Mais ceci est une autre histoire qui ne regarde personne d’autre que moi-même… et surtout pas un membre quelconque d’un clergé auquel je serais censé me confesser !!! En vertu de quoi aurait-il ce droit exorbitant ?
Si l’on reprend la présentation du « Premier des Commandements » par Jésus, on constate que la « première version », aimer Dieu, est un acte de foi bien difficile à appliquer envers une entité que nous ne connaissons pas. Par contre, la « deuxième version », aimer son prochain, est une notion morale. Il s’en déduit immédiatement des règles de comportement, propres à chaque individu, certes, mais qui sont exactement constitutives d’une morale. Je m’en tiendrai là. Une morale est parfaitement accessible à un agnostique, comme elle l’est à un bouddhiste, à un taoïste, à un athée, ou à tout autre tenant d’une religion ou d’une philosophie. Ce que je pense montrer, c’est que les bases de ces morales se rejoignent toutes et rejoignent ce que j’appellerai « le Message » dans la suite.
Je commencerai par déduire ce Message des évangiles pour des raisons culturelles qui me sont propres : je suis dans un pays historiquement chrétien avec une éducation qui en découle. Je serais dans un pays à dominante bouddhiste, je partirais très probablement du Bouddhisme, ou de même pour le Taoïsme ou toute autre religion ou philosophie, mais je prétends que j’arriverais à un résultat très voisin. J’espère vous le montrer.
Au demeurant, je ne suis pas le seul à tirer ce genre de conclusion. Par exemple, Gandhi écrivit : « Tel n’est pas le cas des expériences que je vais à présent relater. Elles concernent la vie spirituelle, ou plutôt la morale, qui est l’essence de la religion. »[4]
Finalement, pour résumer, il existe une dualité foi-morale. Si l’on a une foi, il s’en déduira une morale. Mais cette foi peut-être en un Dieu, voire en des dieux, dans des réincarnations et l’espoir d’arrêter le cycle de celles-ci,… ou dans l’homme tout simplement. Dans ce dernier cas, cela correspond assez bien à ce que pensent les athées qui ont réfléchi. Ils croient au minimum que l’homme est mieux qu’un animal et peut prendre en main peu ou prou son destin. Il s’en déduit effectivement une morale que je qualifierai de « morale laïque ». Ne voyez aucun mépris dans l’expression « les athées qui ont réfléchi ». Cela recouvre tout simplement l’idée qu’on peut se déclarer athée par paresse. Paresse à la fois de réfléchir et également paresse de suivre les instructions d’un clergé quel qu’il soit. Je crains fort que cette position soit celle de nombre de nos concitoyens à l’heure actuelle. Il en va un peu de même pour ceux qu’Hervé Bazin appelait « catholiques quatre fois dans leur vie ». Il en découle bien entendu une absence dramatique de morale et c’est bien ce que nous vivons actuellement. J’attribue cela à l’explosion de l’individualisme liée elle-même à l’explosion de la population humaine sur Terre. On peut tout aussi bien l’attribuer au développement d’idéologies comme le libéralisme, ce qui revient strictement au même. Je ne m’étendrai pas plus là-dessus car ce n’est pas le sujet ici et que je l’ai déjà fait dans l’essai « Le principe de générosité » qui n’a rien de religieux. Ce que j’entends montrer, c’est que la morale qui se déduit d’une majorité de religions et de philosophie est globalement la même. C’est elle que j’ai déjà adoptée en tant qu’agnostique bien avant d’avoir fait tout le travail de lecture et de réflexion qui m’a été nécessaire pour mettre noir sur blanc le présent essai. Elle me paraissait toute « naturelle », bien que peu appliquée dans le Monde où nous vivons…
Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai mûri les idées que je développe ici depuis une cinquantaine d’années, sans changement de fond durant cette période mais toujours avec des enrichissements et infléchissements légers mais permanents. Ma découverte de l’étendue des évènements des premiers siècles du deuxième millénaire, au premier rang desquels l’histoire du Catharisme, m’a donné une nouvelle impulsion, un coup de fouet pourrais-je dire. « Pourquoi tant de turpitudes ? » a été ma première réaction horrifiée. Mais la bonne question était plutôt d’essayer de connaître la « version positive ». Quelles étaient donc ces croyances des Cathares qui les ont conduits à être torturés et massacrés jusqu’au dernier ? Et là, Ô surprise, il m’est apparu que ces gens avaient pour « principal défaut » d’avoir voulu revenir aux sources de l’enseignement de Jésus. Il en fut de même à peu près à la même époque pour saint François d’Assise, dont les disciples furent également massacrés et pour bien d’autres avant et après. En un mot, leur triste sort est imputable au fait qu’ils ont prêché la pauvreté, l’amour du prochain et tout ce qui va avec. Ils ont été massacrés par ceux qui prétendaient être les « descendants spirituels » de Jésus parce qu’ils voulaient revenir à la parole de celui-ci ! Cela mérite qu’on essaie de comprendre !
Je me suis donc plongé dans l’historique de cette période avant de revenir beaucoup plus récemment au Nouveau Testament pour essayer d’éclairer mes réponses à ces questions lancinantes. Par ailleurs l’histoire des « manuscrits de la Mer Morte » m’a apporté quelques idées complémentaires, même si je ne ferai ici aucun développement à leur sujet. Je dis bien l’ « histoire » des manuscrits et non leur contenu. En effet, même ces malheureux manuscrits, pourtant bien anodins vis-à-vis du reste, ont été mis sous le boisseau pendant de nombreuses années car ils risquaient, craignait-on, de déstabiliser peu ou prou les enseignements et hiérarchies cléricales aussi bien de la chrétienté que du judaïsme... Même le contexte archéologique de leur découverte a été largement déformé dans le « bon sens » qui, dans ce cas n’est pas le même pour tout le monde… Cela n’enlève rien à l’intérêt de leur contenu mais il ne cadre guère avec mon sujet et je n’en parlerai pas plus.
Enfin et depuis toujours, j’ai essayé de saisir autant que possible des éléments des autres religions et philosophies. Aussi bien pour les religions chrétiennes que pour ces dernières, j’ai eu beaucoup de difficultés à identifier les messages fondateurs. Les clergés et les puissants de tous les siècles ont occulté les enseignements des Jésus, Lao Tseu, Bouddha et bien d’autres, beaucoup trop durs pour eux. Ils ont toujours préféré imposer, parfois avec une violence extrême, leur propre version des faits, « prêcher pour leur paroisse », dans le sens qui leur demandait un minimum d’efforts personnels en leur rapportant un maximum d’argent ou de pouvoir, le plus souvent complètement à rebours des enseignements en question.
Pour des raisons de clarté de l’exposé, le texte que je présente ici ne suivra pas ce cours de mes réflexions. Puisque je recherche à avoir et donner une vision simple et synthétique, je m’en tiendrai pour ce qui est de la chrétienté à une appréhension chronologique. En outre, comme il faut bien commencer par un bout, ayant eu une éducation prétendue chrétienne dans un pays à majorité supposée chrétienne, tout le début de mon exposé portera sur ma perception de la morale qui se déduit de l’enseignement de Jésus et les dérives par rapport à celle-ci. Je commencerai donc par le Nouveau Testament et tout d’abord le « Message » que je perçois dans les évangiles et les premières dérives. Les Cathares et autres Cisterciens, Franciscains, Béguins, Inquisiteurs, etc. viendront en leur temps comme la conséquence logique que je perçois du déroulement des évènements au cours des premiers siècles. Le lien avec les autres religions ou philosophie, absolument essentiel, viendra ensuite. Pour terminer, je reviendrai à l’agnosticisme en général et à la « morale agnostique » que j’adopte et qui s’inscrit tout à fait dans la lignée des parties positives de ce que j’aurai mis en évidence précédemment.
2.3. Synthèse et intuition.
Il doit être bien clair que je ne fais pas ici œuvre d’historien et encore moins de théologien. Ce serait à la fois hors de mes compétences et à l’opposé de mes choix. Si je cite des évènements ou plus loin des textes et des versets de la Bible ou de tout autre ouvrage, ça n’est pas parce qu’ils sont uniques, qu’ils constituent le point permettant l’exégèse et étayant à eux seuls un raisonnement scabreux. Bien au contraire, c’est parce qu’ils illustrent la généralité, parce qu’il m’a fallu choisir entre tous ceux qui délivraient la même idée, parce qu’ils permettent la vision synthétique qui est mon seul but. Difficile de tout temps mais encore plus à notre époque d’hyperspécialisation !
Sur les sujets que je traite, j’ai déjà trouvé plus d’ouvrages que je ne pourrais en lire en dix vies, tous faisant de l’analyse, entrant dans les « micro-détails » permettant de réfuter les interprétations de l’ouvrage précédent. J’en ai même trouvé qui sont capables de décortiquer en dix pages pourquoi tel mot issu d’une retranscription d’un évangile au deuxième siècle, un siècle après qu’il ait été écrit, puis plus tard traduit du grec en latin puis du latin en français, constitue la clé de voûte qui permet de valider les écrits de tel évangéliste plutôt que de tel autre ! Ou bien encore, des ouvrages expliquant grâce à un savant raisonnement philosophique bourré de citations tout aussi savantes pourquoi Dieu existe, à moins que ce soit pour prouver de manière tout aussi érudite pourquoi Dieu n’existe pas, ou pourquoi Jésus n’a jamais existé… et ainsi de suite… Je ne me sens nullement concerné !
Pour citer un exemple concret parmi des milliers d’autres possibles, j’ai trouvé récemment sur Internet qu’un chercheur aurait montré grâce à de savantes études historiques que Jésus n’a pas pu être crucifié, ce supplice n’étant pas en usage chez les Romains à cette époque. Dans l’approche que je fais, que cela soit vrai ou faux m’est profondément indifférent. Même une mise en cause de l’existence historique de Jésus, que certains n’hésitent pas à faire, ne change rien pour moi au Message qui nous est délivré par des textes que l’on nomme évangiles et qui remontent en gros au début de notre ère. Il en va de même pour tout autre, Laozi (Lao Tseu) par exemple dont l’existence historique est beaucoup plus contestable. Il est à l’origine lui aussi d’un Message qui a ensuite été repris, développé et souvent dévié au fil des siècles. C’est ce Message et ce qu’il en est advenu qui sont intéressants, pas de savoir s’il est l’œuvre d’un homme seul ou de plusieurs. Imaginons dans vingt siècles des mathématiciens qui redécouvriraient l’œuvre mathématique de Nicolas Bourbaki. Quel intérêt pourraient-ils bien avoir à rechercher si ce mathématicien a réellement existé ? En fait, ce nom n’est que le pseudonyme d’un groupe de mathématiciens… mais cela change-t-il une virgule au contenu de leur travail ?
Comme je viens de l’évoquer, s’en tenir à tout ce fatras érudit n’est pas seulement inutile… mais gravement nuisible. Cela occulte en effet l’essentiel, la vision globale, celle qui doit éclairer notre conduite d’homme responsable, conscient et mortel. Par contre, cela ne manque pas d’intérêt au titre de la connaissance que l’homme doit avoir de son environnement présent et passé, pas plus ni moins que les mathématiques, la civilisation égyptienne, l’écologie ou la musique… à la condition expresse de ne pas se laisser prendre au piège d’imaginer que ce sont des raisonnements de ce style qui pourront nous éclairer sur ce que nous devons faire en tant qu’être humain.
Ne cherchez donc pas dans ce qui va suivre les failles d’une logique ou les erreurs factuelles que j’ai certainement commises ici ou là. Cela serait signe que vous n’avez absolument pas compris où je me situe. Je vous livre une appréhension globale à la fois totalement synthétique, intuitive et même « naïve » à la manière d’un petit enfant (voir plus loin à ce sujet ce que je dis des citations correspondantes des évangiles). Vous avez parfaitement le droit d’avoir une vision totalement opposée et la connaître m’intéresserait certainement… Il serait par contre totalement inepte de soumettre le présent texte à une quelconque exégèse ou à une analyse critique détaillée, et cela quand bien même ce serait pour appuyer les vues qu’il développe ! En un mot, dans un siècle où la logique est la seule valeur et nous pourrit quotidiennement la vie, je vous demande de l’oublier un instant pour faire appel à ce qui nous manque tous : l’intuition, la générosité, le ressenti, le pressenti, le « feeling » qui ne sont que des avatars du même processus mental. Et ne prenez pas cela pour une apologie de l’illogique : je la mets dans le même panier que la logique, à consommer avec (beaucoup) de modération ! Il y a des richesses bien plus importante dans l’homme que toutes ces obsessions mathématico-juridico-cartésiennes ou leur négation. Et notez que nous ne sommes alors pas très éloignés de la « foi » même si son objet n’est pas désigné comme Dieu, le Nirvana, le Tao, des dieux, l’Homme ou tout autre objet métaphysique…
3. La chrétienté, morale originelle et
dérives.
3.1. Les fondements d’une morale
chrétienne.
Pour réaliser ces développements, je me suis plongé dans une relecture attentive du Nouveau Testament. Ce que j’y ai lu m’a semblé fort intéressant. De fait, j’y ai trouvé deux choses tout à fait complémentaires :
-tout d’abord, le Message de paix et de générosité que je pressentais
-mais aussi le point de départ des premiers glissements très graves qui devaient conduire aux « turpitudes » que j’ai évoquées à propos des Cathares et à bien d’autres.
Je vais donc détailler tout cela mais commençons par quelques remarques incidentes qui vont éclairer toute la suite.
Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne rentrerai en aucun cas dans le contenu de l’Ancien Testament. Si l’on croit à la pertinence du Message contenu dans le « Nouveau Testament », que j’appellerai « le Message » dans toute la suite, vouloir aussi s’appuyer sur l’Ancien, fort long et complexe, ne peut que brouiller celui-ci. On verra ci-après que la principale pierre d’achoppement de l’application de ce Message réside justement dans le brouillage par une quantité phénoménale d’éléments Ils sont peut-être intellectuellement intéressants mais n’apporte rien que la tentation de s’éloigner de l’essentiel.
Au demeurant, il m’apparaît que Jésus prend largement ses distances avec l’Ancien Testament et spécialement la Loi juive, autant que le contexte historique le lui permettait. Je pressens qu’un examen de l’Ancien Testament avec le même regard que celui que je porte sur le Nouveau produirait les mêmes fruits : un Message finalement voisin de celui que j’identifie, qui transparaît par exemple dans les dix Commandements, avec un bruitage encore bien plus fort, les évènements évoqués sortant du domaine de l’histoire écrite. Mais je n’en dirai pas plus pour au moins deux raisons :
-cela nécessiterait un énorme travail de lecture et de relecture pour un résultat qui ne m’intéresse pas ;
-cela reviendrait surtout à ce que je me plonge dans la religion juive dont c’est le fondement ; je ne veux pas le faire dans le présent texte car notre contexte historique actuel fait que dès qu’on ose parler de ces sujets, les mots « racisme » et « blasphème » viennent trop facilement dans le débat, même quand ils sont totalement hors de propos (et c’est pour cette même raison que je n’aborderai pas non plus le Coran et la religion musulmane) ; ceci est bien triste mais n’enlève rien à ce que j’écris.
J’ai trouvé le texte suivant sur le site Internet d’une église évangélique, mais il me semble, à peu de choses près, pouvoir s’appliquer à une partie importante de la chrétienté pratiquante et notamment à l’église catholique (en tout cas, c’est mieux écrit que ce que j’aurais pu faire pour dire la même chose…) :
« Un chrétien ou une église évangélique croit en l'inerrance de la Bible : ce qui signifie qu'elle est une révélation, d'inspiration divine et sans aucune erreur dans les originaux. Cette révélation, miraculeusement préservée et transmise à travers les siècles, est par conséquent incapable de nous tromper dans quelque domaine que ce soit. »
J’ai le regret de constater que ceux qui édictent un tel principe, soit n’ont pas lu les textes en question, ce qui serait un comble, soit n’ont rien compris, ce qui serait dommage avec tous les efforts qu’ils ont dû faire, soit sont de la plus grande mauvaise foi, ce qui ne me semble pas en accord avec l’enseignement qu’ils prétendent donner. En effet, même en se contentant de la lecture des évangiles, des contradictions factuelles entre les textes montrent bien qu’on ne peut leur accorder foi aveuglément sous peine de se noyer. Evidemment, on peut toujours se référer à la mention « sans aucune erreur dans les originaux » et comme on n’a pas ceux-ci, dire que les contradictions viennent des traductions ou transmissions successives des textes… Cela revient alors à dire que les seules Bibles dont on dispose actuellement ne valent rien. Ce serait un comble de la part de gens qui veulent fonder leur foi et leur vie sur la Bible !
A titre d’exemple, je citerai deux de ces contradictions factuelles pour bien montrer ce qu’il en est :
-les
personnes au pied de la Croix suivant les évangiles :
Matthieu : « Il y avait là beaucoup de femmes qui de loin regardaient, celles-là mêmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, pour le servir ; parmi lesquelles étaient Marie la Magdaléenne, et Marie mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. »[5]
Marc : « Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin, parmi lesquelles Marie la Magdaléenne, et Marie [mère] de Jacques le petit et de Joset, et Salomé qui le suivaient et le servaient lorsqu’il était en Galilée, beaucoup d’autres aussi qui étaient montés avec lui à Jérusalem. »[6]
Luc : « Tous ses familiers se tenaient au loin, ainsi que des femmes qui l’accompagnaient depuis la Galilée, et qui voyaient cela. »[7]
Jean : « Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie [femme] de Clopas, et Marie la Magdaléenne. Jésus donc, voyant sa mère et, près d’elle, le disciple qu’il préférait, dit à sa mère : « Femme, voilà ton fils. » Ensuite, il dit au disciple : « Voilà ta mère. » Et dès cette heure là, le disciple la prit chez lui. »[8]
-les
deux larrons crucifiés aux côtés de Jésus :
-Matthieu : « De même aussi les brigands qui avaient été crucifiés avec lui l’insultaient. »[9]
-Marc : « Et ceux qui étaient crucifiés avec lui l’insultaient. »[10]
-Luc : « L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : « N’est-ce pas toi qui est le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi. » Mais, prenant la parole et le réprimandant, l’autre déclara : « Tu ne crains même pas Dieu, alors que tu subis la même peine ! Pour nous, c’est justice ; nous recevons ce qu’ont mérité nos actes, mais lui n’a rien fait de fâcheux. » Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras dans ton royaume. » Et il lui dit : « En vérité je te le dis : Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » »[11]
-Jean ne cite que leur existence.
Point n’est besoin de s’y attarder : les contradictions sont patentes ! Au risque de vous étonner, non seulement cela ne me choque pas, mais j’y trouve justement la clé de tout l’enseignement contenu dans ces textes. Loin d’en faire un argument de dénigrement de la Bible et de négation de l’existence de Dieu, ce que font trop souvent les athées et les « anticléricaux primaires » dont je ne fait pas partie, ces contradictions me semblent très éclairantes. En effet, Jésus lui-même, cité par les évangélistes faisant preuve dans ce cas (et certainement le plus souvent) d’une très grande honnêteté intellectuelle, met en cause ses apôtres comme limités intellectuellement ou faibles[12], « hommes de peu de foi », voire devant le renier à certains moments (reniement de Pierre[13]) ou essayer de prendre les meilleures places dans le royaume des Cieux[14]. En un mot, il dénie à ceux-ci toute infaillibilité, même s’il leur dit qu’ils seront inspirés par l’Esprit Saint quand ils seront devant leurs juges[15]. En outre, ces textes nous sont parvenus à travers des épisodes historiques déformant : pas de textes originaux, traductions en cascade, ce qui n’a certes pas arrangé les choses.
C’est ainsi que je perçois les évangélistes et leurs écrits, sans les mettre aucunement en cause personnellement. Ils écrivent la « bonne nouvelle » (sens étymologique d’ « évangile ») avec leurs forces et leurs faiblesses d’êtres humains faillibles, du mieux qu’ils peuvent, des décennies après les évènements, en proie eux-mêmes à la pression de ceux de leur temps (destruction du temple de Jérusalem, premières persécutions, nécessité d’écrire des textes accessibles à leurs disciples eux-mêmes limités intellectuellement, etc.).
Ces contradictions, et encore bien d’autres choses que je mettrai en évidence, sont donc choses naturelles, ne mettent pas en cause les hommes… mais il faut impérativement les dégager pour mieux comprendre le Message sous-jacent.
Il faut donc éviter un double piège :
-d’une part, accorder une foi aveugle à la lettre de tous les écrits, ce qui ne peut qu’être de l’idolâtrie puisque cela revient à soutenir alternativement tout et son contraire par adoration de textes en lieu et place du Dieu concerné ;
-d’autre part, tomber dans le dénigrement des textes (ou encore pire, des hommes) à cause de ces contradictions ; notre époque, prompte à tout dénigrer, a de quoi se régaler ! Mais dans quel but ? Par paresse d’esprit ? Par culte de l’esprit négatif qui se « vend mieux » que les actions positives ? Ou carrément, devraient dire les chrétiens, parce que le discours négatif, c’est le propre de Satan ? En passant en tout cas à côté de choses très riches, mais pas au sens des richesses matérielles qui ne semblent plus que le seul but de beaucoup de nos concitoyens ; c’est ainsi que je pourrais faire des développements tout aussi longs que ceux sur les Cathares à propos du dénigrement de la religion catholique et de ses textes fondateurs à partir du « siècle des Lumières » et même avant ; cela n’a rien à voir avec la manière dont j’aborde le sujet ; pour moi, avoir la prétention de tout comprendre grâce à « la Raison » me semble aussi stérile que de prétendre tout prendre pour argent comptant dans le Nouveau Testament, y compris les contradictions patentes.
Poursuivant sur cette idée, une « clé » de lecture nous est donnée. Elle m’apparaît personnellement comme assez limpide. Je pense pouvoir la mettre en évidence par diverses images qui surgissent naturellement de l’ensemble des textes, au cœur de l’enseignement donné par Jésus. J’en donnerai quatre versions :
-Jésus dit lui-même, et c’est peut-être là l’essentiel, qu’il faut avoir l’esprit d’un petit enfant :
-En ce temps-là, prenant la parole, Jésus dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché cela aux sages et aux intelligents, et l’as révélé aux enfants. »[16]
-Mais Jésus dit : « Laissez les enfants et ne les empêchez pas de venir vers moi ; car c’est à leurs pareils qu’appartient le royaume des Cieux. »[17]
-« En vérité, je vous le dis : Quiconque n’accueille pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas. »[18]
-etc.
Un enfant fait-il de l’exégèse de texte ? Va-t-il faire une chasse forcenée aux contradictions dans un texte ? Fera-t-il du prosélytisme ? Se préoccupera-t-il de définir un dogme ? Dénigrera-t-il des hommes qui ont écrit deux mille ans avant sa naissance, ou essaiera-t-il de prouver ou de nier scientifiquement leur existence ? Tout est dit ! Il s’agit d’accueillir ces textes avec simplicité, de ne surtout pas se noyer dans le détail, d’être perméable aux images et aux symboles, non de leur chercher des explications embrouillées et intellectuelles ; il s’agit en gros de faire un peu tout le contraire de ce que font toutes les églises chrétiennes ou, en tout cas, la plupart d’entre elles ; de faire également le contraire de ceux qui, à partir du dix-huitième siècle et même avant, se sont livrés à des analyses des textes pour dénigrer leur authenticité comme l’application qui en était faite ; pour ma part et même si je suis bien obligé de m’appuyer sur une connaissance et des citations des Textes, on notera que je me garde d’en tirer des analyses détaillées, des lois ou directives de fonctionnement précises, des leçons de morale partant de tel ou tel point de détail, comme c’est le cas dans la grande majorité sinon la totalité des églises chrétiennes… ; c’est ainsi notamment que rechercher la validité historique est hors sujet ; cela peut être intéressant pour faire avancer la connaissance… mais cela n’a rien à voir avec l’application du Message qui nous est délivré.
-le discours contre les scribes et les Pharisiens va tout à fait dans le même sens :
« Alors Jésus parla aux foules et à ses disciples, en disant : « Les scribes et les Pharisiens se sont assis sur la chaire de Moïse ; tout ce qu’ils vous disent, faites-le donc et gardez-le, mais n’agissez pas selon leurs œuvres ; car ils disent et ne font pas. Ils lient de lourdes charges et les mettent sur les épaules des hommes, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.»[19]
Et aussi :
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites parce que vous acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin… et vous avez laissé ce qui a le plus de poids dans la Loi, la justice, la miséricorde et la foi ! »[20]
Et enfin :
« Gardez vous des scribes qui se plaisent à circuler en longues robes, et qui aiment les salutations sur les places publiques, et les premiers sièges dans les synagogues et les premiers divans dans les dîners, eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de faire de longues prières. Ceux-là subiront une condamnation plus sévère ! »[21]
Il est bien clair que ce sont ceux qui intellectualisent le plus Dieu, en l’occurrence les scribes (et les Pharisiens) et qui ont le plus de pouvoir, qui ont le plus de mal à appliquer le Message délivré par Jésus ; il en va de même pour les riches ; tous ces gens sont les opposés des petits enfants si je puis me permettre cette image ; ce ne sont pas des esprits simples ;
Par exemple, le Dossier d’Archéologie consacré à « Saint Luc, Evangéliste et historien »[22] indique dans son introduction, sous la signature de Bruno Bioul : « La codicologie, la philologie, l’épigraphie sont appelées en renfort pour traquer le moindre indice permettant de faire coïncider les données évangéliques avec celles de l’histoire générale du Proche-Orient gréco-romain. C’est dans cette optique que se place ce Dossier d’Archéologie. Des exégètes, des théologiens, des philologues, des archéologues, des historiens ont accepté d’y participer en livrant pour nous les résultats de leur recherche. »
Quand on s’intéresse à l’archéologie, comme je le fais à mes moments perdus, ceci est certainement fort intéressant. Quelle que soit l’importance de l’application du Message que j’identifie, une vie d’homme ne saurait se passer de centres d’intérêts autres que celui-ci sous peine de sombrer dans une idée fixe tout aussi dangereuse pour l’individu ou la société que le refus de ce Message… ; mais en déduire quoi que ce soit vis-à-vis du Message des évangiles, donc de la finalité que nous pouvons donner à notre vie d’homme, va complètement à rebours de ce qu’il nous est dit de faire ; il ne s’agit que de jeux intellectuels qui, pour qui se met à les prendre au pied de la lettre, bruitent complètement les grandes lignes qui nous sont pourtant indiquées très clairement ; dans une certaine mesure, il peut s’agir pour de nombreuses personnes d’une manière de les oublier et de les noyer car elles sont trop dures pour leur petit confort physique ou intellectuel… ; en un mot, ce ne sont pas ceux qui pratiquent ces jeux intellectuels qui sont dangereux, mais ceux qui croient qu’ils ont une quelconque importance pour savoir comment gérer notre vie d’être humain ; hélas, bon nombre de ceux qui les pratiquent les prennent très au sérieux, se prennent eux-mêmes très au sérieux et se figurent qu’ils pourront trouver la Vérité à travers eux ; ils n’y trouveront qu’un miroir déformant qui reflète leur propre image ! Pire, ils essaient le plus souvent d’entraîner les autres dans leur voie, dans leur impasse devrais-je dire ; il s’agit là d’une autre version des dérives que je vais examiner dans la suite et qui, dès le départ, ont bruité le Message ; cela tombe à peu de chose près sous le coup de ce que Jésus dénonçait à propos des scribes et des Pharisiens, ou, comme on voudra car il s’agit peu ou prou de la même chose, sous le coup de l’annonce de la venue de faux prophètes.
On notera au passage que la description qui est faite des scribes et des Pharisiens (des seuls scribes dans Luc, on verra pourquoi dans la suite…) s’applique très bien à une part très importante du clergé chrétien en général et catholique en particulier (et également, mais c’est une autre histoire à ranger au rang des convergences que je décrirai dans la suite, aux pontes de l’économie comme à l’immense majorité des théoriciens des idéologies, qu’elles soient de droite comme de gauche…) ;
-Jésus enseigne souvent par parabole, c’est bien là la preuve qu’il entend nous livrer son enseignement en le cernant par des images et non en lui donnant la précision d’une Loi ; pourtant, cette dernière manière de procéder aurait sans doute été mieux comprise et reçue à son époque, étant plus dans la lignée de la Loi juive ; s’il avait voulu donner des commandements, une règle à l’image des règles monastiques, il l’aurait fait ; s’il ne l’a pas fait, c’est bien que c’est à chacun d’entre nous de trouver une conduite qui soit conforme à cet enseignement mais qui ne se rédige pas en quelques lignes ; quand j’emploie le terme « Message », je ne le fais pas au hasard, je ne dis pas « Loi », « Commandement », « Directives », et nul n’a le droit de transformer ce Message de ces manières ; un exemple parmi bien d’autres : des notions comme celles de « péchés capitaux », inventées par le clergé catholique au fil des siècles, sont une déviance insensée !
-Enfin, pour prendre un langage plus moderne, je dirai qu’il faut rechercher une synthèse, « extraire la substantifique moelle », ou plutôt, se laisser aller à une vision synthétique qui ne saurait être intellectuelle ; il faut laisser de côté ces scories que sont les contradictions, mais aussi tous les éléments qui ne font que nous éloigner du cœur du Message ; pour prendre un exemple de ces éléments, la mère du Christ fut ce qu’elle fut, mais ce ne sont pas la connaissance de sa vie, le fait qu’elle ait eu d’autres enfants ou soit restée vierge, ses rencontres avant la naissance de Jésus ou toutes autres choses de ce genre qui nous délivrent le Message des évangiles, mais bien l’enseignement de Jésus tel qu’il nous parvient ; c’est là un des sens que l’on peut donner à l’épisode rapporté par Marc[23] (mais aussi Matthieu[24]) :
« Et viennent sa mère et ses frères qui, se tenant dehors, l’envoyèrent appeler. Et une foule était assise autour de lui. Et on lui dit : « Voici ta mère, et tes frères, et tes sœurs dehors, qui te cherchent. » Et, leur répondant, il dit : « Qui est ma mère ? et [mes]frères ? » Et promenant ses regards sur ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères ! Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère. » » ;
A partir de là, tout individu qui perd son temps à se demander si Jésus eut des frères et sœurs ou s’il faut lire « cousins » et « cousines », compte tenu du sens ambigu de certains mots dans certaines langues, ferait beaucoup mieux, au regard de l’enseignement de Jésus, de passer le même temps à essayer de faire le bonheur de son entourage, de ses « prochains » ! Il ferait mieux de se laisser aller à une attitude de bonté et de générosité telle qu’il ressent au fond de son être qu’elle doit être et non par une analyse complexe l’amenant à définir intellectuellement un Bien et un Mal… Tout ceci est particulièrement difficile dans notre siècle où les mathématiques, et la logique (voulant définir le « Droit ») dominent tout le reste et sont les seules valeurs reconnues ; en un mot, l’essentiel est de faire le bien tel qu’on le ressent, même en se trompant parfois, mais toujours avec la plus grande honnêteté intellectuelle, au lieu de se livrer à des spéculations complexes et hautement intellectuelles sur la manière dont on pourrait bien définir et défendre « le Bien » !
On pourrait me reprocher une apparente contradiction : j’écris qu’il faut prendre les évangiles avec l’esprit d’un petit enfant, se garder de l’exégèse… et je me livre moi-même à un examen détaillé des textes, citant des dizaines de passages du Nouveau Testament. C’est dans la description de l’approche précédente qu’elle se trouve levée. Je n’analyse pas des détails pour les mettre en relation. Je ne cherche pas à faire dire aux textes plus qu’ils ne peuvent. Bien au contraire, je tire de ma lecture une vue d’ensemble, une synthèse, que j’essaie de vous livrer en m’appuyant sur des passages qui illustrent mon propos. Ma démarche peut se résumer en quelques mots : j’ai lu les textes, j’en ai tiré une vue globale, pour la décrire et la préciser, je fais des citations, des illustrations prises parmi une quantité d’autres qui indiqueraient la même chose. C’est l’opposé à la fois de deux démarches malheureusement trop répandues et qui ne s’excluent pas totalement. La première est l’exégèse, je n’y reviens pas. La deuxième est celle des gens qui partant d’une idée préconçue cherchent dans les textes ce qui confortera celle-ci.
3.2. Le Message de Jésus.
Je vais donc maintenant essayer de dégager les grandes lignes de ce fameux Message, base d’une morale. Je ne le fais pas par orgueil, prétendant détenir la vérité et étant capable d’écrire ce que Jésus n’a pas codifié lui-même ni ses évangélistes et apôtres. Je le fais parce qu’il me semble tellement bruité et perdu de vue actuellement qu’il est nécessaire de « remettre les pendules à l’heure ». On me pardonnera donc mes approximations, voire mes erreurs, car je dégage finalement « mon » Message. Je ressens que chacun doit dégager le sien propre, avec honnêteté intellectuelle et avec la « simplicité d’un petit enfant », puisqu’il n’y a pas de Loi gravée dans le marbre mais un faisceau d’éléments, enseignements, images, paraboles qui seul nous guide dans ces textes. J’essaie aussi de dégager ce « Message » pour une autre raison que l’on verra bien plus loin dans mon propre texte : parce qu’il est très proche de celui délivré par d’autres religions, philosophies ou convictions actuelles et passées (et c’est là que commence vraiment l’agnosticisme…). Parce qu’il me semble universel en un mot et non réservé à une « chrétienté » plus ou moins impérialiste suivant les lieux et les époques… Et aussi justement parce qu’il n’a rien d’impérialiste ni de prosélyte lui-même, bien au contraire…
Essayons donc tout d’abord de dégager les grandes lignes de ce Message :
-Le premier des commandements, je l’ai déjà cité mais il mérite qu’on y revienne car il est la clé de tout : « Et l’un d’entre eux, un légiste, l’interrogea pour le mettre à l’épreuve : « Maître, quel commandement est le plus grand dans la Loi ? » Il lui déclara : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu avec tout ton cœur, et avec toute ton âme, et avec toute ta pensée. C’est là le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »[25]. Aimer son prochain ? Alors qu’il est explicitement précisé ailleurs qu’on doit aimer son ennemi qui est aussi son prochain ![26] (aimer ses amis étant sans signification car tout le monde ou presque le fait…) ;
Il s’agit en effet du premier des commandements car tous les autres éléments composant le Message en découlent.
On notera tout d’abord qu’ « aimer Dieu » est immédiatement décrypté sous la forme très concrète d’ « aimer son prochain » ; ceci devrait éliminer les attitudes idolâtres qui ne peuvent manquer de surgir si l’on prétend « aimer » une entité purement abstraite, le Dieu qu’on ne connaît pas, attitudes qui sont pourtant monnaie courante dans les lieux de culte.
-Ne pas tuer ; « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras pas ; celui qui tuera sera passible du jugement. Et moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement… »[27]. Même si nous ne nous en tenons qu’à « ne pas tuer », c’est déjà énorme et quasiment hors de portée des hommes de notre société. En effet, cela veut bien entendu dire n’assassiner personne, ce qui est aussi naïf que simpliste… mais cela veut aussi dire ne pas tuer, même en temps de guerre et surtout, ne pas participer à des actions qui conduisent à tuer ; ne pas tuer son prochain alors que ce terme englobe nos ennemis, c’est bien ne plus faire la guerre ; « Remets ton glaive à sa place, car tous ceux qui auront pris le glaive périront par le glaive… »[28] signifie bien entendu que ceux qui auront pris les armes subiront le glaive au jour du Jugement ; ceci implique que ceux qui fabriquent des armes, appellent à la guerre, bénissent les canons, etc. sont voués à la damnation ; n’oublions pas qu’au fil des temps, refuser sa participation directe ou indirecte aux forces armées a le plus souvent été considéré comme un crime méritant la peine de mort ; même maintenant que le service militaire n’est plus obligatoire en France, ne pas participer du tout, même pas financièrement, est quasiment impossible ; les candidats aux élections n’ont aucune option de ce genre à présenter ; les banques qui gèrent nos fonds ont des actions dans les sociétés d’armement ; quant à tous ceux qui fabriquent des armes, directement ou indirectement, ils tuent, à distance, en différé mais ils tuent ; nous tuons donc tous, peu ou prou, directement ou indirectement, par notre argent ou par nos votes, quand ce n’est pas par nos actes… Alors, « ne pas tuer », facile ?
-Il en va de même pour l’honnêteté, financière ou intellectuelle ; ne jamais mentir, ne pas jurer, ne pas commettre l’adultère, ne pas résister à ses ennemis, etc. ; Cela paraît surhumain dans notre société dans laquelle le plus malin se trouve glorifié, en ayant oublié que le plus malin, c’est le Malin ; car une société ne peut continuer à exister quand elle est gangrenée par toutes ces dérives ; a contrario, dans notre société, être gentil est ridiculisé ; quand on dit de quelqu’un qu’il est gentil, cela implique qu’il est bête, cela implique de la « connerie » dit le vulgaire ; or ce que j’écris, le Principe de Générosité en particulier, a été qualifié par certains de « gentil » ; je n’y prêche pas la violence, la révolution, la guerre, le désordre, tout ce qui fait recette en un mot ! Mais j’essaie d’être « gentil » et mon seul regret est de ne pas y arriver suffisamment, pas d’en avoir honte ! Et c’est bien cela qui se trouve dans ce Message avec lequel je me sens largement en harmonie, même si je reste agnostique ; en outre, je fais remarquer qu’essayer d’endoctriner ou faire du prosélytisme implique déjà de la malhonnêteté intellectuelle… ; c’est là une des premières dérives de la majorité des clergés; et être « gentil », c’est très dur ! Ne pas essayer de se venger, de profiter des situations, d’embobiner les autres ; pas si facile devant toutes les tentations qui se présentent à nous… Et ce d’autant plus qu’être gentil ne dispense pas d’être ferme, bien au contraire ; celui qui dit « oui » à tout ne saurait être gentil, faible tout au plus.
-C’est ainsi que renoncer aux richesses n’a rien d’évident non plus dans notre société si intéressée[29] ; traitez l’argent par le mépris et on vous prendra pour fou ! Les commerciaux des diverses institutions financières vous harcèleront pour que vous placiez votre argent chez eux, non parce qu’il est géré honnêtement, non parce qu’il servira aux pauvres et à ceux qui en ont besoin, non parce qu’il n’ira pas dans des sociétés d’armement ou dans d’autres qui défrichent la forêt vierge en pillant la planète et en exterminant de facto les indigènes… mais parce qu’il vous RAPPORTERA plus d’argent ! Renoncer aux richesses, c’est tout d’abord ne pas accorder d’importance à l’argent et à la possession de biens ; c’est être désintéressé, détaché des biens terrestres ; quelque chose de très fort donc… mais qui apporte beaucoup de sérénité dès qu’on y arrive un tout petit peu !
-Transmettre la « bonne parole » (signification du terme « évangile »), sans prosélytisme, sans orgueil (ne pas prétendre détenir la vérité mais toujours la chercher, prêcher d’exemple, être humble, etc.).
-Et surtout choisir son camp, c’est-à-dire être totalement intransigeant (pour soi-même) avec tout manquement à l’honnêteté et à tous les items ci-dessus ; « Vous ne pouvez vous asservir à Dieu et à Mammon »[30] ; il n’est pas question ici de se permettre de petites entorses, de pieux mensonges ; dès qu’on a dérapé peu ou prou, tout bascule : on est passé dans l’autre camp ; ayant mis le doigt dans l’engrenage, il n’est plus question de s’arrêter ; un petit mensonge en appelle un plus gros pour le masquer ; une petite malhonnêteté appelle des mensonges et d’autres malhonnêtetés ; ceci implique aussi de s’abstenir de juger les autres ; chacun choisit son camp et l’attitude qu’il doit avoir en son âme et conscience ; il n’appartient pas aux autres de porter des jugements sur lui et de jouer les redresseurs de torts ; tout au plus d’essayer individuellement de comprendre quand le choix leur paraît vraiment nuisible.
-Etc.
Je pourrai développer et compléter largement, mais est-il besoin d’en rajouter ? Essayez donc déjà de faire tout cela intégralement… Connaissez-vous personnellement quelqu’un qui fasse réellement tout cela ? Si vous le faites, croyez-vous qu’il soit utile d’y ajouter un tas de simagrées dans des églises ou ailleurs, ce qui n’est demandé nulle part ?
C’est bien justement la dureté de ce Message qui est une des origines des glissements. Il est tellement plus facile de se livrer à l’idolâtrie, vis-à-vis d’un Dieu devant lequel on préfère de beaucoup s’agenouiller dans une église que pratiquer le Message qu’il a délivré ! Avoir mal aux genoux plutôt qu’au porte-monnaie ! Ou devant des saints qui n’ont rien à faire là-dedans, fut-ce Marie elle-même. Si l’on estime qu’ils sont « saints », c’est-à-dire qu’ils ont appliqué le Message mieux que les autres, qu’attendons-nous pour tenter de marcher sur leurs traces au lieu de leur faire des prières ? Prières jusqu’au grotesque parfois en invoquant Saint Antoine de Padoue quand on a perdu quelque chose, sans même savoir ce qu’il a fait de son vivant et sans hésiter à l’implorer pour ce qui n’est souvent qu’un détail mesquin d’une vie d’homme ordinaire ?
3.3. Les dérives historiques
Quand on lit les lignes ci-dessus, on comprend toute la difficulté. Mais nous sommes trop faibles ! Nous avons besoin de vivre nos envies ! Il faut bien nous nourrir, nous habiller, élever nos enfants décemment, nous loger, j’ai envie d’ajouter, avoir un 4x4 pour frimer[31], une résidence secondaire et plein de bijoux… J’ajouterai même : avoir un superbe caveau de famille ! En un mot, il faut bien que nous soyons heureux ! Et alors ? Personne n’a dit qu’il ne fallait pas être heureux… mais certains ont dit fort justement « L’argent ne fait pas le bonheur ». Personne n’a dit non plus qu’on doit se faire souffrir délibérément de la faim, du froid ou même de privations sexuelles. Mais être heureux, cela peut aussi et surtout se rencontrer dans un sourire, dans la satisfaction d’avoir fait du bien à quelqu’un, d’admirer les beautés du monde qui nous entoure, la nature par exemple, de se sentir en accord avec soi-même sans avoir à calculer comment on va faire pour ne pas se trahir vu tous les mensonges qu’on a commis, etc. Par contre, la richesse engendre le plus souvent l’envie d’encore plus de richesse, donc de la souffrance et de l’insatisfaction, tout comme le pouvoir qui est son frère jumeau. Comme je l’ai écrit précédemment, je ne parlerai pas de l’Islam mais je ne résiste pas à citer une phrase écrite par Amin Maalouf car elle résume de manière extraordinaire toute ma pensée à ce sujet: « ... La richesse, frères croyants, ne se mesure pas aux choses qu’on possède mais à celles dont on sait se passer... »[32]. Au passage, on entrevoit que le Message que je décrypte dans les évangiles n’est pas l’exclusivité de Jésus. On verra dans la suite que cela va encore beaucoup plus loin.
Dans la remise en perspective qui va suivre, j’aborderai les divers textes ou évènements dans leur chronologie telle qu’on peut la supposer. En m’imprégnant de tout cela par la relecture des textes à ma disposition, sans a priori sur ce que je pouvais espérer en tirer, j’ai trouvé personnellement que l’évolution sautait aux yeux. C’est donc elle que je vais m’efforcer de mettre en évidence. Il me semble maintenant très clair que les évangiles de Matthieu et Marc contiennent essentiellement le fameux Message. Une dérive manifeste apparaît avec Paul. Elle se traduit en quatre points : l’ « apparition de Paul » auquel Jésus n’avait rien demandé et à qui il n’avait nullement fait appel, les épîtres de Paul qui sont complètement déviantes par rapport au Message enseigné par Jésus ; enfin les deux textes écrits par Luc, disciple ou en tout cas successeur imprégné de la culture paulinienne, son évangile, largement déviant par rapport aux deux autres précités et surtout les actes des apôtres qui contiennent des descriptions d’évènements bien étranges.
La dérive s’amplifie encore avec les évangiles apocryphes qui, s’ils ne font pas partie du canon de l’église catholique, ont quand même fourni des références largement admises par les croyants et qui ont nourri au fil des siècles une importante iconographie qui en témoigne. Enfin, la conversion de Constantin et le concile de Nicée qui suivit marquent la confusion totale avec le pouvoir, d’abord impérial avant de devenir papal au fil des siècles. A partir de là, toutes les « turpitudes » s’expliquent naturellement, le Message initial ayant alors été complètement occulté, déformé, oblitéré et même dévoyé. Je n’ai pas cité l’évangile de Jean ni l’Apocalypse mais je les examinerai au passage : il ne fait pas de doute pour moi qu’ils représentent également une certaine dose de déviation mais bien plus anodine et n’ayant pas conduit aux dérives systémiques que je mets en évidence par ailleurs.
3.3.1. La distorsion initiale dans le « Canon » catholique et jusqu’au concile de Nicée
3.3.1.1. Les évangiles de Matthieu et
Marc.
Comme je viens de l’écrire, si les évangiles contiennent tous l’essentiel de ce que j’appelle « le Message », ils n’ont pas tous la même position vis-à-vis de celui-ci. Les deux évangiles de Matthieu et Marc s’en tiennent à l’essentiel de cet enseignement. Ils sont très dépouillés et l’histoire de Jésus qu’ils racontent sert surtout de support à ce dernier. Très peu de fioritures. Matthieu était un apôtre, donc témoin oculaire des évènements qu’il rapporte. Marc semble bien avoir été en premier lieu un disciple de Pierre, et son écriture inspirée par celui-ci. Jean était également un apôtre mais son évangile est très différent et occupe une place un peu à part. Il me semble préférable de l’examiner séparément, après celui de Luc.
Quelques dérives ou interrogations pointent cependant. Comment aurait-il pu en être autrement alors que les évangiles en question ont été écrits, suivant ce qui est généralement admis, quelques décennies après les évènements dont ils rendent compte, alors que les rédacteurs étaient pris dans la tourmente de l’exécution de la mission évangélique qui leur avait été confiée et des évènements historiques de l’époque, premières persécutions, première révolte juive et destruction du Temple de Jérusalem ?
On pourrait par exemple citer deux cas d’anomalies apparentes qui ont prêté à études, analyse, exégèse, et ont souvent servi au dénigrement des évangiles et des religions chrétiennes par les tenants de la Raison, des Lumières, ou simplement certains athées militants. A l’inverse, elles ont été finement étudiées par certains chrétiens érudits pour essayer de prouver qu’il n’y avait pas pétition de principe et que cela confortait leurs croyances :
-la question des miracles attribués à Jésus ; je me refuse à rentrer dans la question de savoir s’il y a eu miracles ou non, comme trop de gens l’ont fait depuis le siècle des Lumières et avant ; le problème n’est à mon sens pas là et il est bien plus étrange ; nos deux évangélistes rapportent en effet à la fois une pléthore de miracles accomplis par Jésus, et la consigne donnée par celui-ci de ne surtout pas en faire état[33] ; il s’agit bien évidemment d’une contradiction majeure au niveau des rédacteurs ; plusieurs hypothèses peuvent être faites à partir de là : non respect par les évangélistes de la consigne de ne pas en faire état, miracles inventés après coup pour renforcer la puissance d’un enseignement qui demandait beaucoup aux gens à qui il était dispensé, donc première dérive, etc. ; peu importe : la question devrait être simplement de savoir si cette description des miracles vrais ou faux nuit à la force du Message transmis ; à mon avis, elle ne lui nuit que dans la mesure où des gens déjà mal disposés s’appuient dessus pour dénigrer l’ensemble, tout comme elle le renforce pour ceux qui restent crédules voir naïfs (comme de petits enfants ?) ; en tout cas, il est bien clair qu’au fil des siècles, grande était la tentation d’en rajouter pour un public d’un niveau très faible de connaissances, d’autant plus que le clergé qui dispensait cet enseignement, prêtres ou curés de campagne, était souvent lui-même fort peu instruit, au Moyen-âge notamment ; cela apparaît très clairement dans ce que je vais évoquer dans la suite, jusqu’aux « délires miraculeux » des évangiles apocryphes ; alors, qu’il y ait eu ou non une légère déformation des évangiles de Marc et Matthieu entre leur rédaction et le moment où ont été écrits les traductions dont nous disposons, nous collons toujours au Message et c’est cela qui est important ; un autre point à souligner est que les évangiles en question ne prête à Jésus que des miracles positifs ; il fait le bien, guérit des possédés, des aveugles, des paralytiques et se refuse même à faire des miracles « sur commande » pour prouver son pouvoir aux Pharisiens ; cela semble aller de soi mais on verra que ce n’est pas le cas dans tous les textes ;
-il en va de même pour le compte rendu de la prophétie faite par Jésus de la chute de Jérusalem et de la destruction du Temple…[34] alors que les textes en question ont été rédigés très probablement après les évènements prédits ; la question est la même que pour les miracles et, finalement, d’aussi peu d’intérêt ! En effet, les miracles et cette prophétie ne font pas partie intégrante de l’enseignement, ne délivrent pas le Message, tout au plus l’appuient-ils.
Un point qui paraît bien plus essentiel à qui veut vraiment comprendre l’enseignement de Jésus réside dans le fait que les parties de ces évangiles qui traitent de la raison de la crucifixion, de la résurrection et des évènements ayant suivi sont extrêmement succinctes, comme si l’essentiel n’était pas là. Comme si, et c’est l’interprétation que j’en fais, Jésus était venu pour nous dispenser un enseignement, non pour je ne sais quelle rémission de je ne sais quels péchés, et certainement pas ceux d’Adam et d’Eve. Les évènements en question ne sont alors traités que parce qu’ils crédibilisent le tout en correspondant à ce qui avait été annoncé par les anciennes prophéties. L’évangile selon Matthieu ne comporte pas d’Annonciation, pas de crèche ; après la résurrection, il n’apparaît qu’une fois aux femmes et une à ses onze apôtres restant qu’il envoie en mission et c’est tout, pas d’Ascension, pas de Pentecôte. L’évangile selon Marc n’est pas plus prolixe sur ces sujets. Il l’est même encore moins sur la filiation terrestre de Jésus et après la résurrection, il apparaît juste une fois à Marie la Magdaléenne, à deux disciples puis aux onze apôtres avant l’Ascension, dont il est fait cette fois mention. Si l’on comprend bien que tout ce qui concerne la naissance de Jésus ne pourrait que bruiter le Message en n’ayant aucun rapport avec lui, il serait quand même bien étonnant qu’un témoin oculaire comme Matthieu et un disciple direct de Pierre comme Marc n’aient rien dit de plus sur les évènements ayant suivi la résurrection s’il s’était passé d’autres choses. En effet, celles-ci n’auraient pu qu’être de la plus extrême importance. Elles n’auraient pu que crédibiliser l’enseignement qu’ils devaient dispenser. On peut donc penser que s’ils ne disent rien de plus, c’est qu’il n’y a rien à dire. Au demeurant, du point de vue où je me place, cela n’apporterait rien. Il me semble bien que pour Matthieu et Marc, Jésus n’est pas venu pour mourir mais bien pour vivre, témoigner et enseigner. Qu’il soit mort était dans sa nature humaine, qu’il soit ressuscité dans sa nature divine… mais l’essentiel n’est pas là !
Il ne me paraît pas vraiment utile de m’appesantir plus sur ces deux évangiles qui me semblent bien la source la plus fiable de tout l’enseignement de Jésus, donc du fameux Message.
3.3.1.2. Paul et Luc. Les épîtres de
Paul, l’évangile et les Actes des apôtres de Luc.
Vient ensuite l’évangile de Luc mais je ne le dissocie pas du rôle de (saint) Paul car les deux me semblent étroitement liés. Au demeurant, ce n’est pas moi qui ai inventé ce lien puisque tous les historiens et exégètes qui se sont penchés sur Luc considèrent qu’il est étroitement dans la lignée de Paul, sans même trop savoir quand il a vécu, et donc écrit. On pourra notamment se reporter au Dossier d’Archéologie n°279, décembre 2002, janvier 2003, « Saint Luc, Evangéliste et historien » qui lui est entièrement consacré. En particulier, j’ai relevé dans ce document la citation : « …les propositions pour la rédaction de l’évangile de Luc vont de 40 au plus tôt à 140 ap. J.-C. au plus tard… »[35] qui marque bien tout le flou qui entoure le personnage de Luc et la rédaction de son évangile. Mais de mon point de vue, il y a quelque chose de bien plus essentiel que ces études érudites : c’est la convergence des textes attribués aux deux auteurs qui présentent les mêmes déviations et le même « bruitage » par rapport au Message initial. Commençons par Paul.
Dieu le Père et le Christ son Fils se seraient trompés !... Le Christ serait venu sur terre pour apporter un Message, aurait désigné ses disciples, les apôtres, qu’il a envoyé enseigner… et patatras ! Quelques années après, il aurait fallu que Dieu lui-même suscite un nouvel apôtre. Qu’il frappe Saül qui devient de ce fait Paul, sans doute parce que celui-ci persécutait les premiers chrétiens et était trop dangereux pour la religion naissante ? Dieu aurait-il craint un homme ? Quand on y réfléchit un peu sereinement, en désacralisant ce qui doit l’être, c’est absolument ahurissant !
Et l’église naissante « adopte » ce nouvel apôtre. Le fait quasiment passer devant les autres pour en faire le deuxième fondement alors que Jésus n’en avait désigné qu’un, (saint) Pierre, qui était la « pierre » fondatrice. Ou plutôt, l’église naissante n’adopte personne, Paul s’impose comme le chef et la référence, en marginalisant ou en éclipsant une partie de ceux qui avaient été désignés par Jésus, y compris semble-t-il Pierre qui se retrouve avec la portion congrue, ne serait-ce qu’au niveau des épîtres...
Toujours est-il que ce nouvel « apôtre » se met à enseigner, et c’est là que tout se complique. Le plus curieux est qu’il se met à enseigner dès qu’il recouvre la vue, trois jours après avoir été « frappé par Dieu »[36]. Jésus a formé ses apôtres pendant une ou plusieurs années, souvent en les tançant ou en leur réexpliquant ce qu’ils n’avaient pas compris, paraboles ou autres… et Paul, qui n’a jamais connu Jésus ni ses apôtres sauf pour les persécuter (massacre d’Etienne) connaît d’un seul coup la « bonne parole ». Il faut dire qu’il suppose la connaître d’autant plus qu’il est Pharisien[37] et qu’il en a donc la formation, ce qui le prédispose certainement à enseigner, tout en connaissant sur le bout des doigts la Loi juive… Cela ne le met par contre pas vraiment dans la lignée de ce que Jésus enseignait lui-même, souvenons-nous simplement du discours contre les scribes et les Pharisiens…
Je répète que je ne mets pas l’ « homme Paul » en cause. Il peut avoir été de bonne foi ou non. Sa bonne foi est même plus que probable, on ne se fait pas emprisonner et on ne subit pas le martyr par duplicité… Mon propos n’est pas là et je me garderai d’un jugement fumeux à vingt siècles de distance. Mais du point de vue religieux, il semble bien que le rôle de Paul ait plus servi Satan que Dieu, comme nous allons le voir. Un Satan astucieux, est-ce étonnant ? En effet, le message du « nouvel apôtre » est en apparence tout à fait orthodoxe (au sens premier du mot). Il l’est d’autant plus que c’est lui qui a fondé pour l’essentiel le fonctionnement matériel et même spirituel de l’église catholique actuelle. Il est donc gravissime que ce « message » occulte et déforme celui délivré par Jésus. Les épitres qu’on lit à la messe comprennent certes des morceaux qui vont totalement ou partiellement dans le sens de l’enseignement de Jésus… mais des dérives très graves y sont omniprésentes. Ceci rend l’enseignement de Paul carrément déviant ou à contre-courant de l’enseignement de Jésus. Examinons donc un peu en détail ce qu’il en est.
Mais tout d’abord, Paul tient la place de choix dans le Canon de l’église catholique. Qu’on en juge :
-sur les quatre évangiles, l’un a été écrit par un de ses disciples, Luc
-les actes des apôtres ont été écrits par le même Luc ; c’est ainsi que ces « actes des apôtres » n’occupent, dans ma Bible, que 19 pages pour les actes des vrais apôtres, ceux désignés par Jésus, Pierre en tête, alors que les actes du « néo-apôtre » Paul occupent 26 pages ; encore y a-t-il des « actes » prêtées à Pierre qui sont pour le moins étranges vis-à-vis du contenu des évangiles, j’y viendrai ;
-enfin, les épîtres comprennent 15 épîtres de Paul, soit 127 pages placées en tête puis 7 de Jacques, Pierre, Jean et Jude soit 31 pages parfois plus occupées par les commentaires du traducteur que par le contenu de l’épître lui-même ; je reviendrai également sur le contenu de ces dernières épîtres dont certaines sont elles-mêmes tout à fait déviantes.
Les épîtres de Paul.
Pour ce qui est des épîtres de Paul, elles contiennent tout ce qui avait été explicitement exclu par Jésus de son enseignement :
-le retour à la Loi juive ; il est en filigrane de tous les items que je vais présenter dans la suite ; on trouve aussi dans certaines épîtres de longues digressions sur la Loi juive ; par exemple dans les chapitres 3., 4. et 5. de l’épître aux Romains, on trouve une longue digression qui cite largement l’Ancien Testament, y compris le péché d’Adam et les supposées conséquences sur les générations suivantes ; même s’il se démarque largement de la Loi juive dans l’épître aux Galates (3.), il ne peut s’empêcher de faire de longues digressions citant à maintes reprises Abraham et l’Ancien Testament ; le summum est atteint avec l’épître aux Hébreux ; s’agissant de gens qui connaissent ou sont supposés connaître la Loi juive, il ne s’agit plus que du texte d’un Pharisien faisant une longue digression sur la Loi juive et n’essayant de placer Jésus que dans ce cadre ; mais c’est également dans l’esprit avec lequel il traite du rôle de Jésus qu’il y a régression : partout, il ne se préoccupe que de rémission des péchés, de rachat des fautes voire de la faute originelle, de réprimander ceux qui commettent des fautes, tout langage négatif alors que le Message initial était avant tout positif, amour du prochain, enseignement positif dont les apôtres avaient reçu mission ; en tout cas, c’est à ce niveau qu’est réintroduit l’Ancien Testament, pas dans l’enseignement de Jésus qui ne faisait que le citer à dose homéopathique pour se faire comprendre de ses interlocuteurs juifs ;
Ceci implique une intellectualisation de l’enseignement à la « mode pharisienne » totalement opposée à l’esprit de l’enseignement de Jésus adressé aux foules et imagé ; certaines épîtres sont parfois quasiment illisibles par le commun des mortels tellement elles sont complexes ; le Message se trouve complètement noyé dans des raisonnements tordus et dans un fatras de propos qui ne permettent guère de le dégager ; je mets au défi quiconque n’aurait que les épîtres de Paul d’en déduire si peu que ce soit ce qu’était réellement l’enseignement de Jésus ; et pour cause, il n’y a jamais assisté et il a même eu des conflits avec certains de ceux qui le tenaient de première main !
-la mise en place d’une hiérarchie dominatrice ; Paul est un chef dans une « Eglise » dont il cite abondamment l’existence et qui est une structure hiérarchique ; il parle comme tel, « Epaphras, mon compagnon de captivité en Christ Jésus, te salue, ainsi que Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes collaborateurs. »[38] ; il se permet même de juger et condamner : « Pour l’avoir rejetée, certains ont vu leur foi faire naufrage parmi lesquels Hyménée et Alexandre que j’ai livrés au Satan, pour que, corrigés, ils cessent de blasphémer. »[39] ; ce n’est plus la parole de Jésus : « Quant à celui qui ne vous accueillerait pas et n’écouterait pas vos paroles, en sortant hors de cette maison ou de cette ville, secouez la poussière de vos pieds.[40] » ; il ne s’agit plus non plus de « tendre la joue gauche » ; il réprimande, fustige, affiche son pouvoir terrestre, et comme il se doit quand on adopte une telle position, est pris dans des conflits et suscite des réactions de rejet ; « Pauvres fous de Galates ! Qui vous a ensorcelés, vous qui avez eu sous les yeux le tableau de Jésus Christ crucifié ?[41] » « Nous tous donc, les parfaits, ayons cette pensée… »[42] et « Montrez vous tous, frères, mes imitateurs… »[43] « …ainsi que Clément et mes autres collaborateurs… »[44] « A moi le moindre de tous les saints… »[45] « Tu sais que tous ceux d’Asie se sont détournés de moi, entre autres Phygèle et Hermogène. »[46] ; etc. ; on pourrait relever des citations à l’infini, en notant au passage qu’absolument aucune allusion n’est faite au rôle de Pierre, désigné par Jésus comme la « pierre « angulaire » de l’église ; Paul est le chef qui entend ne pas être contesté ; c’est ainsi qu’on trouve également à droite ou à gauche, des échos de sa brouille avec Marc[47], disciple direct de Pierre ; comme tout chef, il met aussi en place une hiérarchie qui doit relayer son pouvoir ; des notions d’ « épiscope », de « diacre » apparaissent avec des profils et des rôles bien définis[48] ; cela conduit, « tout naturellement » au développement d’une idolâtrie envers un Dieu non défini puisqu’on a oublié la notion corollaire d’amour du prochain, mais avec des cérémonies et prières multiples mais non demandées voire parfois condamnées par Jésus ; la notion de « saint », dans laquelle Paul se place lui-même en toute modestie, apparaît dès ce moment et conduira à ce que les églises soient progressivement remplies de statues de saints et saintes à qui l’on adressera des prières, à la manière des idoles dans les temples païens…
-c’est peu de dire que les questions d’argent préoccupaient Paul… ; normal, elles sont le corollaire du pouvoir ; on les retrouve dans de nombreuses épîtres ; il s’agit essentiellement de collectes ; Paul semble avoir mis en place un réseau qui engrange et répartit des fonds, pour des intentions pieuses cela va de soi ! On est loin de « …Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, pas de besace pour le chemin, ni deux tuniques, ni chaussures, ni bâton ; »[49], même si l’on est aussi encore très loin des richesses du Vatican tout au long du deuxième millénaire… Ceci se retrouve notamment dans l’épître aux Romains[50], dans les deux épîtres aux Corinthiens[51], dans celle aux Philippiens où Paul va encore plus loin : « Vous le savez vous-mêmes, Philippiens : dans les débuts de l’Evangile, lorsque je sortis de Macédoine, aucune Eglise ne m’assista en m’ouvrant un compte de doit et avoir ; vous fûtes les seuls. Et à Thessalonique même et par deux fois, vous m’avez envoyé de quoi subvenir à mes besoins… »[52] ;
On verra dans la suite que Luc va encore plus loin dans les Actes des apôtres ;
-un énorme fatras d’éléments en relation avec la sexualité qui n’ont aucun fondement dans les évangiles et qui conduisent tous à condamner celle-ci ; c’est une obsession ! Toutes les épîtres contiennent de nombreuses fois des mots comme fornication, chasteté, circoncision, pureté, adultère, etc. ; je vous épargne les citations, elles sont légion, alors que les évangiles n’abordaient pratiquement pas ce sujet, ou alors plutôt pour le minimiser ; bien entendu, il est permis de penser que Paul tenait cette préoccupation obsessionnelle en partie de la Loi juive, comme ancien Pharisien… mais comment pouvait-il alors prétendre enseigner l’enseignement amené par Jésus s’il recherchait une régression vers la situation avant la venue de celui-ci ? Je retiens quelques points particulièrement caractéristiques :
-la valorisation de la chasteté ; c’est une idée qui ne se trouvait pas dans les évangiles mais qui fera florès… et aussi, de mon point de vue, des dégâts considérables… ; on la trouve un peu partout mais notamment dans la première lettre aux Corinthiens ; « Pour ce que vous avez écrit, il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme. Mais à cause des fornications, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme. Ne vous privez pas l’un de l’autre, sinon d’un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière ; et de nouveau soyez ensemble, de peur que le Satan ne vous tente à cause de votre incontinence. Ce que je vous dis là est une concession, non un ordre. Je voudrais que tous les hommes soient comme moi ; mais chacun tient de Dieu son don particulier, celui-ci d’une manière, celui-là d’une autre. Je dis aux célibataires et aux veuves : il leur est bon de demeurer comme moi. Mais s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient : mieux vaut se marier que brûler. »[53] ; plus loin dans la même épître, Paul reconnaît lui-même que personne, et surtout pas Dieu, ne lui a dit de parler ainsi puisqu’il écrit : « Pour ce qui est des vierges, je n’ai pas d’ordre du Seigneur, mais je donne un avis en homme qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne de confiance »[54] ; et ce discours continue encore longtemps alors que la valorisation de la chasteté est présente dans de nombreuses autres épîtres ;
-l’obsession de l’homosexualité ; on la retrouve de nombreuses fois, souvent au début des épîtres comme s’il s’agissait d’un point essentiel, alors que Jésus relativise ce péché, qui en reste bien un mais pas pire que d’autres[55] ; par exemple, dès le tout début de l’épître aux Romains : « Voilà pourquoi Dieu les a livrés à de honteuses passions. Leurs femmes, en effet, ont échangé les relations naturelles pour celles qui sont contre nature, et pareillement les hommes, abandonnant les relations naturelles avec la femme, se sont enflammés de désirs les uns pour les autres,… »[56] ;
-la circoncision, qui est, qu’on le veuille ou non, une perversion sexuelle au même titre que l’excision pratiquée dans d’autres civilisations, pourrait occuper une place à part étant donné qu’elle fait partie de la religion juive et est une caractéristique des Juifs de cette époque ; il y a cependant des passages entiers où les mots « circoncisions » et tous ceux bâtis sur la même racine font le fond du discours au point qu’on ne s’y retrouve plus ; Paul aurait aussi bien pu dire « Juifs » au lieu de « circoncis » et avoir un autre terme pour les « incirconcis » ; en le lisant, on a quelquefois l’impression que la caractéristique première du Juif n’est pas de croire en son Dieu mais d’être circoncis ! C’est ainsi que dans Romains 4.9 à 4.12. (14 lignes dans ma Bible), je compte 12 fois des mots contenant la racine « circoncis » ; mais le comble est sans doute, si l’on en croit les Actes des Apôtres, que Paul ait circoncis lui-même son disciple Timothée[57], par peur des Juifs semble-t-il, mais en contradiction absolue avec l’enseignement qu’il était censé dispenser et ce qu’il affiche dans certaines épîtres…
-des diatribes contre les femmes et une apologie de la domination des femmes par les hommes qui conduiraient à notre époque leur auteur devant les tribunaux pour discrimination… ; « Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de faire la loi à l’homme, qu’elle se tienne en silence ; car c’est Adam qui fut formé en premier, Eve ensuite… »[58] Clairement, Paul rattache ses positions sur les femmes, non à l’enseignement de Jésus, mais bien à l’Ancien Testament et donc à la Loi juive ; « Mais les jeunes veuves, refuse-les. Quand le désir les détache du Christ, elles veulent se marier, encourant la condamnation pour avoir rejeté leur foi première. En même temps, oisives, elles apprennent à courir les maisons. Si elles n’étaient qu’oisives ! Mais elles sont encore bavardes, indiscrètes, disant ce qu’il ne faut pas. Je veux donc que les jeunes se marient… »[59] « Je veux pourtant que vous le sachiez : le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme ; et le chef du Christ, c’est Dieu. Tout homme qui prie ou prophétise, le chef couvert, fait honte à son chef. Toute femme qui prie ou prophétise, le chef non voilé, fait honte à son chef ; c’est exactement comme si elle était une femme rasée. Si donc une femme ne se voile pas, qu’elle se tonde aussi ! Mais s’il est honteux pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle se voile ! [… ] Jugez-en vous-mêmes. Convient-il qu’une femme prie Dieu sans voile ? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour un homme de porter les cheveux longs, tandis que c’est une gloire pour la femme de les porter ainsi ? Car la chevelure lui a été donnée en guise de vêtement. »[60]
Ceci est bien sûr à comparer avec la position de Jésus dans les évangiles. Outre que celui-ci se garde bien de telles prescriptions, son enseignement étant d’un niveau infiniment plus élevé, on peut quand même trouver en filigrane sa position sur le sujet, notamment dans ce qui est parfois intitulé « l’onction de Béthanie » et surtout dans l’épisode de la pécheresse pardonnée : « Un Pharisien le priait à manger avec lui, et entré chez le Pharisien, il se mit à table. Et voici une femme, qui dans la ville était une pécheresse. Et ayant su qu’il était à table dans la maison du Pharisien, elle avait apporté un flacon de parfum. Et se tenant en arrière, à ses pieds, pleurant, elle se mit à lui arroser les pieds de ses larmes ; et avec ses cheveux elle les essuyait, et elle les couvrait de baisers et le soignait de parfum. »[61] La pécheresse sera pardonnée à hauteur de ses péchés et ne sera pas rabrouée, bien au contraire, pour avoir laissé sa chevelure découverte et s’en être servie… ; je pourrais couvrir des pages entières avec toutes les citations misogynes de Paul mais cela n’apporterait rien de plus ; à mon sens, on voit déjà très bien ici les fondements de certaines prescriptions du clergé catholique qui ne laissent aucune place aux femmes ; il s’agit d’une déviation majeure vis-à-vis du Message que l’on trouve dans les évangiles où les femmes ont une place de choix et jouent un rôle important (et ce n’est pas à la « Vierge Marie », très peu citée, que je fais allusion).
Pour résumer, si Paul s’est mis à enseigner du jour au lendemain, il n’a pas commencé par enseigner la « bonne nouvelle » annoncée par Jésus mais ce qu’il savait, la Loi juive et le mode de fonctionnement juif de l’époque. La seule adaptation était d’ouvrir l’enseignement aux non Juifs. Par un brusque changement, on est ainsi passé sans transition du « Discours contre les scribes et les Pharisiens »[62] de Jésus au mode de fonctionnement tel qu’un Pharisien pouvait le concevoir. Je rappelle que je ne me permets pas pour autant de juger Paul. Si l’on ne voit pas comment il aurait réellement pu enseigner ce qu’il ne connaissait pas au lendemain de sa conversion, il est cependant bien possible qu’il ait évolué. C’est d’autant plus probable que l’on retrouve ici ou là dans les épîtres de Paul des propos qui collent beaucoup plus au Message que j’identifie dans les évangiles. Ils sont, il est vrai, souvent noyés dans le reste.[63]
Du Message limpide et dépouillé donné par Jésus, on obtient ainsi quelque chose de ténébreux, c’est bien le mot, qui brouille admirablement le message ; « admirablement » est ici employé dans le sens purement technique de l’admiration qu’on pourrait avoir à propos de l’habileté de Satan à démolir le message que Dieu a envoyé aux hommes… ; pire, non seulement le Message est noyé dans du verbiage mais en outre, les actions positives à pratiquer sont elles aussi occultées et remplacées par une quantité d’actions parasites qui accaparent des moyens qui seraient bien mieux utilisés autrement : prières quasi idolâtres, tout un cérémonial à pratiquer en commun, collectes d’argent, repentir et lamentations sur les péchés qu’on a pu commettre voire sur ceux d’Adam et Eve, efforts pour rester chaste à tout prix, attitude vis-à-vis des femmes qui ne demandaient rien à personne, etc.
Pour conclure cet examen du rôle de Paul, j’en suis arrivé à considérer que si l’on veut accorder foi à l’enseignement contenu dans les évangiles, il faut mettre Paul au rang des faux prophètes, peut-être faux prophète malgré lui et sa sincérité, l’homme n’est pas en cause, mais le résultat est là : en répercutant le Message, il le fait dévier…, il l’enterre même sous des flots de verbiage et de discours théologiques fumeux quand il ne va pas purement et simplement à son encontre ! C’est bien le démarrage dans la « mauvaise voie ». D’un point de vue chrétien, Paul se serait fait « embobiner » par Satan qui aurait fait de lui un faux prophète ; d’un point de vue agnostique, la partie animale de la nature humaine aurait très vite repris le dessus sur une tentative d’élévation à des comportements supérieurs. Peu importe, ou plutôt, c’est la même chose présentée de deux manières différentes… et elle est bien affligeante !
Bien sûr, tout n’est pas négatif dans Paul. Il y a notamment ce fameux passage de la première épître aux Corinthiens sur l’amour. Le clergé catholique le met à toutes les sauces. « …L’amour est patient ; serviable est l’amour, il n’est pas envieux ; l’amour ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; il ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice mais se réjouit de la vérité. Il supporte tout, croit tout, espère tout, endure tout… »[64]. J’ai retrouvé le même texte sur Internet avec « il ne jalouse pas » à la place de « il n’est pas envieux », ce qui me satisfait encore plus. Si l’on savait à qui s’applique cet amour, ce que Paul ne précise pratiquement jamais, s’il n’y avait pas plus de propositions négatives que positives et s’il ne venait pas loin dans une épître qui présentait bien des défauts évoqués précédemment, je n’aurais rien à redire à ce texte et j’y adhérerais totalement. Par contre, si cet « amour » s’applique à un Dieu inaccessible et inimaginable au lieu du prochain, s’il s’applique d’abord à « soi-même » (« Tu aimeras ton prochain comme toi-même… »), la dérive est bien triste… Je présenterai au chapitre 5. mon propre point de vue d’agnostique sur le sujet. Par contre, que l’amour ne soit pas envieux ou jaloux, comme on voudra, me semble un aspect essentiel auquel je tiens beaucoup.
Quand on réfléchit globalement à toute l’œuvre de Paul, c’est surtout le mot « orgueil » qui vient à l’esprit, orgueil de celui qui veut imposer « sa » Vérité aux autres, de celui qui veut commander, de celui qui prétend être plus saint que les autres… Paul n’est ni le seul, ni le premier, et il s’agit d’un des ressorts essentiels du prosélytisme. Comment pourrait-on être prosélyte si l’on n’a pas l’orgueil de croire qu’on en sait plus que les autres ? C’est pire encore si l’on croit qu’on a été « appelé » et qu’on le crie sur les toits : si quelqu’un a été vraiment appelé, c’est plutôt Matthieu que Paul ; où en trouve-t-on trace dans son évangile ? Mais aussi, cela montre à quel point il faut être circonspect avec toutes les traces d’orgueil, toutes les affirmations péremptoires, si l’on veut comme j’essaie de le faire chercher le vrai Message universel qui devrait servir de guide à chaque être humain, à l’agnostique que je suis en tout cas. Dans le Message de Jésus, il y avait au contraire partout en filigrane le mot « humilité », ce qui est tout le contraire.
L’évangile de Luc.
Arrivé à ce point, il ne me paraît guère utile de m’étendre sur l’évangile de Luc, disciple de Paul. Il contient lui aussi de telles déviations, bien qu’atténuées. S’agissant d’un évangile, l’auteur ne pouvait se mettre totalement en opposition avec les autres évangélistes. On y retrouve donc quand même très largement le fameux Message. Je ne donnerai donc que deux exemples de déviations :
-Luc se prétend historien ; à cette époque, un historien n’était pas ce qu’il est aujourd’hui ; on a cependant peine à imaginer que toutes les fioritures rajoutées au début puisse rentrer dans un tel cadre ; c’est ainsi qu’on trouve le texte des propos de Marie après sa rencontre avec Elisabeth (dont il n’est pas fait mention dans les autres évangiles), sous forme d’un « cantique d’action de grâce »[65], tout comme la prophétie de Zacharie[66] et le cantique de Siméon[67] ; bien entendu, tout ceci, qui n’apporte rien au Message, ne fait que le noyer un peu plus dans un fatras ; miracles ou pas, on ne voit pas comment Luc aurait pu se procurer ces textes entre 40 ans et 140 ans après les évènements… ; on verra que c’est là le premier pas dans la voie qui a conduit peu après aux évangiles apocryphes ;
-le cas du bon et du mauvais larron que j’ai cité précédemment est particulièrement caractéristique du démarrage du mécanisme déviant ; il est absolument limpide en lisant Marc et Matthieu que les deux larrons injuriaient « à égalité » Jésus en croix ; Matthieu était témoin oculaire et Marc tenait en principe ses connaissances de Pierre et peut-être de l’évangile de Matthieu… ; le changement d’attitude dans l’évangile de Luc ne peut donc qu’être un « pieux mensonge » destiné à l’édification des foules ; on ne voit en effet pas, même si Luc avait écrit avant, comment Matthieu et Marc auraient pu faire une telle erreur « à rebours » ; il est exact qu’il est beaucoup plus édifiant d’avoir un des larrons qui injurie Jésus et l’autre qui se repente… mais c’est un mensonge quand même ; à partir du moment où le doigt est mis dans l’engrenage, le corps y passe tout entier… ; en un mot, si l’on peut faire un pieux mensonge, on peut se mettre à mentir à tout propos du moment que l’intention est bonne ; simplement, on ne peut plus rien maîtriser et les fidèles s’en apercevant risquent de perdre tout repère ; c’est bien le sens de la parole très forte de Jésus « on ne peut s’asservir à Dieu et Mammon »[68]… ; du moment qu’on commence à mentir, si peu que ce soit, on a changé de camp, tous les repères sont perdus et toutes les déviations sont permises.
Les actes des apôtres …
Comme je l’ai évoqué plus haut, les actes des apôtres laissent plus de place aux actes du « néo-apôtre » Paul qu’à ceux des onze autres réunis… Je pourrais continuer à relever des dizaines d’exemples de déviations mais à quoi bon ? Je ne retiendrai qu’un élément mais il est de taille ! Les miracles ne servent plus à guérir… mais à tuer ! Et c’est à Pierre qu’on attribue les deux premiers « meurtres miraculeux », pour une sordide question d’argent qui ne lui a pas été remis en totalité ! Il s’agit de l’épisode d’Ananie et Saphire[69]. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, j’en citerai juste le début jusqu’à la « mort miraculeuse » d’Ananie :
« Un homme du nom d’Ananie, d’accord avec Saphire, sa femme, vendit une propriété, détourna une partie du prix, de connivence avec sa femme, et apporta le reste qu’il déposa aux pieds des Apôtres. Mais Pierre dit : « Ananie, pourquoi le Satan a-t-il rempli ton cœur, pour que tu mentes à l’Esprit, l’[Esprit] Saint, et que tu détournes une partie du domaine ? Quand il restait [invendu], ne te restait-il pas, et une fois vendu, n’était-il pas à ta disposition ? Comment as-tu pu mettre dans ton cœur cette action ? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti mais à Dieu. » En entendant ces paroles, Ananie, tombant, expira… » Arrive ensuite sa femme Saphire qui ment aussi sur le prix du domaine et qui meurt…
Dans la suite, Dieu lui-même se charge d’un autre meurtre miraculeux en tuant Hérode[70].
Mais quels miracles ? Quand Jésus guérissait un paralytique ou un aveugle ou ressuscitait Lazare, s’il a jamais fait tout cela, il s’agissait bien de miracles : aucun homme n’a le pouvoir de faire cela. Par contre, tuer, n’importe qui peut tuer quelqu’un d’autre. Il n’y a nul besoin de Dieu ni de miracle. Pierre n’aurait eu qu’à s’emparer d’un glaive. Oui, mais Jésus le lui avait interdit explicitement !
Dans ces conditions, on peut comprendre la logique qui se met en place et qui conduira Rome à faire tuer des milliers d’hérétiques ; si l’on attribue à Pierre d’avoir commencé, pourquoi ses successeurs ne feraient-ils pas encore « mieux » ? Par ailleurs, Paul n’a-t-il pas lancé lui-même pour la première fois la notion d’ « hérétique » : « Quant à l’hérétique, après un premier et un second avertissement, rejette-le, sachant qu’un tel homme est un dévoyé et un pécheur qui se condamne lui-même. »[71]. Dès Paul et Luc, le Message se trouve déjà plus que détourné, pris à rebours, et ce d’autant plus que la notion d’hérétique ne peut se comprendre que par référence à des dogmes et que Jésus s’est gardé d’en donner.
Paul et ses disciples, dont Luc, ont mis en place une « Eglise » fondée sur une hiérarchie, pratiquant des collectes (quelques siècles après, ce seront des « prélèvements obligatoires » comme les dîmes…), remplaçant l’action positive par la contrition ou la prière collective et ostentatoire[72], mettant en place des sanctions pour ceux qui ne « filent pas droit », toutes choses qui vont complètement à contresens du Message, de la « Bonne Parole » que contiennent les évangiles… Les notions de pieux mensonge, de punir de mort celui qui ne veut pas donner tous ses biens à l’Eglise (et non plus au pauvre…), d’hérétique, etc. sont déjà en place. Comment s’étonner alors de ce qui se passera dans les siècles postérieurs ?
Elément marginal de mon point de vue mais majeur pour les chrétiens, tout ceci remet complètement en cause l’interprétation de la venue de Jésus-Christ pour autant qu’on croie qu’il est le « Christ ». Jésus est venu apporter un Message, à la suite des prophètes qui ont annoncé sa venue. Il n’est donc pas venu mourir mais tout d’abord vivre et enseigner. Qu’il soit mort était dans sa nature d’homme, qu’il ait été ou non Dieu incarné. Qu’il soit mort sur une croix dans des conditions épouvantables n’est pas l’essentiel. Qu’il ait ressuscité a juste la signification qu’il était plus fort que la mort et les forces terrestres. Les évangiles de Marc et Matthieu s’attardent très peu sur ce point. Son enseignement est donc d’abord un enseignement positif, une morale d’action. Ce sont les fondateurs de l’église catholique et tout d’abord Paul et Luc qui ont transformé sa venue en une venue pour mourir, pour sauver les pècheurs, etc. « Le monothéisme est thanatocratique, lié à la mort, tout au moins dans le christianisme martyrophile. Comme le disait Saint Paul : « Pour moi, la vie, c’est le Christ et mourir représente un gain. Je préfère une mort qui conduit à la vie qu’une vie qui conduit à la mort. » »[73]. Je n’invente donc pas, y compris pour ce qui est de ma perception de l’influence de Paul. D’autres ont eu la même vision des choses, à partir du moment où ils ont pris du recul…
3.3.1.3. Les autres textes :
évangile et Apocalypse de Jean, autres épîtres.
J’ai pour le moment laissé de côté les écrits attribués à Jean ainsi que quelques épîtres. Prenons-les les uns après les autres
3.3.1.3.1. L’évangile de Jean.
Tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’il présente un plan bien différent des trois autres. En outre, certains mettent en doute qu’il ait été écrit par l’apôtre Jean lui-même. Bon nombre pensent qu’il a été écrit à la fin du premier siècle, donc alors que l’apôtre Jean avait déjà un âge canonique, surtout pour l’époque. Si l’on en croit le traducteur de ma Bible, Emile Osty, les évènements qu’il rapporte sont souvent différents de ceux décrits dans les autres évangiles et même ceux qui sont communs le sont différemment : « Dans les rares passages où saint Jean raconte les mêmes faits que les synoptiques [les trois autres évangiles], son récit présente une foule de particularités, soit pour l’allure de la narration, soit pour le vocabulaire, soit pour le style… »[74]
Mais peu importe, ceci ne me concerne nullement. Bien au contraire, il est très intéressant de constater que le Message est bien toujours présent dans cet évangile… et peut-être moins enjolivé et noyé que dans celui de Luc. Il est même enrichi par certains épisodes comme celui de la femme adultère qu’on ne retrouve pas ailleurs « Que celui qui est sans péché lui jette le premier une pierre »[75]. On y retrouve aussi un orgueil naïf qui avait déjà été mis en évidence par les autres évangélistes[76] et qui fait que Jean se présente comme « le disciple préféré »[77], comme si Dieu avait des préférés ! Mais là aussi, qu’importe ! L’essentiel reste présent, que Jean ait eu des faiblesses d’homme, comme les autres apôtres et de surcroît à un âge avancé, c’est bien normal.
Dans ces conditions et compte tenu de l’optique dans laquelle j’écris, il n’y a pas lieu que je m’étende plus sur cet évangile.
3.3.1.3.2. L’Apocalypse de Jean.
Il s’agit d’un fatras incroyable ! Je sais que ce texte est dans la lignée de nombreux autres de la même époque, que c’est presque « un genre littéraire » du moment, que l’on peut décrypter un à un tous les symboles qu’elle contient… mais c’est justement ce que je critique par ailleurs : les textes qui embrouillent le Message si simple que l’on trouve dans les évangiles, les textes qui font perdre du temps et des forces qui pourraient être mieux utilisées à aimer son prochain, donc à aider celui-ci. En outre, suivant les auteurs, les interprétations ne semblent pas concordantes. Et je ne parle pas de ceux qui ont utilisé ce texte et d’autres du même genre pour alimenter un ésotérisme de la pire espèce permettant toutes les spéculations, toutes les idolâtries, voire escroqueries suivant les époques.
Il faut néanmoins lui rendre cette justice que, contrairement aux déviations de Paul et Luc qui conduisent à prendre le Message initial à rebours et sont donc gravement nuisibles, ouvrant la porte à toutes les turpitudes, l’Apocalypse de Jean ne va pas à rebours. Au contraire, elle serait plutôt de nature à inspirer une « sainte terreur » du Jugement dernier. Même si le Message délivré par Jésus est par essence positif, aimer son prochain, ce « renforcement négatif » pousse dans le même sens. Jésus parle aussi du « Jugement ». Les thèmes de l’Apocalypse seront très fréquemment repris dans l’Art, depuis l’époque romane et avant jusqu’à Lurçat. Ils poussent globalement dans la bonne voie, même si ce n’est pas ce qu’on peut faire de plus subtil ni de plus adroit…
3.3.1.3.3. Les autres épîtres (ou
« épîtres catholiques »… comme si celles de Paul ne l’étaient
pas !...)
Elles sont peu nombreuses mais très diverses. Je dirai donc un mot rapide sur chaque.
L’épître de Jacques. Après la lecture de celles de Paul, on respire ! On trouve enfin le fameux « Message » décliné de façon sobre et claire avec des conseils d’application pratique ! Plus de questions de gros sous (sauf au contraire pour stigmatiser les riches), plus de questions de hiérarchie, plus de pouvoir les uns sur les autres. Le « Tu aimeras ton prochain» est mis au centre du discours.
Une phrase m’a paru particulièrement intéressante : « Que personne, étant dans l’épreuve, ne dise : « C’est Dieu qui m’éprouve » ; car Dieu est à l’abri des épreuves du mal, et lui-même n’éprouve personne. Chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui le tire et le prend à l’amorce ; puis, la convoitise ayant conçu, enfante le péché, et le péché, une fois consommé, donne naissance à la mort. »[78] Cette citation évoque irrésistiblement pour moi la genèse de la souffrance telle que la présente les bouddhistes, même si le terme péché ne fait pas partie de leur vocabulaire.
Il en va de
même de la première épître de Pierre.
On retrouve aussi le « Message » de Jésus. Rejet de l’or et de l’argent,
amour pour les autres, soumission aux autres et à l’injustice sans rendre les
coups (« Ne rendez pas le mal pour le mal ni l’insulte pour l’insulte »[79]),
autorité des anciens par l’exemple et non par la domination, etc. Même les
devoirs des époux ne sont plus un anathème jeté sur la femme mais une relation
aussi symétrique que les mœurs de l’époque le permettaient (le « Maris,
pareillement : sachez comprendre dans la vie commune, que la femme est un
être plus faible ; »[80] est tout
à fait adapté et correct dans une société où la force et l’activité physiques
étaient primordiales). On pourrait peut-être pinailler la prépondérance dans
cette épître de la part revenant à la mort de Jésus sur celle revenant à son
enseignement. Il ne s’agit pas là réellement d’une déviation dans la mesure où
l’essentiel du Message est repris. Il faut bien adapter l’enseignement à
l’auditoire et aux circonstances !
Il n’en va pas de même de la deuxième épître de Pierre. Toute négative, jetant l’anathème sur on ne sait qui, « les pécheurs et les païens » en général sans doute, elle donne des buts du genre : « …[Dieu] voulant, non que certains périssent, mais que tous arrivent au repentir. »[81] Quel triste rétrécissement de l’enseignement de Jésus que la réduction du but à atteindre au seul « repentir », qu’il n’a du reste jamais prôné explicitement… ou encore « Toutes ces choses devant être ainsi dissoutes, quelles ne doivent pas être la sainteté de votre conduite et votre piété… », termes vagues auxquels l’épître n’apporte aucune déclinaison concrète. Pour finir, elle recommande Paul et ses lettres, ce qui confirme bien la retombée dans les dérives pauliniennes. Emile Osty[82] considère que cette épître ne serait pas de Pierre. Cela fait toujours plaisir intellectuellement pour Pierre qu’on a déjà vu accusé (de manière probablement injuste) d’ « assassinat miraculeux » dans les Actes des apôtres. Cela lui retire, là aussi, cette image très négative. Mais cela ne change rien au fait qu’elle fait partie du canon de l’église catholique, qu’elle a été rédigée à la même époque que les autres textes et qu’elle va elle aussi dans le sens des dérives que j’ai abondamment soulignées.
Les épîtres de Jean sont extrêmement embrouillées. Si l’on n’y retrouve guère le Message, on ne saurait leur faire toutes les critiques faites pour celles de Paul. On y trouve surtout un « prêchi-prêcha » qui n’a que fort peu d’intérêt… Dès la première, on recommence quand même avec le péché, comme si ce qui est important est ce qu’on a fait de mal et non ce qu’on va faire de bien… En fait, on nage entre galimatias et rabâchage… Il faut se garder du péché et il faut aimer mais quel péché, qu’est-ce qu’aimer à part une idolâtrie envers Dieu qui ne dit pas son nom ? Tout cela, on ne le sait pas malgré un usage ahurissant du verbe « aimer » à toutes les lignes. Si l’on applique cela, on se « confit » en dévotion sans appliquer quoi que ce soit des évangiles et l’on « s’aime les uns les autres » au sein d’une coterie qu’est l’église naissante. On est bien loin d’aimer son ennemi : il y a des pécheurs, des faux prophètes et des « antichrists » partout que l’on n’aime pas !!! Dans la deuxième épître, le « Si quelqu’un vient vers vous et n’apporte pas cet enseignement, ne le recevez pas à la maison et ne le saluez pas. »[83] constitue un rejet du monde extérieur et une fermeture aux pécheurs présumés. Cela semble bien contraire à l’amour recommandé partout dans ces épîtres comme dans l’enseignement de Jésus… Quant à la troisième épître, elle jette carrément l’anathème sur un individu… Néanmoins, ces textes ne présentent pas toutes les dérives de Paul et il ne m’appartient pas de juger s’il était adapté aux interlocuteurs auxquels il s’adressait. Comme pour l’Apocalypse, le texte ne me semble pas déboucher réellement sur de quelconques déviations ou turpitudes ultérieures et là est le point important.
L’épître de Jude, très courte, est une « épître de combat ». D’après Emile Osty, Jude est un « ponte » de la première heure, « frère de Jacques, l’évêque de Jérusalem, et, comme lui, cousin de Jésus »[84]. S’agissant de combat humain, elle ne saurait aller dans le sens du Message. Dès les premières lignes, l’expression « combattre pour la foi »[85] apparaît (on pense déjà à « Croisades » voire « Jihad »…) tandis qu’on note vers la fin : « quant aux autres, ayez pitié d’eux avec crainte, haïssant jusqu’à la tunique tachée par leur chair. »[86] Encore l’anathème jeté sur on ne sait qui sans aucun message positif. Que de haine pour quelqu’un qui doit en principe aimer ! Que d’orgueil et de volonté de pouvoir pour quelqu’un qui écrit pourtant qu’on ne doit pas juger !… Mais ce texte mineur qui a bien failli ne pas faire partie du canon catholique et qui témoigne, comme les épîtres de Paul, des déviations qui ont eu lieu dès les débuts de la chrétienté, ne mérite pas qu’on s’y attarde plus.
3.3.1.4. Les évangiles apocryphes.
En lisant les commentaires d’Emile Osty dans sa traduction de la Bible, on constate que si le « canon » délivré aux fidèles de l’église catholique réside dans la Bible, il semble y avoir de multiples autres textes qui concernent notamment l’histoire des débuts de l’église chrétienne. En effet, Emile Osty y fait référence en permanence pour éclairer les commentaires ou la compréhension des textes. Ces textes sont peu accessibles et leur authenticité ne peut qu’être suspecte (à 2000 ans d’écart, on aimerait savoir quels sont les textes réellement authentifiés et ceux qui sont apocryphes ou qui ont été très largement déformés avec le temps). Même si le « Message » est seul important et tient en peu de choses en volume, et à défaut d’avoir accès à toute cette documentation, il m’a paru utile de jeter un coup d’œil sur les textes des évangiles apocryphes qui sont passés à ma portée… Ils aident à la compréhension des déviations successives dans les actes de l’église catholique, puis de bon nombre d’autres églises chrétiennes et ce pour deux raisons au moins :
-dans la lancée des déviations que j’ai présentées précédemment, les évangiles apocryphes vont beaucoup plus loin et montrent par effet de caricature jusqu’où on a pu aller ; tout cela a en effet conduit à prendre l’enseignement de Jésus complètement à rebours ou selon les cas, à le noyer dans un fatras, voire à le ridiculiser ; en un mot, ils sont une première illustration des excès auxquels on peut arriver quand on a commencé à dévier ;
-malgré leurs excès et l’exclusion du « canon » de l’église catholique, on se rend parfaitement compte qu’au fil du temps, ils ont quand même été considérés comme « parole d’évangile » ; c’est ainsi que bon nombre d’éléments que l’on considère comme faisant partie des éléments de base catholiques proviennent de ces évangiles non reconnus officiellement ; il en va du reste de même pour de nombreuses croyances locales sur des lieux de pèlerinage ou des saints qui sont soumises à la même ambiguïté ; non reconnues officiellement, elles ne sont pas pour autant désavouées… ; elles conduisent les fidèles à substituer de l’idolâtrie facile à l’application beaucoup plus difficile du Message initial ; il est au demeurant curieux de constater que de nombreux épisodes supposés issus du Nouveau Testament et ayant fait l’objet d’œuvres picturales parfois très célèbres n’ont pas d’autre source ; ceci nous montre bien à quel point la croyance dans ces textes était enracinée, y compris dans le clergé catholique, à diverses époques de notre histoire.
« Le protévangile de Jacques, première source grecque des récits relatifs à Marie et à l’enfance du Christ remonte probablement à la fin du deuxième siècle de notre ère. Relayé dans l’Occident latin à partir du sixième siècle par l’évangile du pseudo-Matthieu, il connut sous cette forme une fortune considérable : plus de cent-soixante manuscrits en sont parvenus jusqu’à nous. »[87]. Les évangiles apocryphes sont donc anciens. Rien que le titre de la partie d’où je tire la citation précédente est tout un programme : « Livre de l’enfance du Sauveur » ! En effet, pour faire oublier pourquoi Jésus enseignait et ce qu’il enseignait, il n’y a pas mieux.
Un seul exemple de cette prose étonnante : (Jésus à l’âge de deux ans lors de la fuite en Egypte) « Il y avait avec Joseph trois jeunes gens et avec Marie une jeune fille qui faisaient route avec eux ; et voici que tout à coup sortirent de la grotte de nombreux dragons, à leur vue les jeunes gens se mirent à hurler de terreur. Alors, Jésus descendant des genoux de sa mère se tint debout devant les dragons. Ceux-ci adorèrent Jésus puis se reculèrent. […] Mais Marie et Joseph avaient très peur que Jésus ne soit blessé par les dragons ; il leur dit donc : « N’ayez pas peur et cessez de me considérer comme un bébé car j’ai toujours été adulte. Il faut que tous les animaux de la forêt s’adoucissent devant moi ». Tout pareillement, les lions et les léopards l’adoraient et l’accompagnaient dans le désert. »[88] Bien entendu, les rédacteurs de ces évangiles ont ensuite bien du mal à expliquer pourquoi Jésus se laisse crucifier, ou plutôt se fait crucifier, avec tout ce pouvoir qu’il a et dont il use et abuse à tort et à travers…
Et ainsi de suite… On comprend aisément le fossé qui existe entre l’enseignement de Jésus dans les évangiles de Matthieu et de Marc et ces textes, avec, en intermédiaire, les textes de Luc qui montrent déjà la voie… Le tout servira bien au cours des siècles un clergé qui exige des dîmes et montre son pouvoir à travers ce Jésus tout puissant qui enverra en enfer ceux qui ne paient pas…
Les images issues de ces évangiles ont fait florès, montrant bien leur importance occulte. Il ne faut pas aller chercher plus loin des clichés comme celui de l’âne et du bœuf de la crèche, repris à toutes les époques, dans de nombreuses œuvres d’art et jusque dans les crèches faites actuellement par les croyants à Noël. Si ces sympathiques animaux symbolisent l’adoration de toute la création vis-à-vis du Christ, ils conduisent cependant à substituer à l’action conforme au Message une adoration béate qui ne coûte pas cher…
En marge des évangiles apocryphes, le cas de Marie Madeleine (ou Marie la Magdaléenne) est tout à fait ahurissant. Je ne saurais trop conseiller à ceux qui voudraient s’en persuader de consulter des articles disponibles sur Internet à son sujet. On l’a mise à toutes les sauces si j’ose dire, depuis prostituée jusqu’à épouse de (saint) Jean ou de Jésus, vierge ou au contraire ayant eu des enfants cachés. Elle a fait l’objet d’une riche iconographie, picturale en particulier, et souvent sous les traits d’une prostituée ou pour parler avec la langue de bois d’usage, d’une pécheresse (repentie). Or objectivement, si les évangiles parlent d’elle, on ne sait rien de plus que son origine de Magdala et qu’elle fut « délivrée de sept démons » par Jésus. Elle n’apporte rien au Message sinon de montrer, ce qui est essentiel mais a été largement oublié par ceux qui ont affabulé sur elle, que Jésus ne faisait pas d’ostracisme vis-à-vis des femmes (contrairement à Paul…). Cet oubli devait certes bien arranger les hommes qui, « grâce à elle », pouvait à la fois admirer une iconographie assez sémillante tout en considérant que la pécheresse c’était d’abord la femme que ce soit Eve ou Marie-Madeleine… Tout l’inverse du Message, là encore…
3.3.1.5. Constantin. Le concile de Nicée
et la suite...
Du point de vue de l’évolution de l’Eglise supposée avoir été fondée pour appliquer l’enseignement de Jésus, la période du début du quatrième siècle est fondamentale. En effet, peu après les persécutions de Dioclétien, l’empereur Constantin, à la suite de la bataille du pont de Milvius, promulgue un édit de tolérance en 314. Jusque-là, rien à redire. Mais bien que n’étant pas baptisé, il intervient dans le schisme concernant le donatisme et, surtout, convoque et préside le concile de Nicée en 325 qui traite en particulier de l’arianisme. Le sujet est de se mettre d’accord sur la nature des relations entre le Père et le Fils… [89]
On entre alors vraiment dans le domaine du n’importe quoi. Le pouvoir séculier s’impose de toute sa force sur l’Eglise, même si Paul avait déjà commencé dans cette voie. On mesure combien on s’est éloigné du Message initial ! On a « rendu à César ce qui appartenait à Dieu » en lui attribuant un pouvoir temporel sur l’Eglise, même s’il subsiste une hiérarchie ecclésiastique théoriquement indépendante. Des querelles absurdes animent l’église primitive. Si, en tant qu’agnostique, je prétends non seulement qu’on ne peut pas savoir si Dieu existe et encore moins ce qu’il est, ça n’est pas pour sombrer dans l’étude de telles querelles. Paul avait « inventé » le terme « hérésie », avec l’arianisme, le concile de Nicée a commencé à lui donner corps même s’il ne l’a pas utilisé explicitement. Le pouvoir séculier de l’église catholique étant appelé à croître, on en arrivera tout naturellement à la situation que je vais décrire ensuite pour les premiers siècles du deuxième millénaire. On n’en est pas encore aux querelles byzantines du quinzième siècle, par exemple sur le sexe des anges, mais on est dans la « bonne voie »…
Cette voie se confirmera assez peu de temps après avec le baptême de Clovis et le démarrage des dynasties de rois « de droit divin ». Elle sera poursuivie avec une quantité d’inventions dénaturant toutes le Message initial. Depuis les « anges gardiens » jusqu’au Purgatoire et aux Limbes, depuis la mise au point d’une chronologie à l’année près de toute la Bible depuis Adam et Eve jusqu’à la définition des péchés capitaux et véniels, depuis la redécouverte des sépultures des saints, par exemple saint Jacques à Compostelle, jusqu’à la multiplication des reliques au point qu’on pourrait construire dix croix avec les reliques de la « vraie » Croix, l’imagination fertile des clergés comme celle des fabricants de faux s’en est donnée à cœur joie au fil des siècles !
Je laisse la conclusion à Gandhi : « Mais aujourd’hui je m’élève contre le christianisme dogmatique dans la mesure où je suis persuadé que sa doctrine a déformé le message de Jésus. Le Christ était un Asiatique dont le message fut transmis selon des moyens très divers ; mais lorsque cette religion reçut le soutien d’un empereur romain, elle devint impérialiste et l’est restée jusqu’à nos jours. Evidemment, il y a d’éclatantes exceptions, mais elles sont rares. »[90] En tout cas, il n’y a pas que moi qui ai parlé de « message » et celui qui l’a fait avait infiniment plus d’autorité et de clairvoyance que moi, même s’il m’est apparu à la lecture du livre qui contient cette citation que, contrairement à ce que je croyais, je ne partageais pas la totalité de ses idées.
3.4. Les Cisterciens, les Cathares, les Béguins, St François d’Assise, etc.
A toutes les époques, deux sortes de phénomènes se sont régulièrement produits. D’une part, les déviations sur des points de dogme comme ceux que je viens d’évoquer. Leurs conséquences ne furent que des conflits stériles, même s’ils furent parfois violents. D’autre part, des aspirations au retour vers le message primitif, ce que j’ai appelé tout au long du présent texte « le Message ». Ce fut tout particulièrement le cas au début du deuxième millénaire. Le premier que j’évoquerai eut lieu dans le cadre de l’église catholique, c’est le mouvement cistercien. Le deuxième fut l’ « hérésie » cathare. Le troisième est un peu plus ambivalent ; il s’agit du mouvement lancé par François d’Assise. S’inscrivant tout d’abord avec bien des difficultés dans le cadre de l’église officielle, il se sépara ensuite en deux sous la pression des évènements, ou plutôt devrais-je dire, de la papauté ; le premier courant s’inscrivit dans le cadre de l’église catholique et prit en main une partie de l’Inquisition conjointement avec les dominicains alors que le deuxième courant, débouchant sur ce qui fut appelé « Béguins » par l’Inquisition fut impitoyablement massacré dans des circonstances parfois pires et moins connues que dans le cas des Cathares. Je n’évoquerai pratiquement pas toutes les autres sectes et « déviations » (au sens de l’église catholique), vaudois, etc., sauf pour dire un mot du sort de Dolcino de la secte des Pseudo-Apôtres.
3.4.1. Les Cisterciens. Les aspirations
au retour vers le Message primitif.
Je ne retiendrai que quelques grandes lignes, l’essentiel étant l’idéal de retour à un ascétisme allié au travail qui anime Robert de Molesme, son fondateur à la fin du onzième siècle. Si je suis loin de penser que se retirer du monde est le meilleur moyen d’aimer son prochain, chacun trouvant sa voie, je dois reconnaître qu’il s’agit d’une voie dure qui rejoint relativement bien le « Message » dans sa propre dureté.
C’est le rôle de Bernard de Clairvaux (« saint » Bernard) un siècle plus tard qui est intéressant. C’est en effet à lui qu’on se réfère le plus souvent pour le démarrage de l’ordre cistercien. Or il faut bien reconnaître que l’œuvre de Bernard est excessivement contestable dans de nombreux domaines. Pour ce qui est de l’ordre cistercien, son action fut bénéfique en ce sens que c’est surtout lui qui le fit prospérer. Hélas, il faut aussi entendre par là développer une multitude d’abbayes avec les richesses correspondantes, même si les moines eux-mêmes continuèrent largement à appliquer l’ascétisme fondateur. Par contre, le rôle mondain de Bernard, son investissement, au moins oratoire, dans la lutte contre le catharisme, et surtout son appel à la Croisade, c’est-à-dire à la guerre, le rendent très suspect vis-à-vis de l’application de l’enseignement de Jésus. Cette comparaison ne doit pas être poussée trop loin mais je serais assez enclin à penser qu’il joua le même rôle par rapport à Robert de Molesme que Paul par rapport à Jésus. Il structura, géra, fit fonctionner, amassa des richesses, appela au combat, imposa son pouvoir et s’investit lui-même dans des combats, au moins oratoires. L’humilité prônée par Jésus et le « Tu ne tueras point » semblent avoir été un peu perdus de vue dans l’impétuosité de son existence… L’esprit de Robert de Molesme fut largement dévié et dénaturé « dans la bagarre » (ce dernier terme évoquant bien l’action de Bernard de Clairvaux, à l’opposé de l’esprit de Jésus…)
Mais comme je l’ai indiqué, je n’évoque les Cisterciens que pour leur rendre justice : eux aussi ayant suivi un mouvement de retour aux sources au sein même de l’église catholique.
3.4.2. Les Cathares.
Sept siècles nous séparent d’eux, ce qui permet de regarder les évènements avec une certaine sérénité. Il est aussi bien entendu qu’il s’agit d’un exemple. Je vous laisse le soin de juger si des cas analogues plus récents existent, par exemple diront certains, attitude de l’église catholique pendant la dernière guerre mondiale, en Espagne sous le franquisme ou peut-être actuellement dans certains pays plus ou moins lointains. Pour ma part, j’ai une opinion à ce sujet mais elle n’apporterait rien à mon propos et ne ferait que le polluer. Je me garderai donc bien de l’aborder. Il s’agit là de sujets beaucoup trop brûlants dont chacun sera juge s’il le souhaite, Dieu s’il existe… mais en tout cas pas moi !
Dans la France du douzième siècle, et même avant et hors de France, des hommes, les Cathares, ont voulu extraire du Nouveau Testament le message qui ressort quand on va à l’essentiel et qu’on passe outre aux contradictions. En dehors d’une théologie plus ou moins manichéiste dans laquelle je refuse de me plonger car, comme je l’ai indiqué précédemment, elle ne fait que polluer l’essentiel des démarches, ils en ont tiré une discipline de vie individuelle et sociale toute de charité, de pauvreté et de foi, alliée au fait de travailler de ses mains pour gagner sa subsistance.
Curieusement, si l’on en croit Emmanuel Le Roy Ladurie[91], on s’aperçoit que les gens en question, habitants des villages de l’Occitanie en général pauvres (ou petits nobles) étaient fort cultivés en ce qui concerne la Bible et réfléchissaient beaucoup. Le « Salut » n’était pas pour eux un vain mot. Comme cette conclusion est surtout déduite des écrits des inquisiteurs qui les ont pourchassés, on est en droit de penser qu’elle est tout à fait valide. En particulier, les « prédicateurs itinérants [Cathares] transportaient partout avec eux[92] » une Bible qui correspondait en gros au Nouveau Testament. Ceci implique, entre autres, qu’ils savaient lire et qu’une partie de leurs fidèles aussi. Ceci est à mettre en parallèle avec le manque de connaissances souvent attribué au bas clergé catholique de l’époque. Le fait que, dans les joutes oratoires qui eurent lieu, les protagonistes catholiques appartenaient au haut clergé très lettré, ayant souvent fait le déplacement pour la circonstance, s’explique ainsi. Bernard de Clairvaux en fut tout comme (saint) Dominique.
Si l’on suit Anne Brenon, les prémices du catharisme apparaissent vers la fin du Xème siècle, avant même la réforme grégorienne. Le dernier parfait Cathare identifié (et brûlé vif), Guilhem Bélibaste est mort en 1321, un dernier bûcher de 3 cathares est signalé en 1329. Le catharisme ne serait qu’un des aspects, monté en épingle, d’un phénomène beaucoup plus vaste qui s’est étendu depuis la Bulgarie jusqu’à l’Occitanie en passant par bien d’autres lieux, Champagne, Flandres, etc. Les « hérétiques » en question allaient tous vers un retour à la Bible comprise comme le seul Nouveau Testament ou presque, donc un retour à l’enseignement de Jésus qui conduisait ceux qui choisissaient cette voie à une pauvreté et un dépouillement extrême. Tous furent exterminés mais souvent plus discrètement que les Cathares eux-mêmes, plus nombreux et « voyants », il est vrai…[93] D’autres hérésies eurent cours à la même époque, comme celle des Vaudois ou des Pseudo-Apôtres, et conduisirent également à l’anéantissement de leurs adeptes. Je ne m’attarderai pas dessus, mon but étant de comprendre et mettre en lumière des mécanismes, pas de faire un texte historique pour lequel de très nombreuses personnes sont infiniment plus compétentes que moi.
Je retiens des textes auxquels j’ai eu accès les éléments suivants, sources de discorde entre église catholique ou pouvoir royal d’une part et catharisme d’autre part (en commençant par ceux mis en exergue le plus souvent) :
-discordances dogmatiques sur la foi elle-même : manichéisme supposé des Cathares, interprétation différente de la mort et de la résurrection du Christ, etc. ; ce furent bien entendu les arguments avancés par les catholiques pour lutter contre l’ « hérésie » en question ; comme je l’ai signalé incidemment plus haut, cette lutte commença tout d’abord par des joutes oratoires relativement anodines ; tout le monde ne pouvait en sortir que vainqueur de son propre point de vue…
-discordances territoriales entre le roi de France et les seigneurs locaux ; c’est l’extrême inverse de l’item précédent ; la croisade albigeoise n’aurait été pour certains qu’une guerre de conquête ;
-discordances souvent oubliées mais d’une importance primordiale entre la vie des Cathares, clergé et croyants et celle du clergé catholique :
-vœux de pauvreté des Cathares et de leur clergé et choix de vivre du travail de leurs mains et non de la charité des autres ; c’était donc l’inverse du clergé catholique vivant des dîmes et des revenus terriens de ses propriétés ; il est vrai qu’il semble que le bas clergé n’ait pas été très fortuné (mais participant d’une église très riche avec ses monastères et ses propriétés foncières) ; l’effet d’affichage vis-à-vis de l’église catholique en tant qu’institution richissime et au pouvoir temporel immense était bien entendu désastreux pour cette dernière… ;
-absence donc de demandes financières du clergé cathare à l’adresse de ses ouailles, alors que l’église catholique extorquait la dîme ; ceci explique certainement un nombre important de choses ; l’existence du catharisme enlevait à l’église catholique une partie de ses revenus financiers ; l’adoption de la foi cathare était également pour les croyants une aubaine financière les dispensant de verser la dîme…
-respect absolu par les parfaits cathares et la majorité de leurs croyants des enseignements du Christ, au premier rang desquels celui de ne pas tuer, donc de ne pas porter les armes ; même si cela ne constitua sans doute pas un élément décisif dans le déroulement de la guerre car il se trouva toujours des seigneurs armés pour les défendre, il n’y a pas de doute que cela a pu jouer.
Dans ce contexte se déroula la croisade proprement dite puis l’extermination des Cathares jusqu’au dernier. Là aussi, je ne conserverai que quelques éléments significatifs qui, à mon sens, éclairent particulièrement l’interprétation à laquelle j’aboutis. Les voici, dans l’ordre chronologique :
-conférence contradictoire entre cathares et catholiques à Lombers en 1165 (avant celles des années 1205 à 1207)
-expédition anti-hérétiques en 1181
-début de la croisade contre les albigeois en 1209 avec notamment le massacre de Béziers : de l’ordre de 10.000 à 20.000 morts dont une majorité de catholiques parce que les biterrois avaient refusé de livrer les cathares qu’ils abritaient ; c’est à cette occasion que la célèbre parole : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens » est supposée avoir été prononcée par Arnaud Amaury, légat du pape, abbé de Cîteaux, ce qui est tout un programme pour le représentant d’un Dieu qui est lui-même supposé avoir érigé comme premier principe : « Tu ne tueras point. »…)
-1221, mort de saint Dominique, fondateur de l’ordre des dominicains
-1226, mort de saint François d’Assise, fondateur de l’ordre des franciscains
-1229, interdiction de la possession et de la lecture de la Bible par les laïcs au concile de Toulouse ; cette interdiction était encore valable au milieu du vingtième siècle, je ne sais si elle a été abrogée depuis (source : communication orale d’un ami catholique convaincu) ;
-1233, création de l’Inquisition confiée par le pape aux dominicains et aux franciscains ; les dominicains nommés comme inquisiteurs à Toulouse commencent par exhumer des cadavres et les faire brûler, ainsi qu’une vieille femme agonisante… et ils sont chassés de Toulouse en 1235
-1252, la papauté autorise l’emploi de la torture par l’Inquisition.[94]
-aux alentours de 1323, fin de l’écriture du « Manuel de l’inquisiteur » par Bernard Gui
-1329, dernier bûcher de cathares
3.4.3.François d’Assise, les
Franciscains et les Béguins.
Au treizième siècle, une autre réaction aux déviations du clergé catholique vint de l’intérieur de l’église, de (saint) François d’Assise qui créa un ordre mendiant vivant dans le plus grand dénuement et se référant un peu aux mêmes passages de l’évangile que les Cathares. Ses dogmes n’étaient certes pas les mêmes mais débouchaient finalement sur un mode de vie et de dévotion peu différent.
Tous les textes que j’ai lus semblent montrer que François d’Assise eut déjà les pires ennuis avec la papauté pour se faire admettre puis faire admettre l’ordre qu’il fondait (la règle qu’il proposait fut tout d’abord « retoquée » et il fut obligé d’en écrire une autre). La pauvreté et l’humilité faisaient peur à une église riche et puissante et qui entendait le rester ! Toujours est-il qu’il réussit… puis mourut en 1226. Rome n’attendit pas longtemps pour confier l’Inquisition naissante aux dominicains, mais aussi aux franciscains, en 1233. Il s’agissait d’un véritable pied de nez au « saint » fondateur que de faire persécuter par ses disciples des gens qui avaient fait un vœux de pauvreté identique, de leur confier, ou plutôt de leur imposer, un pouvoir temporel diamétralement opposé aux choix de François d’Assise.
La situation devint pire encore au siècle suivant. Un schisme se produisit à la suite notamment des écrits de Pierre-Jean Ollieu, moine franciscain, dans la deuxième moitié du treizième siècle (tout ce que j’écris ici est peu sujet à caution : ma source réside justement dans les écrits de Bernard Gui, l’inquisiteur qui les persécuta dans le toulousain au début du quatorzième siècle[95]). Le pape dut trancher entre la mouvance franciscaine qui acceptait les directives de l’église officielle et celle qui entendait vivre dans la pauvreté et la chasteté absolue ; « …ne rien posséder, pas plus en propre qu’en commun, voilà précisément ce qui constitue la pauvreté parfaite évangélique. »[96]
Dans la rubrique « erreurs des Béguins » puisque le langage commun les avait dénommés ainsi, Bernard Gui décrit ce que l’église officielle leur reproche et qui peut se résumer en deux points :
-le choix de la pauvreté et de la chasteté absolues ; le refus en particulier de se voir imposer des biens communs à leur ordre ou des dispenses concernant la chasteté (sic !)
-la croyance en des textes concernant l’Apocalypse de Jean et concrétisant celle-ci en donnant des dates, en voyant l’église officielle comme la Babylone, la grande prostituée de l’Apocalypse, le clergé comme des pharisiens ou des hérétiques et le pape de l’époque comme un premier Antéchrist, sans toutefois aucune velléité de lutte physique contre elle ; on ne m’empêchera pas de penser que c’était symboliquement bien vu !
Il faut en rajouter un troisième, le crime suprême du point de vue de l’inquisiteur, celui de refuser de désigner ses « complices », c'est-à-dire de livrer à la torture et à la mort ceux qui partagent ses opinions.
C’est un peu léger pour justifier la torture et la mise à mort souvent atroce des gens concernés. Je note la grande naïveté de Bernard Gui à ce sujet : « habituellement », quand on veut exterminer des gens, on leur prête toutes les vilénies possibles. Naïveté assortie cependant d’un sadisme tout à fait exceptionnel, comme on le verra dans la suite.
Toujours est-il que les 4 premières victimes, des Frères Mineurs appartenant à l’ordre, périrent sur le bûcher en 1318. Certains textes comme ceux d’Anne Brenon ne font mention que de ceux-ci. En fait, tous ceux qui voulurent leur emboîter le pas, les considérant comme des saints, tout en se réclamant de François d’Assise et constituant les Béguins, furent pourchassés et exterminés.
3.4.4. A propos de l’Inquisition et
notamment de Bernard Gui
L’Inquisition fut créée en 1233 en Occitanie[97] et commença ses exactions aussitôt. Elle s’illustra notamment très vite en faisant exhumer des cadavres et en les faisant brûler, ce qui fut très mal perçu. Très bureaucratique également, si l’on peut employer ce terme pour cette époque, elle établit des registres très détaillés qui sont, quand ils nous sont parvenus, une très riche source historique[98]. Il s’agissait aussi d’un moyen redoutablement efficace de ne pas perdre l’information et de continuer à traquer indéfiniment les suspects.
Des révoltes eurent lieu rapidement, à partir de 1235. Les inquisiteurs furent massacrés en 1242 à Avignonet, deux ans avant la prise et le bûcher de Montségur qui en furent un peu une conséquence. Mais elle s’imposa peu à peu. « Son but fut la mise à mort d’une religion par élimination de ses pasteurs et démantèlement de ses réseaux de solidarité […]. …il est bien difficile de tenter une estimation statistique des condamnations prononcées, mais il est bien certain que durant les presque cent années de son activité, de 1234 à 1325, l’Inquisition contre les hérétiques albigeois tua relativement peu. Simplement, elle ne se trompa pas de cible et prit tous les moyens pour ne pas la manquer.[99] » « Relativement peu » est une manière douce de voir les choses quand on pense à l’horreur des deux cent vingt hérétiques cathares brûlés d’un coup le même jour de 1244 sur le même bûcher à Montségur, alors qu’il y en eut bien d’autres…
N’oublions pas non plus que l’un des derniers inquisiteurs de la période d’éradication du catharisme, Jacques Fournier, termina sa « carrière » comme pape…
Le
dominicain Bernard Gui prit la charge de l’Inquisition dans le toulousain au
début de 1307. Outre ses activités en la matière, il écrivit beaucoup et
notamment le « Manuel de l’inquisiteur », Practica Inquisitionis hæreticae pravitatis, évoqué plus
haut et qu’il acheva vers 1323. L’édition disponible de cet ouvrage[100]
fournit des informations précieuses.
On y trouve notamment
dans le texte de présentation (G.Mollat avec la
collaboration de G.Drioux) des éléments sur la
manière effective de procéder, par exemple :
« Le régime pénitentiaire comprenait
plusieurs degrés. Il impliquait tantôt des jeûnes, tantôt les entraves aux
pieds et les chaînes aux mains, tantôt d’autres tourments plus cruels.
Le détenu se montrait-il récalcitrant, on le
soumettait à la torture. L’ordre était donné d’éviter la mutilation et le
danger de mort. Mais cette réserve n’avait que le caractère d’une clause de
style propre à éviter à l’inquisiteur tout reproche d’irrégularité canonique.
L’emploi immodéré de la torture dans
l’Albigeois provoqua l’intervention du Saint Siège, au début du quatorzième
siècle… »
Et aussi :
« …En face de l’hérétique qui refusait
opiniâtrement de rétracter ses erreurs et du relaps, elle [l’Eglise] se
trouvait désarmée. Elle n’avait d’autre ressource que de les abandonner au bras
séculier, en le priant de leur épargner la mutilation et la mort. Mais cette
recommandation n’avait aucun effet pratique. Elle préservait seulement
l’inquisiteur de l’irrégularité qu’il aurait contractée en participant à une
sentence capitale. Si la cour séculière n’avait pas livré au feu l’impénitent
ou le relaps, elle aurait été passible de l’excommunication, comme favorisant
l’hérésie. »
L’inquisiteur avait donc appliqué le
« Tu ne tueras point » à sa manière… Rappelons qu’on attribue à
Bernard Gui la mort de 650 hérétiques sur le bûcher… En environ 17 années d’
« exercice », cela fait une moyenne supérieure à 3 personnes brûlées
vives chaque mois, et sans doute beaucoup plus de torturées. Je retiens deux
passages du texte de Bernard Gui lui-même qui me semblent indiquer que le texte
de présentation évoqué ci-dessus minimise plutôt la prise de décision de tuer
par l’inquisiteur.
A propos des Béguins :
« Si excommunié de la sorte pour
contumace, il reste d’un cœur obstiné pendant plus d’un an sous le coup de
cette excommunication, on pourra dès lors et on devra le condamner, de plein
droit, comme hérétique.
Contre un accusé de ce genre, ceci est de
plus à noter, on aura le loisir, ou de procéder à l’audition de témoins à
charge, s’il en existe, ou même, afin de lui arracher la vérité, d’employer la
contrainte et de réduire l’accusé par la faim, par la prison ou les fers ou de
le mettre à la question, selon l’avis des gens compétents et selon que
l’exigeront la nature de l’affaire et la condition de la personne »
Et aussi, à propos des Pseudo-Apôtres et
d’un de leurs fondateurs, Dolcino :
« Avec Dolcino,
on prit également Marguerite, hérétique autant qu’enchanteresse, sa complice
dans le crime et dans l’erreur. […] L’exécution judiciaire des coupables
s’imposait ; elle fut faite par la cour laïque. Ladite Marguerite fut coupée
en morceaux sous les yeux de Dolcino ; puis
celui-ci fut également taillé en morceaux. Les ossements et les membres des
deux suppliciés furent livrés aux flammes et, en même temps, quelques-uns de
leurs complices : c’était là le châtiment mérité de leurs crimes. »
Non, en France durant la dernière guerre, la
GESTAPO et la milice n’avaient rien inventé, ni les divers systèmes totalitaires
que nous avons connus de par le monde au vingtième siècle, qu’ils soient taxés
d’être de droite ou de gauche…
3.4.5.
Essai de mise en perspective.
Qu’on me comprenne bien. Mon but n’est pas
ici de jeter une fois de plus l’anathème sur l’Inquisition ni sur l’église
catholique, ni même sur Bernard Gui. S’il y a un Dieu, c’est à lui de le
juger ; en tout cas, ça n’est pas à moi de le faire… Il s’agit simplement
de montrer, partant du Message délivré par Jésus, à quel point on est parfois arrivé,
au Moyen-âge mais aussi à bien d’autres époques antérieures ou postérieures. Le
but final est de comprendre pourquoi et d’en tirer des
leçons et des lignes de conduite. Je ne continuerai donc pas plus avant sur les
turpitudes de l’église catholique à travers les siècles. Il me paraît
personnellement bien évident qu’il y en eut d’autres à toutes les époques, y
compris la nôtre, et parfois aussi graves. Je ne souhaite en aucun cas faire un
réquisitoire. Mon but est d’esquisser l’évolution des attitudes pour mieux
éclairer pourquoi et comment le Message délivré par Jésus a été aussi
intégralement obscurci et détourné au point de produire l’effet inverse.
L’exemple des Cathares et des Franciscains est bien suffisant pour cela et il a
le mérite d’être suffisamment éloigné de nous dans le temps pour ne pas (trop)
déchaîner les passions…
La mise en perspective depuis l’enseignement
de Jésus me paraît personnellement limpide ! Un Message a été délivré par
Jésus. Dès les décennies suivantes, des déviations sont apparues qui
s’expliquent très bien. La dureté du Message initial, la nécessité de
l’humilité et d’une honnêteté totale, ne pas tuer, ne pas tromper les autres,
etc., a fait que certains de ceux qui l’enseignaient ont préféré faire des
entorses, soit parce qu’ils voulaient le faire accepter de leur
« public », soit, pire encore, parce qu’ils étaient incapables de
l’appliquer eux-mêmes. Cela semble bien être le cas de Paul, dévoré par l’envie
de pouvoir et de domination et incapable de se détacher de l’argent. C’est
ainsi, je l’ai souligné au passage, que les épîtres de Paul et les Actes des
apôtres de Luc avaient déjà jeté toutes les bases des déviations monstrueuses
qui devaient se produire avec les Cathares et les Béguins (et bien d’autres à
diverses époques). L’obligation de donner ses biens à l’église sous peine de
mort, la notion d’hérétique, le « pieux mensonge », etc. Paul n’avait
pas encore le pouvoir temporel qu’il aurait pu souhaiter pour appliquer tout
cela. Celui-ci sera fourni progressivement à l’église catholique à partir du
début du quatrième siècle et de Constantin.
Plus rien ne pourra alors arrêter la
machine… sauf la sincérité de ceux qui retrouveront, un peu à chaque époque, le
Message que j’ai essayé moi-même de mettre en évidence. C’est ainsi qu’à toutes
les époques, des femmes et des hommes sincères se dresseront, soit au sein de
l’église catholique, soit en opposition à ses préceptes et enseignements,… et
que, le plus souvent, ils se feront broyer ou récupérer jusqu’à la fois
suivante. Qu’on ne s’y trompe pas. Ces femmes et ces hommes sincères ne sont
pas toujours matérialisés par des courants d’envergure comme les Cathares ou
les Franciscains de la première heure. Ils peuvent être isolés au sein de
l’institution. Ils peuvent parfois être reconnus comme saintes ou saints,
devenant de ce fait l’objet d’un culte idolâtre qui n’était vraiment pas ce
qu’ils devaient rechercher. Ils se retrouvent alors noyés dans une armée
d’autres saintes ou saints plus guerriers les uns que les autres, à l’image de
Jeanne d’Arc ou François de Salles pour ne citer que deux exemples
particulièrement criants…
Et qu’on ne vienne pas mettre des histoires
de dogme là-dedans. Cela n’a rigoureusement aucune importance que des gens qui
s’efforcent avec toute leur énergie de rejoindre l’enseignement de Jésus aient
telle ou telle conception de la Trinité, des rapports du Père et du Fils, de la
virginité de Marie (qui n’a rien à voir dans tout ça…), etc. Et j’ajoute, de
mon point de vue d’agnostique, que ces gens là
croient ou non à l’existence d’un « Dieu » dont, de toute façon,
l’essence leur échappera toujours. Qu’ils croient au Tao, au Nirvana, à rien du
tout ou à autre chose ne change rien à l’affaire, j’y viendrai plus en détail
dans la suite. C’est là le nœud de
l’explication de mon point de vue d’agnostique. Et pourtant, c’est souvent
sur des points de dogme inaccessibles à l’esprit humain que s’appuient les
clergés pour persécuter les dissidents de tous ordres... comme si une entité
quelconque, fut-elle divine, leur avait donné le
pouvoir de savoir ce qui est inaccessible à l’esprit humain !
Mais ces questions de dogme font aussi
partie du mécanisme de pollution du Message initial. Si ceux qui appliquent au
mieux celui-ci font preuve de l’humilité requise, ce sont automatiquement les
plus orgueilleux ou avides de pouvoir qui prendront le dessus et qui, à l’image
de Paul, voudront structurer, hiérarchiser, commander… mais aussi comprendre.
Ils se lanceront donc dans des réflexions ou spéculations d’un intérêt douteux qui
les conduiront à ces dogmes. L’esprit d’intelligence en lieu et place de celui
d’un petit enfant… On notera que ce problème était déjà en filigrane dans la
Bible bien avant Jésus. En effet, ce n’est pas par hasard que le fruit défendu
mangé par Eve et Adam était porté par « l’arbre de la connaissance »…[101]
Il s’agit là d’un cercle vicieux particulièrement pervers, qu’on l’impute à un
Dieu, à un Satan ou simplement à la nature de l’homme.
En bonne logique, ces turpitudes de la
chrétienté ne sont donc pas propres à l’église catholique romaine et, pour
citer un autre exemple, au seizième siècle, l’affaire de Michel Servet, brûlé
vif à la suite de ses démêlés avec Calvin, n’est pas plus reluisante. Ceci est
vrai même si, suivant les versions, c’est Calvin qui s’est acharné sur Servet
ou, au contraire, a demandé qu’on adoucisse sa peine (sans pour autant
semble-t-il proposer de lui épargner la mort…). Et pourtant, la toute jeune
Réforme impulsée notamment par Luther et ce même Calvin avait bien comme but
premier de retourner aux sources. Elle exprimait une aspiration analogue à
celle de tous ceux dont j’ai examiné le cas précédemment, aspiration qui inclut
entre autres tout naturellement « Tu aimeras ton prochain (y compris tes
adversaires et ennemis…). » et « Tu ne tueras point. ». Oui
mais, quand on lit une histoire de la vie de Calvin, celui-ci semblait, lui
aussi, avoir un goût pour le pouvoir sans rapport avec l’humilité prônée par
Jésus. Au demeurant, s’il ne l’avait pas eu, il n’aurait pu faire que son église
réformée s’impose… On touche à nouveau ici du doigt le cercle vicieux que j’ai
mis en évidence précédemment. L’application du Message est affaire d’individu,
son enseignement affaire d’engagement personnel, d’humilité et d’exemple à
donner. Par construction, une « église » quelle qu’elle soit ne peut
pas ne pas tomber dans l’ornière car pour la constituer, il faut des hommes de
pouvoir, de l’argent, toutes choses qui vont à l’inverse du but recherché. Pour un être humain qui cherche la morale
qu’il devrait appliquer, il n’y a donc aucun espoir à avoir du côté des
églises, quelles qu’elles soient, même si ceci ne constitue nullement une
mise en cause des êtres humains qui les composent.
Curieusement (mais est-ce si curieux que cela ?), tout ceci semble très clairement annoncé par Jésus et faire partie intégrante du Message que j’ai évoqué : « Mais avant tout cela, on portera les mains sur vous, et on vous persécutera, vous livrant aux synagogues et aux prisons, vous emmenant devant des rois et des gouverneurs à cause de mon Nom ; cela aboutira pour vous à un témoignage. […] Vous serez livrés même par vos parents et vos frères, et vos proches et vos amis ; et on mettra à mort plusieurs d’entre vous,… »[102] s’applique parfaitement aux Cathares, aux Béguins et aux autres. Le clergé catholique de l’époque rentre dans la catégorie contraire visée par : « Il dit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer. Car il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront : C’est moi, et : Le temps est tout proche. N’allez pas à leur suite. »[103] ou par : « Et beaucoup de faux prophètes se lèveront et ils en égareront beaucoup, et parce que l’illégalité se multipliera, l’amour du grand nombre se refroidira. »[104]. C’est explicitement de cela dont les Béguins accusaient l’église catholique, pape en tête.
Finalement, il ne semble y avoir que deux
attitudes possibles. La première consiste à respecter le Message scrupuleusement
et dans son intégralité. La deuxième s’accommode d’ « arrangements avec le
diable ». De pieux mensonges en petites malhonnêtetés, la situation se
dégrade alors au fil des années ou des siècles pour aboutir aux naufrages que
sont les massacres quels qu’ils soient : inquisition, guerres,
exterminations de peuples entiers, etc. Cette attitude est pour moi,
agnostique, inacceptable, que ce soit d’un point de vue religieux,
philosophique morale ou social comme on voudra. Il n’y a aucun intermédiaire,
aucun « juste milieu » entre les deux. Jésus aurait dit à ce sujet,
et a dit effectivement, qu’on ne peut adorer Dieu et Mammon…
Enfin, et pour finir ce chapitre sur la chrétienté sur une note plus positive, si la foi des chrétiens à généré des Croisades et des massacres, elle a aussi engendré des œuvres magnifiques, cathédrales, peintures, œuvres musicales, etc. Il y a un terrible mélange entre aspects positifs et aspects négatifs. Il y a eu des François d’Assise et des Bernard Gui et nous n’avons le droit de juger ni l’un, ni l’autre, juste celui d’admirer ou de critiquer leurs œuvres pour autant que nous les connaissions. Si les aspects négatifs sont odieux, il est tout aussi odieux de les mettre en exergue en oubliant le reste, le tout pour alimenter un anticléricalisme ou un athéisme primaire. Ne comptez pas sur moi pour cela ! Comme mon but n’est nullement d’instruire un procès à charge ou à décharge, j’ai indiqué essentiellement ce qui alimentait ma recherche : un Message universel et précieux, des déviations qui s’expliquent même si cela ne les justifie pas, des hommes qui ont déployés toutes leurs forces pour retourner au Message, que ce soit dans le cadre des églises ou en dehors, des rechutes qui ont conduit à faire dévier ou à détruire l’œuvre de ces gens. Sisyphe ! En tout cas, une dualité entre les attitudes possibles et une obligation de choisir !
4. Des bribes sur les autres religions
ou philosophies.
Il n’est pas facile pour un occidental d’accéder à une vision claire des fondements des religions ou philosophies extrême-orientales. L’obstacle de la langue pour des textes qui sont loin d’être tous traduits, allié au fossé culturel qui nous sépare de ces civilisations reste très difficile à franchir. Ce fossé est d’autant plus profond que deux millénaires et demi, et même plus pour l’hindouisme, nous séparent des fondateurs et des premiers textes quand ils ont existé et ont été conservés. Il est vrai que s’agissant du Nouveau Testament, le problème était un peu le même, textes traduits de langues qui nous échappent en général totalement (araméen, grec ancien,…), contextes de civilisations dont nous n’avons qu’une idée assez vague : Juifs du premier siècle, Romains, Grecs,… Les difficultés sont en fait souvent masquées par les transmissions par des églises dont on a vu qu’elles avaient largement dénaturé le Message.
Je continuerai donc avec ma vision synthétique, ou « à la manière d’un petit enfant », comme on voudra, en livrant ici la vision que j’ai réussi à acquérir péniblement. Toujours la même règle du jeu : pas question d’analyse, d’exégèse ou autre mais au contraire une vue d’ensemble dont il ne s’agit pas de pinailler les détails. Les quelques textes que j’ai pu recueillir sur le Taoïsme me semblent particulièrement instructifs. L’accès aux fondements du Bouddhisme me semble rester nettement plus difficile.
4.1. Le Taoïsme
Lao Tseu (Laozi) aurait vécu entre 570 et 490 avant Jésus-Christ. « Aurait » car beaucoup d’auteurs considèrent que son existence est purement mythique et qu’il n’a jamais existé. Pourquoi pas ? Certains nient bien aussi la réalité historique de Jésus… Si ces hommes n’ont pas existé, il a bien fallu que quelqu’un dise et écrive ce qui leur est attribué ! Où est la différence ? Quand bien même un érudit arriverait à prouver demain de manière irréfutable que Lao Tseu n’a jamais existé, cela n’enlèverait rien à la matérialité du Tao tö king qui est sur ma table de nuit ni à son contenu ! Peu importe donc, l’essentiel est que les textes fondateurs soient parvenus jusqu’à nous. Dans le cas de Lao Tseu, il s’agit du Tao tö king (ou Daode Jing suivant les transcriptions à partir du chinois) qu’on traduit en « Le livre du principe et de son action » ou encore « Le livre de la voie et de sa vertu ». Ce document, recueil d’aphorismes, a le mérite d’être extrêmement court, contrairement à la Bible ou même au simple Nouveau Testament. Il est aussi extrêmement dense et tout n’y est pas absolument limpide, surtout pour nous autres occidentaux. Certains passages font appel à la connaissance d’images symboliques ou d’habitudes chinoises, sans parler des incertitudes de la traduction ou tout simplement de la transmission depuis l’origine. Au demeurant, il semble qu’il ait été assez peu dénaturé au fil des siècles, encore que nul ne sache exactement à quoi ressemblait matériellement le texte fondateur, ni même quand il est réellement apparu entre le 5ème siècle et le 3ème siècle avant J.C. Des textes contenant tout ou partie de plusieurs versions du Tao tö king ont cependant été trouvés assez récemment et remontent à des dates allant de 300 à 170 avant notre ère.[105]
Les aphorismes qu’il contient sont susceptibles d’être longuement médités car ils sont souvent très riches d’implications et de déclinaisons multiples. Mais ce que j’ai surtout retenu est que, tel qu’il est et sans l’approfondir vraiment, on perçoit immédiatement une formidable convergence et presque une concordance avec ce que j’ai appelé « le Message » et que j’ai décliné à partir de l’enseignement de Jésus tel qu’il transparaît dans les évangiles. Qu’on en juge par les quelques citations qui vont suivre (toujours le même principe, je n’ai pas recherché à tout prix les convergences mais bien au contraire, j’ai buté dessus à chaque page et j’ai dû choisir parmi de multiples citations possibles quelques exemples qui me semblaient parler immédiatement, même extraits de leur contexte).
« Le saint est toujours prêt à aider les hommes
et il n’en omet aucun. »[106]
« Etre bon à l’égard des bons
et bon aussi envers ceux qui ne le sont pas,
c’est posséder la bonté même. »[107]
Quelle différence avec l’amour du prochain enseigné par Jésus ? Lao Tseu est plus proche des évangiles que Paul, et pourtant il serait invraisemblable d’imaginer un quelconque lien historique.
« La voie du Ciel ne procède-t-elle pas
à la manière de celui qui tend l’arc ?
Elle abaisse ce qui est en haut
et élève ce qui est en bas ;
elle enlève ce qui est en trop
et supplée à ce qui manque.
La voie du Ciel enlève l’excédent
pour compenser le manquant.
La voie de l’homme est bien différente :
l’homme enlève à l’indigent
pour l’ajouter au riche. »[108]
« Qui se diminue grandira ;
qui se grandit diminuera. »[109]
« …si le saint désire être au-dessus du peuple,
il lui faut s’abaisser d’abord en paroles ;
s’il désire prendre la tête du peuple,
il lui faut se mettre au dernier rang. »[110]
Lao Tseu, comme Jésus insiste sur la nécessité de l’humilité, en des termes très voisins. Sur la vanité des richesses également.
«Les armes sont des instruments néfastes
et répugnent à tous.
Celui qui comprend le Tao ne les adopte pas.
[…]
Le massacre des hommes, il convient de le pleurer
avec chagrin et tristesse.
La victoire dans une bataille, il convient de la traiter
selon les rites funèbres. »[111]
On retrouve l’injonction de ne pas tuer.
« Se vêtir de robes brodées,
se ceindre d’épées tranchantes,
se rassasier de boire et de manger,
accumuler des richesses,
tout cela s’appelle vol et mensonge
et ne relève pas du Tao. »[112]
Renoncer aux richesses, honnir le vol et le mensonge, tout s’y retrouve…
« Celui qui possède en lui la plénitude de la vertu
est comme l’enfant nouveau-né ;… »[113]
Avoir l’âme et la perception d’un petit enfant…
« Plus il y a d’interdits et de prohibition,
plus le peuple s’appauvrit ;
plus on possède d’armes tranchantes,
plus le désordre sévit ;
plus se développe l’intelligence fabricatrice,
plus en découle d’étranges produits ;
plus se multiplient les lois et les ordonnances,
plus foisonnent les voleurs et les bandits. »[114]
Et pour terminer, j’ai conservé la citation qui précède car elle me paraît étonnante de modernité ! On y retrouve tous les maux de notre époque, depuis l’appauvrissement du peuple et l’insécurité jusqu’au développement de la malhonnêteté en liaison avec la multiplication des lois et règlements à travers lesquels se faufilent les escrocs en passant par le foisonnement « d’étranges produits » que sont tout le fatras de gadgets mécaniques et électroniques qui consomme une partie de l’énergie et des ressources non renouvelables de la planète (et encore, je ne parle pas des armes « modernes » qui ne sont plus simplement des armes « tranchantes »…).
Comme je l’ai dit, il y aurait encore énormément de choses qui vont toutes dans le même sens à citer mais mon propos n’est pas de tirer spécialement une morale du Tao tö king. Il est de montrer la convergence avec la morale de Jésus, convergence qui plaide en faveur d’une morale universelle. Par contre, il est fort intéressant de voir comment ce « Message » initial a évolué historiquement. Au départ, il s’agissait d’une doctrine mais on pourrait dire aussi d’une philosophie ou des fondements d’une morale. Le principe initial ou fondateur étant unique et baptisé le Tao. Il n’y a pas de religion ici, ou si l’on tient vraiment à déifier quelque chose, d’un dieu unique qui serait le Tao, mais cela ne me semble pas correspondre vraiment à la ligne générale de l’ouvrage. Il n’est en tout cas pas question non plus de polythéisme et l’on ne saurait soutenir plus longtemps que ce qu’on appelle les trois religions du Livre sont les seules à soutenir la thèse d’un Dieu ou d’un principe fondateur unique. On pourrait même faire remarquer que la notion de Tao telle qu’elle est présentée par Lao Tseu est spirituellement bien plus élevée que celle du Dieu de la Bible que l’ « homme a un peu fait à son image » comme ironisait Nietzsche… Je n’irai pas jusqu’à dire que Lao Tseu était agnostique, mais…
Lao Tseu, qu’il ait existé ou non, a eu un successeur dont l’existence semble avérée : Tchouang Tseu. Si l’on sait assez peu de choses de lui, il vécut au troisième siècle avant J.C., il nous a cependant laissé des écrits publiées en français sous le titre d’ « œuvre complète » de Tchouang Tseu[115]. Conformément à son enseignement, il aurait eu une existence assez obscure, refusant les honneurs qui lui étaient proposés. L’évolution est saisissante ! Entre le Tao tö king, très court et aux aphorismes lapidaires, et l’œuvre de Tchouang Tseu, il y a un fossé : cette dernière est très longue et assez ténébreuse. Elle l’est sans doute beaucoup plus pour nous occidentaux car elle regorge de personnages chinois, ayant existé ou mythiques aux noms très difficiles pour nous à mémoriser. Mais l’enseignement qu’elle contient semble quand même assez obscur et comportant des contradictions. Je n’en citerai qu’une mais elle résume à elle seule tout le problème. Elle tient dans la dernière phrase du chapitre XV : « Qui possède en soi la pureté et la simplicité est un homme véritable. »[116] Sous la plume d’un homme qui vient de noyer son lecteur sous cent pages extrêmement compliquées remplies d’aphorismes et d’historiettes symboliques peu claires, cela présente un certain comique… et une énorme contradiction…
Il est cependant particulièrement intéressant de constater d’une part que Tchouang Tseu, pour autant que j’ai pu le comprendre, reste très en ligne avec l’enseignement de Lao Tseu et d’autre part qu’il ne ménage pas ses critiques à l’égard de Confucius sur l’enseignement duquel je dirai quelques mots dans la suite.
Sur le premier point, j’ai retenu une seule citation, tout à fait étonnante de modernité : « J’ai appris de mon maître ceci : qui se sert de machines use de mécaniques et son esprit se mécanise. Qui a l’esprit mécanisé ne possède plus la pureté de l’innocence et perd ainsi la paix de l’âme. Le Tao ne soutient pas celui qui a perdu la paix de l’âme. »[117] On notera à ce propos que Lao Tseu, comme Tchouang Tseu, avait adopté une attitude très partagée, pour ne pas dire très négative vis-à-vis de l’intelligence et de l’usage que l’homme en fait. Il est curieux de constater que cela rejoint également un peu l’enseignement de Jésus : un petit enfant ne fonctionne pas avec son intelligence créatrice. De même, si j’ai choisi de ne pas parler de l’Ancien Testament, le tout début de la Bible est quand même intéressant : la chute d’Adam et Eve provient bien du fait qu’ils ont goûté au fruit de l’arbre de la connaissance…
Ceci pose un problème philosophique de premier ordre et sur lequel je me sens incapable de trancher ni même d’avoir une opinion claire : à notre époque, ce que l’homme fabrique avec son intelligence créatrice est plus que contestable : depuis les marchés financiers jusqu’aux armes nucléaires, bactériologiques et chimiques en passant par ce fatras informatique et électronique baptisé nouvelles technologies, ces créations ne semblent pas toujours élever l’être humain… mais de là à prôner le retour à l’obscurantisme qui semble parfois nous guetter, il y a un ravin que je ne franchirai pas non plus ! La voie entre les deux est peut-être celle « du juste milieu » que j’évoquerai à propos du Bouddhisme et dans ma conclusion sur l’agnosticisme. Elle est déjà un peu implicite dans le Taoïsme qui considère que les opposés sont complémentaires :
« Tout le monde tient le beau pour le beau,
c’est en cela que réside sa laideur.
Tout le monde tient le bien pour le bien
c’est en cela que réside son mal.
Car l’être et le néant s’engendrent.
Le facile et le difficile se parfont.
Le long et le court se forment l’un par l’autre.
Le haut et le bas se touchent.
La voix et le son s’harmonisent.
L’avant et l’après se suivent. »[118]
Dans ce cas précis de l’intelligence créatrice, permettez-moi cependant de continuer à douter… et à méditer...
En tout cas, pour ce qui est de Tchouang Tseu, on assiste certes à un brouillage du Message délivré par Lao Tseu, mais rien de comparable au rôle de Paul dans la chrétienté : si le Message est un peu brouillé par la complexité de l’œuvre, celle-ci n’infléchit pas pour autant la direction indiquée et cette forme peut, après tout, convenir mieux à certains adeptes. Ce n’est pas à moi de juger. En tout cas, elle ne va en aucun cas à rebours.
Mais les princes et les clergés sont aussi arrivés… Les quelques développements qui vont suivre s’appuient essentiellement sur le numéro 4, sept.oct. 2005 de Religions et Histoire « Le taoïsme, miroir immortel de la sagesse chinoise ». Je ne me fais aucune illusion sur le peu de représentativité d’un texte aussi court vis-à-vis des dizaines de millions de taoïstes actuels et des courants très variés qui se sont développés. Mais comme il s’agit uniquement de continuer à éclairer mon point de vue d’agnostique, cela peut paraître suffisant, sauf s’il s’avérait que le document en question soit trop partial, ce qui me semble peu probable. Je le répète, le choix est à faire entre une démarche intellectuelle poussée qui mangerait tout mon temps et le fait d’éclairer simplement du mieux possible une morale d’action fondée largement sur l’intuition, la perception d’un petit enfant, mais qui exige qu’on s’y consacre plus qu’à l’étude.
Je ne prendrais donc que quelques exemples des déviations du Taoïsme depuis Lao Tseu.
Le premier est la création de tout un Panthéon dans lequel Lao Tseu lui-même se trouve déifié. Cela m’évoque irrésistiblement l’ « hérésie » arianiste qui conduisit le clergé catholique à perdre un temps considérable pour décider si Jésus était l’égal de Dieu le Père ou non. Comme si les humains pouvaient connaître l’essence de Dieu s’il existe ! Il en est donc allé de même, sans hérésie cette fois, pour ce malheureux Lao Tseu qui n’en demandait semble-t-il pas tant, lui qui semble avoir fait porter tous ses efforts sur l’humilité et la discrétion. Toujours est-il qu’il en est découlé, tout d’abord une religion là où il n’y avait qu’une philosophie ou une morale, et ensuite, tous les rites qui vont avec une religion. La morale simple, dure et rebutante pour les fidèles s’est trouvée remplacée par des cérémonials donnant bonne conscience à peu de frais… Et par-dessus le marché, l’ « Empereur Jaune » s’est retrouvé aussi dans ce Panthéon. Les tenants du pouvoir ont rejoint celui qui prêchait l’humilité…
Il est aussi remarquable que l’enseignement de Lao Tseu se soit développé suivant de multiples voies. Pour prendre un exemple, l’une de celles qui sont parties de l’enseignement initial est la « voie du maître céleste » : « La première organisation communautaire, la Voie du Maître céleste, Tianshi dao, se forme au IIème siècle de notre ère. A la suite d’une révélation où il fut investi par Laozi descendu sur terre, le premier Maître céleste, Zhang Daoling, se déclara chargé de réformer les mœurs dévoyées de l’humanité ; sa charge est par la suite devenue héréditaire et le soixante-quatrième Maître céleste est aujourd’hui encore en activité à Taïwan. »[119] C’est fou le nombre de saints de toutes religions qui ont été investis de missions par leurs dieux ! Paul n’est pas un cas unique… Et puis, ce qu’il y a de pratique, c’est que quand on a été appelé directement par Dieu ou Lao Tseu ou tout autre, jamais aucun contradicteur ne pourra aller demander à « l’instance appelante » si tel est bien le cas ! Allez donc demander à Dieu si c’est bien lui qui a frappé Saul sur le chemin de Damas ou à Lao Tseu si c’est bien lui qui a appelé Zhang Daoling ! Mais encore une fois, je ne juge nullement les hommes et ne mets en aucun cas en cause leur bonne fois. Peu importe, le résultat et les déviations sont là. Au demeurant, je dois avouer que je n’ai pas la moindre idée du degré d’ « orthodoxie » de la Voie du Maître céleste vis-à-vis du Message initial délivré par Lao Tseu. Ce qui me semble sûr, c’est que la grande majorité des voies ayant pour source l’enseignement de celui-ci ont dérivé en religions polythéistes qui remplacent le respect de la morale initiale par des cérémonials complexes mais finalement bien moins contraignants.
Et il y a encore bien pire ! « La conception de l’art de la guerre de Sunzi tourne autour d’une dialectique de l’ayant forme et du sans forme qui est empruntée à la métaphysique taoïste… »[120] Relisez les citations ci-dessus et ce qu’a écrit Lao Tseu sur les armes, la guerre et le fait de tuer. Comme dans le cas des Croisades pour la chrétienté, on est arrivé à l’inverse complet du Message initial, pourtant d’une limpidité absolue. Il n’y a rien à ajouter, nous rejoignons la dialectique entre Message d’une part et déviations et détournements conduisant à des turpitudes d’autre part. Une dualité dont la mise en évidence n’aurait peut-être pas été pour déplaire à Lao Tseu, lui qui avait déjà commencé dans cette voie en enseignant que le Tao inclus les pôles opposés des contradictions…
4.2. Confucius
Je ne parlerai pas du Confucianisme en général dont l’étude me demanderait un temps considérable, ce qui est justement le contraire de ce que je recherche. Je me contenterai donc de dire un mot des entretiens de Confucius et de ce que j’ai pu glaner sur ce personnage.
Nous ne possédons apparemment pas d’écrits de Confucius lui-même et les premiers textes sont contenus dans les quatre livres dont les entretiens sont un recueil de propos du Maître. La transmission elle-même de ces textes a subi bien des vicissitudes mais je retiens les grandes lignes qui vont suivre et semblent se retrouver un peu partout.
Personnellement et dans ce qui fonde mon agnosticisme, je dois avouer que non seulement je « n’accroche » pas mais que je suis assez affligé par l’ensemble de ce corps de doctrine. En effet, sont d’abord mis en avant le rituel et le respect absolu du père, du frère aîné et de l’empereur. Cela peut aller très loin et conduire à la complicité dans les turpitudes et crimes commis par ceux-ci : « Le gouverneur de She discourait devant Confucius, disant : « Chez nous, il y a un homme d’une droiture inflexible : son père avait volé un mouton et il le dénonça. » Confucius répondit : « Chez nous, on a une conception de la droiture : le père protège son fils, le fils protège son père [121] voilà notre façon d’être droits. » ».
Les entorses à l’honnêteté sont largement légitimées. « Pour un honnête homme, servir l’Etat reste un devoir, même s’il sait d’avance que la vérité ne prévaudra jamais.[122] » et aussi : « Zixia dit : « Les grands principes ne souffrent pas de transgression ; les petits principes tolèrent des accommodements.[123] » »
La haine de certaines personnes est légitimée. « Zigong dit : « Un honnête homme peut-il haïr ? » Le Maître dit : « Oui, il a ses haines. Il déteste ceux qui parlent des défauts des autres. Il déteste les inférieurs qui calomnient leurs supérieurs. Il déteste ceux dont la bravoure n’est pas tempérée par des mœurs civilisées. Il déteste ceux qui sont impulsifs et entêtés… »[124] et aussi : « Le Maître dit : « Seul un homme pleinement humain sait bien aimer et sait bien haïr. »[125] »
L’orgueil allié au mépris des autres est aussi présent : « Ne recherchez pas l’amitié de ceux qui ne vous valent pas. »[126]
Bien entendu, il y a aussi des aphorismes tout à fait positifs, mais ils ne me paraissent vraiment pas prépondérants. « J’ai toujours entendu dire que l’honnête homme s’employait à secourir les besogneux, non pas à enrichir les riches. »[127] ou encore : « Zigong demanda : « Y a-t-il un seul mot qui puisse guider l’action d’une vie entière ? » Le Maître dit : « Ne serait-ce pas considération : ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. »[128] »
Et l’on trouve même la notion de juste milieu que l’on retrouvera avec le Bouddhisme : « Le Maître dit : « L’efficacité du milieu juste est suprême, mais la plupart des gens en ont perdu la notion depuis longtemps. »[129] »
Contrairement à Lao Tseu et Bouddha, Confucius ne fut pas vraiment déifié mais c’est tout comme. Sa doctrine eut un retentissement considérable tout au long des 2500 ans qui nous séparent de lui. Même si je n’y adhère pas du tout, ce n’était pas une raison pour ne pas regarder de ce côté, d’autant plus que Tchouang Tseu fait tout le temps des références, le plus souvent très négatives, à Confucius. Il semble qu’à l’inverse, Confucius ait aussi lancé quelques piques, non à Tchouang Tseu, bien postérieur, mais au Taoïsme, voire au Bouddhisme. Par exemple : « Le Maître dit : « J’ai une fois essayé de jeûner tout le jour et de veiller toute la nuit afin de méditer. En vain. Mieux vaut l’étude. »[130] »
Par ailleurs, il semble bien que la vie de Confucius fut un échec personnel et qu’il ne se vit jamais confier les très hautes responsabilités de gouvernement auxquelles il aspirait : « Le Maître dit : « Si seulement il se trouvait un souverain pour m’employer, en un an je mettrais les choses en route, et trois ans après, on aurait des résultats. »[131] » et ses traducteurs confirment ceci dans leurs notes et commentaires. Cela pourrait expliquer ses aphorismes les plus caustiques…
J’en tire cependant quelques conclusions en négatif. Confucius me semble faire partie, un peu comme (saint) Paul, de ceux qui ont développé des attitudes visant à aller à l’encontre de ce que j’appelle le Message. Le problème pour Confucius, comme pour Paul, me semble celui du désir de pouvoir. S’il n’avait pas eu d’ambition, comment aurait-il pu vivre comme un échec de ne pas être choisi par un prince ? Bien entendu, il s’agit d’attitudes qui paraissent sociales, c’est à dire destinées à faciliter la vie en société. Nous avons vu avec l’évolution des églises chrétiennes les désastres qui peuvent en découler, les « pieux mensonges » ou « petits accommodements » dérivant en grosses turpitudes, voire crimes monstrueux. Je ne connais pas assez l’histoire chinoise pour juger si elle a connu les mêmes dérives. Je le crains simplement.
4.3. Le Bouddhisme.
4.3.1. Comment aborder le Bouddhisme vu
de notre point de vue d’occidental.
Il m’a été beaucoup plus difficile d’appréhender un tout petit peu les fondements du Bouddhisme. En effet, les textes fondateurs sont tout d’abord constitués par le Canon Pâli qui n’est pas de première main puisque l’ascète Gotama devenu Bouddha semble n’avoir délivré son enseignement qu’oralement. La Canon Pâli a donc été écrit par des disciples et certains livres sont largement postérieurs à la vie de Bouddha. En outre, le Canon Pâli est un texte gigantesque qui, suivant les éditions comprend entre 38 et 57 volumes (source : encyclopédie en ligne Wikipédia, novembre 2010). De plus, le Canon Pâli n’est le texte de référence en tout ou partie que pour certains courants bouddhiques. D’autres s’appuient partiellement ou en totalité sur des textes plus récents, non moins complexes, fort peu accessibles pour nous autres européens et dont l’étude même pour des gens maîtrisant parfaitement la langue dans lesquels ils sont écrits doit facilement conduire à la « noyade ».
Force m’a donc été de ne prendre essentiellement connaissance du Bouddhisme qu’à travers des écrits de seconde main. J’ai certes trouvé une traduction en français du début du Canon Pâli (tome 1, fascicule 1…) mais elle est assez difficilement accessible pour nous autres occidentaux car l’enseignement y est très dilué et imagé. En outre, cette première partie qui concerne surtout les règles de vie monacale n’est pas la plus ancienne ni le cœur de l’enseignement. Pourtant, on verra dans la suite qu’on y trouve en filigrane des éléments qui ressemblent fort à ce que j’ai appelé le Message. Comme je ne maîtrise aucune langue extrême-orientale, les textes que j’ai trouvés sont, dans le meilleur des cas des traductions, parfois l’œuvre de moines extrême-orientaux installés en France ou au contraire d’occidentaux ayant embrassé la vie monacale bouddhique, voire purement et simplement de Français non bouddhistes.
Mon but était, comme dans le reste de mes réflexions, d’obtenir une approche et de me faire une idée des convergences ou divergences avec les autres religions et philosophie, au niveau des éléments fondateurs et de l’évolution de leur application. Il n’est donc pas dans mon esprit de faire une étude de haute volée sur le Bouddhisme, et une lecture plus approfondie ou une retraite dans un monastère bouddhiste est tout à fait hors de mon propos… Au demeurant, quand bien même je voudrais faire un tel approfondissement, je ne saurais vers où diriger mes pas dans la nébuleuse de pratiques diverses qui sont toutes rattachées au Bouddhisme.
4.3.2. Un positionnement particulier
vis-à-vis des autres croyances.
Malgré ces limitations drastiques, j’ai retenues quelques idées forces qui me semblent bien éclairer mon propos. La première est que l’essentiel des courants bouddhistes ne présente pas le prosélytisme agressif de la plupart des religions chrétiennes. Bien plus, si les clergés chrétiens excluent absolument qu’une de leurs ouailles puisse être simultanément bouddhiste, l’inverse n’est pas vrai et les bouddhistes trouvent semble-t-il tout à fait recevable qu’on soit à la fois chrétien ou taoïste ou musulman et bouddhiste. J’ai ainsi rencontré la citation suivante qui est très éloquente à cet égard :
« Le Dharma, ou la Loi, travaille partout et dans tous les temps de la même manière, sans distinction, que l’on se donne n’importe quel nom : Bouddhiste, Chrétien, Mahométan ou autre. Le Bouddhisme ne tient compte que de la formation intérieure de l’homme, de ses pensées et de ses œuvres, et pas d’un Nom… »[132]
Dans le même ordre d’idée, je pourrais aussi citer tout cet ouvrage étonnant de Thich Nhat Hanh : Bouddha et Jésus sont des frères. Editions Pocket. L’auteur est un moine bouddhiste vietnamien établi en France depuis des années.
D’après Bruno Etienne et Raphaël Liogier[133], il y aurait cependant un courant bouddhiste prosélyte : la Soka Gakkaï qui est un courant n’impliquant pas de moines ni de clergé.
D’autre part, le Bouddhisme semble être tout d’abord une philosophie positive. Il s’agit d’éliminer la souffrance, d’avoir des attitudes positives et de détester les attitudes négatives, j’y reviendrai. Il n’en allait pas de même avec le catholicisme comme je le citais au paragraphe 3.1.2.. Les bouddhistes perçoivent bien cela :
« L’image de Jésus la plus souvent présentée est celle de la croix. C’est une image qui me fait beaucoup de peine car elle n’exprime pas la joie ou la paix. A mon sens, ce n’est pas rendre justice à Jésus. J’espère que nos amis chrétiens sauront présenter Jésus autrement, par exemple assis dans la position du lotus ou en méditation marchée. On pourrait alors sentir la paix et la joie pénétrer dans notre cœur en contemplant Jésus. C’est une simple suggestion. »[134]
Or comme je l’avais déjà souligné en 3.1.2., le côté « thanatocratique » des chrétiens n’est pas présent dans le Message, très positif, de Jésus et c’est l’influence de Paul et de ses disciples, d’abord formés à l’Ancien Testament, qui a inversé la donne. Il semblerait que les bouddhistes aient mieux réussi à préserver leur Message primitif, de ce point de vue en tout cas.
Bien entendu, suivant les courants, les messages délivrés sont très différents et certains sont tout à fait suspects de dérives. Outre le prosélytisme de la Soka Gakkaï, évoqué ci-dessus, je ne retiendrai que deux choses. D’une part les aspects particulièrement égocentriques qui me semblent liés au fait que méditer et rechercher la voie vers l’Eveil est avant tout une démarche personnelle qui peut déconnecter l’individu du contexte social. J’ai rencontré cet aspect des choses à la fois dans plusieurs textes sur le Bouddhisme Zen et aussi ailleurs : par exemple dans Nyanatiloka, La parole du Bouddha[135] : « Supposez qu’un père de famille […] entende la Loi, et, après l’avoir entendue, il est rempli de confiance dans le Parfait. Possédant cette confiance, il pense : « La vie familiale est pleine d’empêchements, c’est un amas de déchets… » […] Alors, après un peu de temps, ayant renoncé à ses possessions plus ou moins importantes, ayant abandonné le nombre plus ou moins grand de ses amis, il coupe ses cheveux et sa barbe, revêt la robe jaune et part vers la vie sans demeure. ». L’auteur trouve normal qu’un père de famille abandonne femme et enfants pour se faire moine bouddhiste pour aller vers l’Eveil. Si le Bouddha Gotama, de famille princière, put se permettre ce « luxe » sans traumatiser, donc faire souffrir, son fils qui devint ensuite un de ses disciples, imaginez les ravages que pourraient faire de telles attitudes dans des familles pauvres ou même des classes moyennes. Je veux penser que sa plume a dépassé la pensée profonde de l’auteur… On est quand même très loin de l’amour du prochain trouvé dans d’autres textes ! De même, plusieurs textes sur le Bouddhisme Zen[136] indiquent la pleine dépendance du novice vis-à-vis du maître, que celui-ci peut assez largement maltraiter physiquement… pour son bien. D’un autre côté, il y a une pensée profondément vraie dans le fait de dire qu’on doit déjà s’être approprié la doctrine par la réflexion et la méditation centrée sur soi-même avant de prétendre en faire profiter les autres, voire leur enseigner. Mais il y a là aussi un « juste milieu » sur lequel je reviendrai sous d’autres formes par ailleurs.
Pire encore, il semblerait qu’il y ait un lien entre certains courants bouddhistes et les arts martiaux. Ceci me semble intuitivement en parfaite contradiction avec l’enseignement primitif du Bouddha. « Il faut en revanche tenir compte de toutes les activités qui drainent et normalisent la pensée bouddhique comme par exemple les arts martiaux, plus de 500.000 pratiquants réguliers en France bien au-delà du seul judo occidentalisé… »[137]. La dérive me semble du même ordre que « l’art de la guerre de Sunzi » pour le Tao ou la bénédiction des canons et autres armes par le clergé catholique…
4.3.3. Le Bouddhisme et le Message.
Ces préalables étant posés, essayons de nous appesantir maintenant un peu sur l’essentiel : les éléments qui laissent penser que le Message que j’évoquais à propos de Jésus et Lao Tseu se retrouvent assez largement dans la pensée bouddhiste ancienne et actuelle. Il faut les rechercher en filigrane dans divers écrits et enseignements de toutes les époques. J’ai retenu quelques exemples particulièrement frappants.
Le premier vient du tout début du premier livre du Canon Pâli (Tipitaka) « Le filet de Brahman ». On y trouve dans un texte très long et répétitif tout ce que j’ai indiqué dans le Message et bien plus. Bien entendu, cela s’applique surtout à ceux qui ont embrassé la voie monacale, au sens bouddhique du terme. Mais il s’agit outre ce que j’ai déjà cité en 2.2. de la chasteté, de l’interdiction de tuer tout être vivant, d’éviter le mensonge et la calomnie, de jeûner le soir, de ne pas faire de commerce ni simplement de réserves, de ne pas posséder d’argent, d’or ni quoi que ce soit, etc., le tout détaillé d’une manière très fouillée.[138]
J’ai aussi retenu le texte suivant qui a le mérite d’être très explicite et concis (écrit par le premier occidental, un allemand, converti au Bouddhisme au début du vingtième siècle, qui a donc peu ou prou conservé pour cette publication dont l’original est en allemand des structures mentales d’occidental, ce qui facilite notre lecture mais est certainement moins proche des textes fondateurs…) :
M.9. Qu’est-ce que le mérite ?
1° S’abstenir de tuer
2° S’abstenir de voler
3° S’abstenir de rapports sexuels illégaux
4° S’abstenir de mentir
5° S’abstenir de faux rapports
6° S’abstenir de dures paroles
7° S’abstenir de vains bavardages
8° S’abstenir d’envie
9° S’abstenir de mauvais vouloir
10° Avoir des vues justes
Et les racines du mérite sont : l’absence de convoitise (le désintéressement), l’absence de colère (la bienveillance), l’absence d’ignorance (le savoir).[139]
Difficile de se rapprocher plus de ce que j’ai appelé le Message de Jésus ou du Tao tö king…
Et encore, sous une autre forme (écrite au tout début du quinzième siècle de notre ère, c’est un moyen terme…) :
« Quiconque, en raison de la souffrance incluse dans son propre continuum,
Aspire à l’extinction complète
De tous les malheurs d’autrui,
Est une personne supérieure. »[140]
C’est maintenant l’amour du prochain quel qu’il soit qui vient d’être mis en avant.
Mais, dans le texte d’un moine vietnamien établi en France dans la deuxième moitié du vingtième siècle, cet amour du prochain est aussi transposé aux organisations humaines et aux nations, ce qui va encore plus loin que le Message que j’ai constamment évoqué :
« Le deuxième entraînement à la pleine conscience […]
C’est aussi une façon de voir profondément la nature du mal-être et le chemin qui conduit au bien-être. Cet entraînement à la pleine conscience devrait être pratiqué non seulement par des individus, mais aussi par des groupes ou des nations. Est-ce que votre pays pratique ainsi ? Ou est-ce qu’au nom du développement ou de la croissance, votre pays et vos législateurs violent cet entraînement, en exploitant d’autres nations et en profitant de leur main-d’œuvre et de leurs ressources naturelles ? »[141]
Et est aussi transposé au fonctionnement de la société :
« Le troisième entraînement à la pleine conscience […]
L’industrie du sexe est quelque chose de très honteux pour notre société. La production de sons et d’images qui arrosent les pires graines en nous est une honte pour notre civilisation. Les cinéastes ne nous aident pas beaucoup à arroser les belles graines en nous. Il y a toutes sortes de produits qui arrosent jour et nuit les pires graines en nous. Nous nous exposons et nous exposons nos enfants à cet arrosage négatif, tout cela parce que certains cinéastes veulent gagner beaucoup d’argent. Ils polluent notre conscience et la conscience de nos enfants. Nous essayons bien de les en empêcher, mais ils revendiquent leur liberté d’expression. Or il ne s’agit pas de liberté mais d’un manque de responsabilité. »[142]
Quand je pense au nombre de gens, parfois membres de clergés, qui m’ont expliqué que j’étais trop intransigeant, que Jésus avait « forcé la note » par pédagogie mais qu’il n’était pas question d’appliquer le Message tel que je le présente, que les armes et les armées sont indispensables aux sociétés humaines, que nous n’exploitons pas le Tiers-Monde mais lui apportons le savoir et la médecine ( !), qu’il est honteux de voiler les femmes mais normal de les exposer nues sur les murs de nos cités et sur les écrans publicitaires qui envahissent nos ordinateurs comme nos télévisions, lire des textes comme ceux ci-dessus, encore beaucoup plus intransigeants et critiques que moi-même vis-à-vis de notre société, me réconforte un peu si j’en avais besoin. Mais comme le disent nombre de Bouddhistes, ce sont ces gens et non moi qui ont besoin d’être réconfortés car ce sont eux qui engendrent la souffrance, à commencer par la leur… Et quand on réfléchit un peu, il n’y a pas besoin d’être bouddhiste ou d’avoir lu des kilos de documentation sur le Bouddhisme pour se rendre compte que cette genèse de souffrance est profondément vraie…
Certains textes bouddhiques vont aussi très loin dans l’analyse des causes et arrivent à cette dualité que j’évoque par ailleurs entre possibilité d’élévation des hommes d’une part et stagnation dans une condition animale d’autre part. J’ai retenu le texte suivant du début du quinzième siècle et du même auteur que précédemment qui présente cela infiniment mieux que je pourrais le faire :
« Les activités qui tendent à l’acquisition de profits variés ne sont pas l’apanage des humains et les animaux, dans les limites de leurs capacités et de leurs besoins, sont également très habiles à réaliser ce qu’ils désirent. La valeur d’une vie d’homme consiste en la possibilité d’écouter, de comprendre et de mettre en œuvre la Doctrine qui renferme les méthodes pour se rapprocher de la libération, la fin de la continuité d’existences répétées et des contraintes inhérentes au cycle. De ce point de vue, quoique beaucoup aient pris forme humaine, tant que leur vie est concentrée sur des objectifs temporels, on ne voit pas en quoi elle se distingue des animaux.
Vous devez chérir et respecter le support de cette vie humaine aux potentialités infinies, mais pas dans cette optique restreinte. Vous devez en faire quelque chose d’élevé, ne pas le confiner dans les limites du même ordre que celles propres au monde animal. »[143]
Ou encore sur les dérives des clergés (ici, dérives des bouddhistes vis-à-vis de leur propre enseignement, mais le mécanisme semble le même pour beaucoup d’autres) :
« Le Bouddha pose à Jésus une question très concrète. Il lui pose la question de la pratique parce qu’il veut connaître sa réponse. Aujourd’hui, il a aussi des difficultés à faire tout ce qu’il faisait il y a vingt-cinq siècles en Inde. Dans sa tradition, on a tendance à trop parler de l’enseignement. Les gens se sont égarés en inventant trop de choses et en s’occupant trop de l’organisation. Ils ont perdu la véritable essence du Dharma. Ils enseignent et pratique sous des formes archaïques qui n’ont pas réussi à transmettre le véritable enseignement aux futures générations. »[144]
4.3.4. Diverses idées forces :
souffrance et juste milieu, compréhension.
En outre, plusieurs idées essentielles qui n’étaient pas explicitement visibles dans ce que j’ai appelé le Message semblent fondamentales pour le Bouddhisme. Bien entendu, tout se rejoint et on peut assez bien considérer que c’est tout simplement une autre manière de voir les mêmes choses. Elles me semblent cependant apporter un plus, au moins par leurs vertus pédagogiques. En effet, je ressens qu’elles étaient déjà en filigrane partout, mais le Bouddhisme a le mérite de les mettre très fortement en avant. J’y reviendrai largement au chapitre 5.
La première est la recherche de l’abolition de la souffrance, qui commence par la mise en évidence que celle-ci est inhérente à notre condition humaine et qu’elle est liée au désir (à la possession devrais-je sans doute dire). Ce qui est particulièrement intéressant à mon sens est qu’il ne s’agit pas d’une foi ou de je ne sais quelle croyance métaphysique ou autre. Quand on prend un peu la peine de réfléchir, on se rend compte que ceci est profondément vrai, tombe sous le sens et que nous en voyons des manifestations tous les jours. Je ne m’appesantirai cependant pas plus ici sur ce thème car je l’ai abordé plus loin dans les paragraphes que j’ai consacrés à l’argent et à la sexualité.
La deuxième est la notion de « Juste Milieu ». En premier lieu, elle est matérialisée par la vie elle-même du Bouddha Gotama telle qu’elle est présentée dans divers ouvrages. En effet, celui-ci, de naissance princière, aurait abandonné cette vie de luxe dans laquelle il était comblé pour se faire « pèlerin cherchant le vrai Bien, le sentier qui conduirait à la plus haute paix. […] Il rencontra cinq ascètes-pénitents qui cherchaient une solution dans la pratique de terribles austérités et macérations. Ces macérations extraordinaires le mirent à bout de forces, et il reconnut que ce n’était pas encore le vrai chemin… »[145]. Il aurait donc choisi un chemin médian entre richesse et extrême dénuement. Je ne m’attarde pas non plus sur le juste milieu car on verra dans les paragraphes concernant l’argent et la sexualité qu’il me paraît évident qu’il faut trouver un juste milieu et qu’il est le meilleur moyen pour tenter d’appliquer au mieux le Message.
La notion d’amour du prochain présente dans le Message et qui intègre l’amour de l’ennemi paraît extrêmement dure. J’avais déjà eu l’occasion d’y réfléchir et de voir comment cela était possible et j’étais parvenu, en dehors de toute lecture, à une compréhension de cette exigence et à une pratique me permettant d’y arriver peu ou prou (c’est quand même dur avec notre éducation qui nous apprend à être des gagneurs, à nous battre, à gagner des compétitions, à rendre les coups, à gagner des parts de marché, etc. !). J’en ai trouvé depuis une explicitation magnifique, infiniment meilleure que ce que j’aurais pu faire, sous la plume du moine bouddhiste Thich Nhat Hanh. Je vous la livre donc même si elle est un peu longue :
« A partir du moment où vous commencez à voir la souffrance en l’autre, la compassion naît en vous. Dès lors, l’autre n’est plus votre ennemi et vous pouvez l’aimer. Quand vous prenez conscience de la souffrance de votre soi-disant ennemi, vous voulez l’aider et il cesse d’être votre ennemi.
Lorsqu’on hait quelqu’un, on est en colère contre lui parce qu’on ne le comprend pas. Avec la pratique du regard profond, on se rend compte que si l’on avait grandi dans les mêmes conditions et le même environnement, on serait exactement comme lui. Ce genre de compréhension fait disparaître votre colère et votre discrimination. Soudain, cette personne n’est plus votre ennemi et vous pouvez l’aimer. »[146]
Ceci est tellement vrai ! Faites abstraction de l’expression « regard profond » qui dans le contexte restreint de la citation n’apporte rien. Et puis, essayez donc de penser à quelqu’un qui vous a nui et essayez de le comprendre. Pourquoi vous paraît-il méchant, ou malhonnête, ou agressif ? Qu’y a-t-il dans sa vie qui l’a amené à être ainsi ? Peut-être le percevrez-vous toujours comme méchant… mais vous aurez compris qu’il a souffert pour en arriver là, qu’il souffre d’être comme cela, que vous souffrez vous-même de le considérer comme cela. Pourrez-vous encore lui en vouloir réellement ? Peut-être même trouverez-vous comment l’aider. Et puis, peut-être vous rendrez vous compte aussi que vous étiez injuste avec lui, qu’il n’est pas ainsi, voire même que c’est vous qui étiez méchant, que vous en souffrez et pourquoi… Essayez donc maintenant, après avoir lu ces lignes, sur un cas concret, prenez un nom… pourquoi remettre au lendemain ?
4.3.5. Un Message plus positif que dans
la plupart des religions chrétiennes.
Si le Message de Jésus lui-même était assez fortement positif avec l’amour du prochain, quel qu’il soit, illustré par des actions et des miracles positifs (guérisons, etc.), il est devenu abominablement négatif dès les décennies suivantes avec le culte du repentir, l’obsession du péché, le culte du martyre, la mise en exergue de la Croix, etc. Avec la compassion, la compréhension, le Bouddhisme délivre globalement un Message nettement plus positif. Il est quand même encore assez négatif de deux manières.
La première est cette valorisation démesurée (à mon point de vue d’agnostique) de la recherche personnelle qui, dans de nombreux courants bouddhiques tels que j’ai pu les percevoir, conduit à la recherche de l’Eveil de manière tout à fait égocentrique en s’isolant des autres. De mon point de vue, la méditation est certes nécessaire, mais pas en se coupant trop du reste du monde. Il faut un temps pour tout. Même la notion de Nirvana, assez peu abordée dans les textes auxquels j’ai pu accéder, semble assez souvent la recherche d’un anéantissement pour échapper à la souffrance plus que celle d’un « paradis ».
La deuxième, qui est dans une certaine mesure une conséquence directe de la première, consiste à multiplier les interdits en créant un déséquilibre vis-à-vis d’une éventuelle valorisation des actes positifs qui est bien moins développée. Mais pourquoi et comment pourrait-on multiplier les actes positifs si on se replie sur soi-même ? Bien évidemment, tout ce que je dis ici s’applique aux textes que j’ai lus mais en aucun cas aux hommes, comme dans tout le reste de ce que j’écris. Je continue à m’interdire de les juger et, au demeurant, j’ai l’impression que les Maîtres bouddhistes ne donnent pas cette impression de repli sur soi-même et au contraire, respirent une bienveillance, une « compassion » communicative qui est intrinsèquement un acte positif. Je n’ai eu malheureusement que rarement la même impression avec le clergé chrétien. Il s’agit d’une « impression », donc de quelque chose d’intuitif, ce qui est à mon sens un mode de perception bien plus fondamental que la logique dans laquelle nous autres occidentaux sommes enfermés et qui nous conduit pourtant quotidiennement à des absurdités. Vous savez… la perception d’un petit enfant… elle a du bon et ne contient guère de logique mais beaucoup d’intuition…
Je ne m’étendrai pas plus ici sur ce point mais on verra dans la suite que, pour ce qui concerne « mon » agnosticisme, la recherche d’un juste milieu (à la mode bouddhique…) entre respect des interdits et action positive est absolument essentielle, tout comme l’action positive prend largement le pas sur un repentir puéril à propos de ce qu’on a pu faire de mal.
4.4. Autres croyances. Culte des
ancêtres, Hindouisme, Shintoïsme, Animisme, etc.
Soyons clair ! Je ne les ai pas abordés. Mon but n’est en aucun cas de faire une étude sur les religions. Il est encore moins d’en rechercher une qui me conviendrait. J’ai passé ce stade depuis le début de mon adolescence, ça fait un bail ! Il est de percevoir si ma vision agnostique, que je vais exposer de manière plus détaillée au chapitre 5. est totalement atypique ou correspond au contraire à une vision plus ou moins universelle. Je pense qu’on verra clairement qu’elle l’est et que je n’ai rien inventé, qu’on verra aussi que cette vision a surgi d’innombrables fois, certes avec quelques variantes, à travers l’attitude et les prises de positions d’individus dont Jésus, Lao Tseu ou Bouddha ne sont que les plus connus, et qu’elle s’est fait broyer presque à chaque fois par le côté bestial de la nature humaine. Je ne fais qu’apporter une très modeste pierre de plus à une montagne de témoignages de haute volée… mais que tout le monde s’empresse d’oublier, de détourner à ce qui paraît être son profit et qui n’est que son autodestruction.
En outre, mon intuition, toujours elle, me dit que je retrouverais des choses semblables dans beaucoup de croyances ou de philosophies que je n’ai pas explorées et n’explorerai jamais. Et je ne les explorerai pas ni par mépris, ni par manque de moyens, ni à cause de préjugés, mais tout simplement pour les raisons que j’ai déjà exposées : il y a tellement mieux à faire que de gâcher tout son temps à des études savantes. Il y a à agir. Je n’évoquerai qu’un cas comme exemple. Celui de Gandhi. Bien que son cas soit bien plus complexe, il est à rattacher à l’Hindouisme que je n’aborde pas. Je l’ai cité à travers une maigre lecture à son sujet. Je ne doute pas qu’étudier sa vie et ses œuvres serait riche d’enseignement… Mais agir positivement l’est à mon sens encore plus. C’est du reste ce qu’il a fait. J’ai le sentiment que c’est ce que je fais aussi très modestement en écrivant ces lignes, à chacun suivant ses moyens. Aller plus loin dans l’étude et l’écriture n’apporterait guère plus si ceci apporte déjà quelque chose. Agir d’autres manières complémentaires me paraît beaucoup plus important. Je honnis l’exégèse et toutes les études savantes et hyperspécialisées de notre époque. Soyons un honnête homme… ou encore mieux, un petit enfant…
4.5. Et puis le monde laïc.
Il n’y a pas que les religions et les philosophies. Divers acteurs de la société, aux diverses époques, croyants d’une religion, agnostiques ou athées ont eu des velléités de s’élever vers des idéaux qui ressemblent au Message que j’ai largement évoqué.
Par exemple, certains scientifiques semblent avoir poursuivi le même idéal plein de bonnes intentions. J’évoquerai, sans certitude sur leurs finalités réelles, à la fois le couple Curie, Einstein ou Pasteur. Les premiers ont développé des connaissances sur la radioactivité et la relativité, les Curie isolant le radium dans un but médical, Einstein faisant faire un immense bond en avant à la connaissance par l’homme de l’univers dans lequel il vit… pour arriver quelques décennies plus tard à la déviation que constitue l’arme atomique. Pasteur quant à lui, découvrant les microbes, a ouvert la porte à la médecine moderne. Un peu plus d’un siècle après, les déviations ont été telles que nous sommes à la fois en face d’une monstrueuse explosion de la population du monde et en possession d’armes bactériologiques qui n’ont rien à envier à l’arme atomique. Je ne vois pas beaucoup de différence entre ces tristes déviations et l’église catholique, en principe en charge de l’enseignement de Jésus et obligeant les disciples de Dominique et surtout de François d’Assise à pourchasser, torturer et tuer les « hérétiques ».
Il en va de même de bien des attitudes laïques. C’est par exemple le cas pour la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Il est intéressant de constater que cette déclaration définit à la fois les droits du citoyen mais aussi les limites de ceux-ci : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Son application doit garantir entre autres, la liberté d’opinion, y compris religieuse et la libre communication des pensées et des opinions. Le droit de propriété n’arrive qu’à la fin. Je pense personnellement que ce texte va très largement dans le même sens que les courants de pensée religieux ou philosophiques que j’ai examinés précédemment.
5. Conclusion sur l’agnosticisme.
Toute la documentation que j’ai été amené à lire ou relire pour rédiger le présent texte n’a pas vraiment fait évoluer mon point de vue. Par contre, elle l’a largement clarifié et de ce fait, enrichi. Que ce soit dans le Nouveau Testament, le Taoïsme ou le Bouddhisme, il y a un vieux fond moral que rejoint tout à fait ce que je vais écrire maintenant. Néanmoins, il me paraîtrait aberrant que quelqu’un fasse l’exégèse de mon texte pour savoir de quelle source provient tel élément ou pire encore, quelles sont les raisons psychologiques ou biographiques qui font que j’arrive à telle conclusion. J’intègre le tout, j’observe le monde et mon environnement depuis que je puis observer. Même si mon texte paraît très structuré, c’est mon intuition plus que ma logique qui me conduit à ces conclusions. Je vous les livre. Et cela s’arrête là.
J’avais commencé à rédiger une conclusion très étoffée donnant toutes les conséquences morales qui découlent de mon point de vue d’agnostique. A la réflexion, je l’ai largement raccourcie pour deux raisons :
-je ne veux pas sombrer dans un discours moralisateur assommant, ce que j’écris est déjà assez ingrat comme cela !
- les grandes lignes que je dégage me semblent avoir des conséquences claires sur tous les aspects de la vie individuelle et sociale, mais c’est à chacun de les tirer en mettant l’accent sur tel ou tel point suivant sa sensibilité, son environnement et les circonstances.
Comme je l’avais déjà indiqué à la fin du chapitre 3. sur la chrétienté, il m’apparaît qu’il n’y a que deux voies possibles : appliquer au mieux la morale universelle qui se dégage de la plupart des religions et philosophies ou sombrer dans les déviations et turpitudes. Choisir entre Dieu et Mammon. Contrairement à ce que je vais développer dans la suite, il n’y a dans ce cas aucun juste milieu. C’est l’un ou l’autre et, même si le choix du deuxième item a pu être érigé en doctrine par des personnages aussi importants que Confucius (mais aussi, assez largement, (saint) Paul) il ne fait que conduire à la souffrance, non seulement au sein de le structure sociale dans laquelle est inséré l’individu, mais aussi et surtout chez celui-ci.
5.1. De l’ « inutilité » de
Dieu et des clergés…
A tout seigneur, tout honneur… Dieu tout d’abord ! La croyance en l’existence ou l’inexistence d’un Dieu me paraît bien secondaire. Dans les deux cas, il s’agit d’un acte de foi tout à fait gratuit. Si cela sécurise certains d’affirmer leur certitude de l’existence d’un Dieu, pourquoi aller contre ? Si cela en sécurise d’autres de s’affirmer athée et de nier l’existence d’un Dieu, laissons-les faire… mais qu’aucun des deux ne vienne essayer d’imposer sa façon de penser ! Qu’ils ne viennent pas non plus dire qu’ils ont « prouvé » l’existence, ou l’inexistence, de Dieu. S’il a fallu plus d’une centaine de pages pour écrire la démonstration du dernier théorème de Fermat, avec dix mille pages, vous ne démontrerez encore rien sur Dieu… Par contre, tout nous appelle à un certain comportement que j’ai traduit sous le nom d’ « application du Message », de « respect du juste milieu », de « comportement positif » tout au long des pages précédentes. « Tout » ce qui nous appelle, ce sont à la foi les messages originaux des diverses religions ou philosophies… mais c’est aussi le simple instinct de survie de notre espèce : comment une société pourrait-elle vivre indéfiniment dans les turpitudes ou le mensonge ? L’Histoire nous a régulièrement montré que ce genre d’attitude d’une société est suicidaire et aboutit à des épisodes sanglants et à des désastres. Comment pourrions-nous prendre une attitude qui conduit à perpétuer ce genre de calamité ?
Si l’on s’en tient à ce Message et à une ligne de conduite qui le respecte, point n’est besoin d’une hiérarchie, d’un clergé ni de quoi que ce soit pour le faire respecter. Bien au contraire. Il est seulement nécessaire, ce qui est demandé dans l’évangile, mais ailleurs également, que chacun propage le Message en question, sans l’imposer ni sanctionner ni contraindre…[147] mais bien entendu en l’appliquant soi-même (par exemple, ce qui est reproché aux scribes et aux Pharisiens dans Matthieu[148] est de ne pas appliquer ce qu’ils disent eux-mêmes). Force est de constater que, comme je pense l’avoir largement montré dans les premiers chapitres, ce sont les désirs de pouvoir, les désirs d’imposer la nouvelle voie de gré ou de force qui ont complètement occulté le Message lui-même jusqu’à conduire parfois à l’application de l’exact contraire.
En tout cas, pour ce qui est des clergés, leur rôle devient gravement nuisible à partir du moment où ils empêchent certaines personnes de penser ou de s’épanouir par elles-mêmes. Or cela a lieu fréquemment par intolérance ou en imposant des contritions, des privations soi-disant volontaires, des cérémonies idolâtres et différentes contraintes ou pressions morales. Il n’y a pas d’anticléricalisme dans ce que je viens d’écrire car les hommes ne sont pas en cause. D’une part, ils peuvent avoir été abusés eux-mêmes, d’autre part, il est indéniable que certains ont par ailleurs un rôle personnel tout à fait bénéfique.
La question des dogmes est encore plus hors sujet ! Si j’ai écrit précédemment qu’il est totalement aberrant de vouloir bâtir une croyance en un Dieu sur de quelconques raisonnements, à quoi pourrait bien rimer des constructions plus complexes, sur une sainte Trinité, sur un paradis, sur un purgatoire, sur des saints divers et variés, martyrs ou non, etc. ? Si l’on a envie ou besoin de faire de telles constructions, pourquoi pas… tant qu’on n’essaie pas de les imposer aux autres. Par exemple, les Cathares avaient des dogmes assez complexes dont je ne vois pas l’intérêt. Mais la différence avec les catholiques de l’époque qui en avaient d’autres, c’est qu’eux ne cherchaient pas à les imposer et respectaient en gros ce que j’ai appelé le Message des évangiles.
Et je ne suis pas le seul à dire cela à propos des dogmes. C’est ainsi que Nyanatiloka, moine bouddhiste d’origine allemande du début du vingtième siècle a écrit : « Le vrai disciple se tient éloigné de tout dogme, il est un libre penseur dans la plus noble acception du terme. Il ne se plaît ni dans les dogmes positifs, ni dans les dogmes négatifs ; il sait que ce sont seulement des opinions, des vues fondées sur l’ignorance et l’illusion… »[149]
En fin de compte, refuser tout dogme, c’est tout simplement être agnostique au sens étymologique du terme, « ne pas savoir »…
5.2. Un fond moral tout à fait
essentiel.
Le fond moral que j’identifie s’articule autour de trois pôles qui ne sont pas vraiment distincts. Il s’agit plutôt de trois manières complémentaires d’appréhender une même morale d’action. Ce faisant, j’exclue implicitement tout Dieu, Tao, Nirvana, et, bien entendu tout dogme. Je ne dis pas qu’ils sont ou ne sont pas. Je dis simplement que, d’une part je ne peux pas savoir, d’autre part et surtout, si l’un ou l’autre ou tous simultanément sont, la satisfaction de la morale que j’évoque est la seule manière de satisfaire aux exigences qu’ils impliquent.
Ces trois pôles fondamentaux sont pour moi :
-ce que j’ai appelé « le Message » tout d’abord, ne pas tuer, ne pas mentir, etc. ; il est fondamental mais il a le défaut d’être présenté de manière négative, ne pas, ne pas ; tel qu’il est, il est déjà presque surhumain de l’appliquer en entier ; « surhumain » car il va à l’encontre d’un environnement social qui non seulement ne l’applique pas mais se complaît dans son contraire jusqu’à aboutir à des désastres, guerres, crimes, malhonnêtetés qui engendrent elles-mêmes de multiples souffrances ; et ceux-là même qui s’y complaisent sont les premiers à souffrir ;
-la culture d’un juste milieu entre des dualités dont les pôles sont tout aussi aberrants l’un que l’autre : luxure et chasteté, esprit de pouvoir et esprit de soumission, esprit de lucre et refus de l’argent (rare à notre époque !), esprit de possession et renoncement total aux choses terrestres, sadisme et masochisme, etc., jusqu’à des aspects qui peuvent paraître plus anodins mais restent importants : gourmandise et privations volontaires de nourriture (jeûnes) ;
-la recherche du positif et de l’amour sous toutes ses formes non frelatées ; je dis « non frelatées » car le mot « amour » a été mis à toutes les sauces ; dans mon esprit, il est évident que l’amour ne peut se concevoir qu’en donnant à l’autre ; il n’y a aucune possession là-dedans ; donner engendre le bonheur ; et il ne s’agit pas en premier lieu d’argent mais de gentillesse, de bienveillance, d’aide au moment où elle est nécessaire, de respect de l’autre, etc. ; la recherche du positif est du même ordre : voir, rechercher, partager ce qu’on ressent comme beau dans la vie.
Faire sien ces trois lignes de conduite étroitement liées et indissociables permet de prendre position dans la quasi-totalité des actes individuels comme dans la vie sociale. Elles sont un peu la présentation négative, neutre et positive de la même morale. Je vais en donner quelques déclinaisons assez succinctes, vous laissant le soin de les développer à l’infini.
5.3. Insertion dans la société et amour.
Partant d’un constat négatif, la mort est inexorable, j’aboutis à une position qui est résolument positive. Ou plutôt, pour commencer à être positif, ce n’est pas le caractère inexorable de la mort qui est le ressort, c’est le fait qu’une vie nous a été octroyée, par on ne sait quel phénomène, et que nous devons utiliser ce don merveilleux au mieux pour les autres comme pour nous-mêmes. Et ce n’est pas en jouissant de n’importe quelle façon jusqu’à épuisement que nous l’utiliserons au mieux. Comme l’ont très bien compris les bouddhistes, ce genre d’attitude ne fait qu’engendrer la souffrance, souffrances de toujours désirer plus, épuisement physique et lassitude, dépressions, conflits avec les autres, etc.
De plus, nous avons pris vie dans un cadre social. Nous ne sommes pas des individus isolés. Nous ne pouvons exister que grâce aux autres. C’est la richesse de notre vie d’être insérés dans une société avec d’autres, parents, amis, relations, compatriotes, monde entier… C’est aussi une condition vitale pour notre existence de deux manières :
-dans notre société si individualiste, nous ne saurions exister si quelqu’un quelque part ne produisait pas notre nourriture, nos médicaments, tous nos moyens d’existence ; paradoxe des temps, nous n’avons jamais été autant à la fois dépendants des autres et individualistes ;
- nous ne pouvons pas vivre sans entourage humain ; nous savons bien que le naufragé isolé sur une île déserte devient fou ; dans notre société, il n’y a pas à chercher beaucoup plus loin que l’individualisme comme cause du naufrage de nombreux êtres humains dans la folie, le suicide, les addictions, etc.
Nous avons donc un don, la vie, et un devoir, celui d’apporter à notre société et donc aux humains qui nous entourent de près ou de loin ce que nous pouvons avec les moyens dont nous sommes dotés, différents pour chaque individu.
Nous sommes à la fois individu et être social. Il s’agit là de la première dualité qui appelle un juste milieu. Et ça n’est pas la plus facile à gérer ! Se cloîtrer à l’abri du regard des autres est un excès tout à fait regrettable qui ne permet à l’individu ni de s’épanouir, ni d’apporter la pleine mesure de ce qu’il pourrait donner aux autres. Se jeter à corps perdu dans la vie sociale, associative, politique, ou même simplement familiale… sans avoir de vie individuelle épanouie peut conduire à des désastres. Des envies de pouvoir et des conflits peuvent en être la conséquence directe. L’évolution du catholicisme des premiers siècles m’en semble un exemple saisissant parmi une infinité d’autres à toutes les époques. Les dysfonctionnements du monde politique actuel en sont une illustration qui va jusqu’à la caricature.
Dans les rapports de couple, la notion d’ « amour » est souvent associée à la sexualité et aussi à la notion de jalousie, ou « simplement » de possession de l’autre. Je reviendrai sur la première plus loin mais pour ce qui est de la jalousie, quel étrange rapprochement ! A mon sens, aimer quelqu’un, c’est vouloir son bonheur, c’est être heureux si il ou elle est heureux, c’est faire porter tous ses efforts pour arriver à ce but. Il n’y a pas de possession là-dedans, pas de notion de propriété, pas de désir de s’imposer à l’autre. La jalousie est impossible. C’est comme cela que je comprends toutes les formes de l’amour, au sein du couple, envers ses parents, enfants, famille, amis… mais aussi « prochain ». Répondre positivement à un étranger qui vous demande un service, donner à une œuvre que l’on estime honnête et efficace, tous les moyens sont bons pour donner une parcelle d’amour qui apportera un peu aux deux protagonistes. Vous en retirerez une satisfaction secrète qui vaut toujours mieux qu’une quelconque possession d’un objet que vous n’emporterez pas au-delà de votre vie humaine limitée.
Et (mais est-ce étonnant ?) cela rejoint aussi les prescriptions négatives du Message et bien d’autres. Ne pas tuer ni participer à la fabrication d’armes, c’est faire de son mieux pour éviter des morts, des mutilations, des souffrances monstrueuses. C’est donc permettre à des gens que nous ne connaissons pas d’avoir un peu plus de bonheur, ou un peu moins de malheur. Les deux se rejoignent dans l’expression : « Amour du prochain »….
Il en va de même dans le fait d’aimer même ses ennemis. C’est ce que j’expliquais au paragraphe 4.3.4. sur la compréhension de l’autre. Ceci est bien plus universel que le strict cadre du Bouddhisme dans lequel venait ce développement. Comprendre ce qui se passe quand on a des tensions avec quelqu’un, un conflit, et arriver à surmonter cette situation, ne croyez-vous pas que cela peut apporter un peu de bonheur, de sérénité disons, aux deux « parties » ?
5.4. A propos de la sexualité.
Le premier pôle, c’est-à-dire le Message, implique de ne pas mentir ni faire souffrir. Il n’est donc pas question de vivre sa sexualité avec des personnes non consentantes, viol mais aussi prostitution imposée par un proxénète. Il n’est donc pas question non plus de tromper le partenaire avec qui on a pris des engagements, ce qui exclut l’adultère comme tromperie. Le deuxième pôle, le juste milieu, implique de rejeter les deux excès, luxure mais aussi chasteté, tous deux aussi nuisibles à l’individu en empêchant son épanouissement donc en réduisant sa capacité à agir positivement. Le troisième pôle implique de donner du bonheur à sa ou son partenaire plus qu’à rechercher sa propre jouissance, ou à jouir du bonheur de l’autre, ce qui revient à peu près au même. Il exclut bien entendu la prostitution.
Si les expressions « amour physique », « faire l’amour », ne sont pas frelatées, elles doivent donc signifier donner du bonheur à l’autre, et si possible réciproquement. La « jouissance » vient tout autant et plus de donner du plaisir que d’en avoir directement. C’est tout le contraire de posséder… Tout se tient.
Bien évidemment, la sexualité conduit aussi et avant tout à la reproduction de l’espèce humaine. Mais quand j’écris « reproduction », il ne s’agit pas de prolifération. Maîtriser la situation est mieux. Je crois avoir suffisamment montré dans mon autre essai qui n’a rien de religieux, le « principe de générosité », les désastres auxquels nous conduit la surpopulation actuelle. La régulation des naissances fait donc partie de la sexualité avec toute la contraception librement choisie par les individus qu’elle implique. Par contre, si je ne réprouve pas l’avortement pour les obscures raisons dogmatiques de certains qui assènent des affirmations gratuites sur le moment où une nouvelle vie apparaît, celui-ci n’est pas et ne sera jamais un moyen de contraception. N’importe quel médecin ou psychologue vous dira qu’il provoque de la souffrance chez la femme qui avorte. Il faut donc que cette souffrance n’advienne que sur demande de l’intéressée et si elle permet d’en éviter une plus grande, enfant malformé, femme violée peut-être, je n’ai pas approfondi la question. C’est le principe qui est essentiel, à chacun de le décliner.
5.5. Les actions positives.
Le summum de l’action positive, pour les autres mais aussi pour soi-même, est de donner du bonheur ! C’est un vrai bonheur ! Faire plaisir, provoquer un sourire, rendre un petit ou un grand service. C’est absolument gratifiant et en tout cas beaucoup plus que de faire des « jaloux » grâce à une nouvelle acquisition, une belle réussite sportive ou universitaire ou tout autre moyen d’écraser les autres. En effet, si vous « faites des jaloux », cela veut dire aussi que d’autres ont plus et excitent aussi votre propre jalousie. Et quoi de plus douloureux que d’être jaloux ? Bien entendu, faire plaisir, rendre des services, etc. n’est gratifiant que si vous n’en faites pas étalage : il ne s’agit pas de rendre les gens jaloux de votre générosité, ce serait la pire des choses. Il ne s’agit pas non plus d’affirmer un pouvoir en écrasant l’autre sous votre générosité. Tout cela, je l’écris à ma manière mais il me semble bien l’avoir lu d’une manière ou d’une autre un peu partout dans les évangiles, dans Lao Tseu ou dans les écrits sur le Bouddhisme…
Il y a aussi bien d’autres manières d’agir positivement. C’est par exemple essayer de percevoir la beauté de ce qui nous entoure, là où nous la trouvons. En négatif, cela donne rejeter la laideur, ce qui pourrait être complémentaire mais est beaucoup plus dangereux. Cela peut en effet conduire à des ostracismes vis-à-vis d’autres êtres humains ou d’œuvres qu’ils ont créées. Tenons-nous donc au positif ! On peut trouver la beauté un peu partout dans notre environnement : la nature, les arts, la compréhension du monde par les sciences ou par l’histoire, la beauté du monde à travers les voyages, la beauté dans le sourire des autres, etc. Chacun choisit « sa » beauté, mais il est essentiel tout d’abord d’en prendre conscience puis de la cultiver. On peut aussi en découvrir d’autres au fil du temps, au fil des échanges avec d’autres qui ont « leurs propres beautés », au fil de notre avancée en âge aussi. En ce qui concerne ce que nous trouvons « laid », c’est un peu comme avec les ennemis, mieux vaut essayer de comprendre que de condamner…
Toujours est-il que si vous commencez à vous polariser sur la recherche de la vision de ce qui est beau et que vous avez l’idée de l’amour expliquée précédemment, vous arriverez tout naturellement à l’idée de partager la première avec d’autres. Montrer ce qui est beau, toujours sans prosélytisme, voilà de l’action positive qui demande peu ! Pour ma part, c’est un peu ce que je fais actuellement en écrivant ces lignes mais aussi avec la photo et la nature. C’est un exemple mais l’admiration, la connaissance ou l’exercice des arts (non pollués par l’argent comme à notre époque), l’enseignement et bien d’autres attitudes conduisent au même résultat : augmenter le bonheur ambiant et les attitudes positives.
Et quand j’écris « ce qui est beau », c’est vraiment tout ce qui est beau. Les religions ont-elles aussi secrété des œuvres d’art superbes. En entrant dans certaines églises romanes, gothiques ou autres, dans des temples de toute obédience suivant les goûts, on peut percevoir de la beauté, une atmosphère propice à la méditation, une ambiance que les architectes, les tailleurs de pierre, les fidèles et les clergés de l’époque de la construction nous ont léguées. Pourquoi les refuser ? Pourquoi en avoir peur, car c’est bien de peur qu’il s’agit ? Tout ce qui est beau mérite d’être exalté ! Et ceci est vrai même si nous rejetons certains aspects. Mettre la croix et des martyrs percés de flèches en exergue au lieu du Message de Jésus me révulse. Les monuments aux morts et les boutiques (marchands du Temple qui se multiplient de nos jours) dans les églises m’horrifient. Mais peu importe ! L’essentiel est de rester réceptif à ce qui est beau, même si ça n’est qu’une atmosphère, une lumière qui incitent à la méditation et qui apportent l’apaisement ! Il en va de même pour les autres œuvres d’art, tableaux, sculptures, musiques. Le Vatican lui-même contient des merveilles qu’on doit admirer même si on réprouve ce qui s’y est fait, s’y fait et la manière dont certaines de ces œuvres y sont arrivées…
Enfin, et ce n’est pas un détail, pour arriver au mieux à faire tout cela, il importe d’écouter plus que de parler… Par exemple, comment comprendrait-on les autres sans les écouter ? Et comment pourrait-on prétendre leur apporter un peu sans les comprendre ?
Alors le repentir, les remords, les regrets ? Il s’agit d’attitudes purement négatives ! Il est sûr que chaque être humain a connu des circonstances dans lesquelles il n’a pas agi de son mieux. Colères, conflits, mauvaises actions ou mauvaises pensées, cela arrive malheureusement à tout le monde. Les fautes de jugement qui produisent des désastres également. Mais l’essentiel est d’en être conscient. Je prendrai un exemple qui pourra paraître de prime abord étonnant mais qui s’applique parfaitement. Dans ma carrière professionnelle, il m’a été donné de m’occuper de catastrophes naturelles. Après une grande catastrophe, on intervient bien entendu pour essayer de réparer les dégâts qui peuvent l’être. Mais on réalise également ce qu’on appelle un « retour d’expérience » : on envoie une équipe qui analyse le plus objectivement possible ce qui s’est passé et qui tire des conclusions sur ce qu’il faut faire pour que le même type d’évènement ne se reproduise pas. Pour une mauvaise action humaine, le mieux est d’en faire autant au niveau individuel. Il en va de même quand on estime avoir commis une faute, une erreur, causé une catastrophe. Non pas se lamenter, non pas se repentir avec des larmes de crocodile, non pas se confesser, qui pourrait être investi du droit exorbitant de vous écouter et dans quel but ?... mais arriver à ne pas avoir peur de regarder les choses en face, essayer de voir au mieux ce qui n’a pas été, ce qui ne va pas, pourquoi en est-on arrivé là, afin de ne pas recommencer. Ne pas avoir peur non plus d’en parler avec des interlocuteurs choisis, ce qui n’a rien d’une confession. Les autres peuvent nous aider s’ils sont bienveillants. Les regrets viendront tout naturellement mais ne paralyseront pas l’action future. Bien entendu, il s’agit d’une action à base de réflexion, ou de méditation, comme on voudra. Et puis, si les désastres commencent à pleuvoir parce qu’on s’est enferré dans une cascade de mensonges ou de malhonnêtetés, c’est une toute autre histoire ; le processus pour s’en sortir est le même… mais cela risque d’être bien douloureux pour tout le monde. Raison de plus pour ne pas mettre le doigt dans l’engrenage, ou s’il est trop tard, pour en sortir au plus vite !
5.6. A propos des sciences et de la
connaissance.
C’est juste à ce stade que j’arrive à parler de la compréhension du monde par les sciences. Je les avais évoquées au chapitre 4.1. sur le Taoïsme et avais souligné ma perplexité sur ce difficile sujet. Je vais essayer de donner quelques pistes à la lumière des trois pôles que j’ai présentés en 5.2.
A mon sens, la science n’est en aucun cas un besoin essentiel pour la compréhension métaphysique et philosophique et encore moins pour le fonctionnement des sociétés humaines. Je serais même tenté d’écrire : « au contraire ». En effet, ce genre de compréhension peut rendre arrogant, laisser croire qu’on a compris le monde, laisser croire aussi, soit qu’on a rencontré Dieu et qu’on peut le tutoyer, soit au contraire qu’on a prouvé qu’il n’existe pas, conduire à faire passer la logique à la place de l’intuition, le calcul à la place de l’amour, faire passer de l’état de petit enfant à celui de Pharisien, confondre l’âme humaine avec la mathématique et la mathématique avec les décomptes financiers... On peut certes voir la beauté du monde à travers les sciences, mais il ne faut pas se laisser déborder. Que vaut la découverte d’un E=mC² qui conduisit à la bombe atomique ? Que vaut la découverte par Pasteur du bacille de l’anthrax et de son vaccin si c’est pour arriver à une arme bactériologique redoutable un peu plus d’un siècle plus tard ? Souvenez vous d’Eve, d’Adam, et de l’arbre de la connaissance…, le serpent, on s’en fiche ! Souvenez-vous de ce que dit Lao Tseu sur la connaissance. Il en va un peu de la connaissance comme de l’argent que j’évoquerai dans la suite, un moyen pour faire avancer l’homme… si on la maintient à sa place d’instrument parmi d’autres et qu’on ne la divinise pas. A notre époque, c’est presque un blasphème contre notre société que d’écrire cela… et pourtant !
J’ai trouvé dans le Canon bouddhique Pâli[150], source première d’une grande partie du Bouddhisme, un enseignement que je vais essayer de résumer en quelques lignes tout en essayant de ne pas le dénaturer. Il me semble illustrer parfaitement le propos. En substance, Bouddha dit que certains (Brahmanes ou moines) professent que le monde est infini, d’autres que le monde est fini, d’autres encore qu’il est à la fois fini et infini ou ni fini ni infini… et que tous ont tort ! Et de conclure qu’il se garde pour sa part d’aborder une telle question qui est sans réponse (pour l’être humain)… Ceci me semble s’appliquer parfaitement à ceux qui prétendent comprendre le monde par les sciences… tout comme à ceux qui prétendent démontrer que Dieu existe ou non.
5.7. A propos de l’argent.
Il serait complètement ridicule de vouloir supprimer ce moyen d’échange entre les humains. Avoir comme idéal de s’en affranchir complètement au point de vivre en ne faisant que mendier non seulement n’est pas viable mais est asocial. En effet, en admettant un instant une situation utopique dans laquelle tout le monde en arriverait à ce stade, qui donc donnerait encore à manger aux mendiants puisque plus personne ne se préoccuperait de produire de la nourriture ?
Par contre, il est encore bien pire d’en faire un Dieu qui régente tout et que l’on adore ! Or c’est bien le point où nous en sommes. Quoi qu’il en soit, partout où j’ai rencontré des éléments constitutifs de ce que j’appelle le Message, j’ai aussi rencontré le mépris et parfois même la haine de l’argent. Depuis le « Rendez le à César » de Jésus jusqu’au « …accumuler des richesses, tout cela s’appelle vol et mensonge… »[151] de Lao Tseu, l’enseignement est limpide et était déjà présent dans l’Ancien Testament avec Moïse et le Veau d’or.
Avez-vous essayé d’imaginer une fois ce qui se passerait si vous gagniez au Loto ? Le gros lot, bien sûr, quelques dizaines de millions d’euros. J’ai déjà fait le test en posant cette question à diverses personnes et en me la posant à moi-même. Ca fait rêver ! Vous achèteriez une maison, luxueuse, bien sûr. Ca ne prendrait qu’une toute petite partie de la somme et encore faudrait-il l’entretenir… domestiques ? Travaux réalisés par des entreprises ? Que de soucis en plus ! Une résidence secondaire ? Vous doublez le problème ! La super voiture et les voyages ? Dur de tout dépenser ! Faire le bien ? C’est une possibilité que peu évoquent ! Et comment ? Regardez autour de vous, de nombreuses œuvres charitables sont suspectes ou, au minimum, dépensent l’argent qui leur est confié de manière peu orthodoxe : publicité, harcèlement par des courriers dispendieux, etc., quand ils ne se servent pas de leur influence pour un prosélytisme religieux ou laïc qui n’est que pure malhonnêteté intellectuelle. Je n’ai personnellement trouvé qu’une seule œuvre qui me paraisse, pour le moment en tout cas, au-dessus de tout soupçon, mais ne comptez pas sur moi pour dire laquelle, à chacun son intuition… Et puis, à moins de tout donner ou dépenser d’un coup, vous assureriez sa pérennité comment, à cet argent ? Les banques n’auraient pas fini de vous harceler… Le mieux serait sans doute que vous vous fassiez escroquer rapidement comme ça semble être arrivé à bons nombres de gens ayant gagné de grosses sommes. Oui… mais songez à ce que vous serez malheureux ensuite d’avoir gagné tout cet argent et de l’avoir reperdu… Bien plus qu’avant d’avoir gagné… Après tout, peut-être serez-vous plus heureux en pensant au sourire des pauvres que vous aiderez en leur donnant, directement ou indirectement, l’argent que vous n’aurez pas joué au Loto ? En tout cas, c’est ma vision d’agnostique… et elle cadre assez bien, me semble-t-il, avec le Message que j’identifie dans les religions et philosophies que j’ai abordées.
La possession d’argent attire les convoitises. Ceci est vrai dans tous les secteurs de notre société. Les convoitises des voleurs sont celles qui viennent les premières à l’esprit… mais ce n’est pas le pire. Il y a aussi l’envie de tous les pauvres du monde devant qui nous étalons nos richesses… quand nous n’allons pas en outre exploiter les leurs : pétrole, mines, main d’œuvre... A partir de là, la spirale se développe. Par exemple, dans les pays du Tiers-Monde, c’est le problème des riches qui souffrent de la jalousie des pauvres, se claquemurent et sombrent dans un fascisme haineux. J’inverse délibérément la proposition pour montrer, à la manière de certains bouddhistes, la génération de souffrance à tous niveaux. Dire que les pauvres souffrent de la faim et de la maladie devant les riches qui les exploitent serait aussi vrai… mais d’une banalité… « Pauvres pauvres »… mais aussi « pauvres riches » !
Les gens qui nous envient ou qui ont faim, tout simplement, viennent chez nous, c’est l’immigration… mais d’autres sont plus expéditifs, ils nous jalousent et veulent détruire ou s’approprier nos richesses, c’est le terrorisme ou les guerres entre états. Et ainsi de suite…
Il faut donc construire des armes pour défendre notre richesse…
Si nous avons des armes, il faut bien les utiliser pour les tester, de préférence sur d’autres humains si nous voulons vraiment connaître leur efficacité…
Et puis, peut-être serons-nous nous-mêmes les cobayes des essais militaires d’autres nations ?
Je crois que je n’ai pas à insister plus sur la spirale négative de l’argent ! Quand on a compris cela, on en vient tout naturellement à le mépriser et à le traiter comme un outil. Outil dont nous avons besoin pour vivre dans notre société si complexe, outil qui peut servir à faire du bien aux autres, mais outil qui doit se tenir à sa place. Non seulement nous ne l’emporterons pas avec nous à notre mort, mais nous savons bien que sa valeur peut s’écrouler d’un jour à l’autre dans une crise boursière, que nos avoirs peuvent disparaître comme d’un coup de baguette magique avec le marasme de notre banque à laquelle nous n’avons pas le droit d’échapper : nous n’avons en effet plus le droit de percevoir nos émoluments, retraite ou autres directement.
A partir du moment où vous aurez pris pleinement conscience que plus vous aurez d’argent (et de richesses), plus vous serez malheureux, je ne vois pas comment vous pourriez continuer à en désirer plus… ou alors, vous êtes vraiment masochistes !
5.8. Et le reste…
Ce que j’ai écrit sur un certain nombre de thèmes se décline à l’infini sur tout ce qui fait notre vie et notre société. Je vous laisse donc le soin de le décliner à propos de la recherche du pouvoir, de la nourriture, de la gourmandise et des jeûnes, etc.
5.9. Action et méditation.
Il serait difficile de ne pas aborder le sujet de la méditation qui est, qu’on le veuille ou non, un des piliers de beaucoup de religions ou philosophies. Se jeter dans l’action sans réfléchir conduit à des désastres. Passer son temps à réfléchir, ou méditer, ou prier, comme vous voudrez, sans déboucher sur l’action me semble de nature à stériliser complètement une vie humaine. Je ne sais si je réfléchis ou si je médite… Ce qui est sûr, c’est qu’il m’a fallu beaucoup penser pour écrire le présent texte. J’appellerai cela méditation si vous me le permettez, même si l’on est très loin des « modes d’emploi », très variables eux-mêmes, de la méditation bouddhique. Et bien, dans mon optique, méditer, ce n’est pas se vider l’esprit. Cela n’a rien d’un lavage de cerveau… C’est au contraire remplir celui-ci de visions positives. Visions positives sur ce que je peux essayer de faire, sur des choses belles que j’ai vues, sur de petites ou grandes satisfactions personnelles ou de mon entourage plus ou moins proche, voire sur l’évolution de la situation mondiale, ce qui est beaucoup plus rare par les temps qui courent... C’est aussi échafauder des actions allant toujours dans le même sens. Mais cela débouche impérativement sur leur mise en pratique. Sinon, à quoi bon échafauder des actions qui ne seraient que des fantasmes ? Suivant leur caractère et leur passé, les individus peuvent être plus portés à la méditation ou au contraire à l’action. Mais les deux sont absolument nécessaires… là aussi, il y a un juste milieu à trouver… et la méditation doit venir avant l’action !
5.10. Pour terminer.
Ce qui m’étonne personnellement dans le fonctionnement de notre monde et dans celui d’une majorité des gens que j’ai côtoyés, c’est que ces gens ne voient pas cela. Qu’ils se figurent qu’ils peuvent se comporter petitement, faire de la morale à l’économie, faire de l’économie leur morale, faire de petites tromperies. En un mot, qu’ils peuvent mentir à Dieu s’ils y croient, à leur entourage et à eux-mêmes. Ce qui m’étonne, c’est que tous ces gens ne se sont jamais posés ce genre de question sur ces sujets… alors qu’ils savent parfaitement qu’ils vont mourir un jour. Ce qui m’étonne, c’est d’être entouré de gens immortels, puisque leur comportement n’a aucune cohérence avec le fait qu’ils sont mortels. Ce qui m’étonne encore, c’est l’avidité des gens à approprier, à entasser, à accaparer, alors qu’ils n’emporteront rien avec eux. Ce qui m’étonne encore plus, c’est qu’à notre époque, les gens ne pensent plus à l’avenir de leurs enfants au point de saccager la planète. Pourquoi entasser si c’est pour mourir un jour et laisser du gâchis en héritage, c’est-à-dire avoir multiplié les souffrances de ceux qui restent ou qui viendront après ?
Pour parler autrement, je ne vois pratiquement aucun de mes contemporains se préparer à la fin du monde ! Ca y est allez-vous dire, il a sombré dans les croyances catastrophistes, apocalyptiques ou autres ! De quelle secte est-il membre ? Eh bien, pas du tout ! La fin du monde pour chacun d’entre nous, c’est le moment où nous mourrons. Le monde, « notre monde » s’éteindra alors et qu’il perdure ou non n’a aucune signification pour nous. Nous vivrons donc tous la fin du monde et nous ne connaissons ni le jour, ni l’heure. Les apôtres, Lao Tseu et Bouddha l’ont vécue avant nous. Il n’y a pas d’Apocalypse là-dedans, pas de cavaliers, de vieillards, d’Armageddon ou autres, mais il y a bel et bien une fin… dont finalement tout le monde se fiche, préférant imaginer une catastrophe planétaire dans laquelle nous serions tous engloutis. Du grand spectacle pour nous faire oublier notre petite mort personnelle ! Qu’on me comprenne, je ne dis pas qu’il n’y aura pas une telle catastrophe. Je pense même que nous faisons tout pour en créer une, et l’on pourra lire à ce sujet mon autre essai, « Le principe de générosité ». Mais celui-ci n’a rien à voir avec l’agnosticisme ni les religions. Par contre, cette fin du monde que tous ceux qui nous ont précédés ont « vécu », nous la vivrons aussi. Quand on a compris cela, on n’a plus envie de s’empiffrer dans le cadre de notre société de consommation même si ce n’est aucunement un prétexte pour s’imposer des privations masochistes que nul ne nous demande.
Dans ces conditions, peut-on ne pas être un saint ou à tout le moins avoir des velléités de l’être ? Après, savoir s’y prendre est autre chose, avoir la force nécessaire s’acquiert difficilement… et être canonisé par un quelconque clergé est une absurdité ! Pourquoi pas déifié, tant qu’on y est ! Je n’ai peut-être pas assez mis l’accent sur cette force qui est nécessaire pour l’accomplissement de tout ce que je décris. Pas la force pour gagner des compétitions, ça c’est trop facile ! Non ! La force pour ne pas faire de compétition, pour ne pas dominer… et exister quand même sans se faire dévorer… La force dont nous avons été dotés avec cette vie, et que nous avons peut-être oublié d’utiliser au mieux ?
Dans le fond, si je devais résumer mon agnosticisme en une phrase, je dirais que c’est, au moment de mourir, pouvoir se retourner, regarder sereinement la vie qui s’étale derrière nous et dire : « Ma vie n’a pas été terrible, mais j’ai quand même fait ce que j’ai pu avec les forces dont j’étais doté et que j’ai cultivées de mon mieux. Si jamais j’ai des comptes à rendre, je peux le faire avec une certaine sérénité !»
6.Annexe ; quelques citations du journal de l’abbé
Mugnier (Mercure de France, Le temps retrouvé).
L’abbé Mugnier a écrit son journal de 1879 à 1939. Il a mené une vie mondaine qui lui a fait connaître à la fois les sommités politique ou aristocratiques du moment mais aussi les écrivains de son temps, ce qui semblait l’intéresser encore plus. La vie qu’il a menée est un peu l’antithèse de ce qui m’aurait convenu ! Croyant en Dieu, ecclésiastique, mondain… tout le contraire de ma propre personnalité ! Et pourtant, je trouve des convergences tellement frappantes avec ce que j’écris dans l’essai précédent que je ne résiste pas au plaisir de vous mettre ci-dessous quelques citations. En effet, venant d’un homme d’église, ces réflexions semblent montrer qu’il a trouvé dans les Evangiles le même message que moi-même. Après, il ne s’est pas fait que des amis dans sa hiérarchie et il n’a jamais vraiment été promu, il ne le souhaitait pas, et s’il n’a été sanctionné qu’une fois, c’est sans doute à cause de l’influence des milieux qu’il fréquentait et parce qu’il faisait son « métier de prêtre » avec sérieux. Même avec ces raisons et bien qu’il n’ait pas été publié de son vivant, il a, à mon avis, fait preuve d’un certain courage d’écrire cela ! Et ceci d’autant plus qu’il était opposé à la guerre de 14 alors que le reste de l’église catholique bénissait les canons et priait pour la victoire !
6 septembre 1905 : On ne parle que d’associations paroissiales et d’associations culturelles. Le clergé va encore dépenser son activité dans ces organisations-là. Et la religion intérieure sera toujours reléguée au dernier plan. Vous vous préoccupez trop des questions hiérarchiques, ecclésiastiques. Et la justice, et la charité, et la résignation, et le courage et tout ce qui fait vivre l’âme humaine ! La question Eglise tue la question simplement religieuse. La religion est un esprit, un mouvement du cœur. Vous en faites un pouvoir, une société , une force extérieures, quelque chose qui est en lutte avec les autres pouvoirs et les autres sociétés. Pour aimer Dieu et son prochain, faut-il tant de matérialité ? Que nous sommes loin de Jésus-Christ ! Il tolérait à peine le Temple.
15 décembre 1905 : Il faut se suffire à soi-même, Huysmans convenait, hier soir, que l’Eglise de France est flambée. Nous ne sortirons pas du pétrin. C’est la foi qui manque, et quel clergé imbécile ! D’ailleurs l’Eglise comme dit le pauvre malade de la rue Saint-Placide [Huysmans], a embêté tout le monde.
11 août 1914 [la déclaration de guerre avait été faite par l’Allemagne à la France le 4 août] : On est si sévère contre l’homicide -non occides- ! Et puis on trouve tout naturel de tuer des milliers de personnes ! Oui, mais c’est pour une juste cause. Il n’y a pas de cause assez juste pour valoir tant de sang répandu. Ah ! comme on fait bon marché de la morale, quand on le veut ! Et vos congrès eucharistiques ont-ils rapprochés les peuples ? Ils ont eu lieu à Vienne, en Allemagne, en Angleterre, en France. La religion et la vie suivent des marches parallèles. Jamais ou presque jamais de confluent ! (...)
17 septembre 1915 : Le Sacré-Cœur ! Ce cœur rouge retiré du corps humain. Une dévotion faite pour un siècle d’opérations, pour une époque de chirurgiens !
FIN
[1] Marc 10.51 et 10.52. ; traduction d’E. Osty, comme toutes les citations de la Bible qui suivront
[2] Matthieu 23.8. à 23.12.
[3] Matthieu 22.35. à 39.
[4] An autobiography or the story of my experiments with Truth. M.K.Gandhi, edition d’août 1948. Traduit et cité dans : Gandhi, la voie de la non-violence. Gallimard. Collection Folio deux euros. Je ne saurais cependant conseiller la lecture de cet ouvrage qui constitue un patchwork de citations extraites d’œuvres de Gandhi et surtout d’œuvres sur Gandhi qui sont déjà parfois des recueils de citations. Il est bien évident que, quelle que soit l’honnêteté intellectuelle de celui qui réalise une telle compilation, on peut faire dire à celui qu’on cite un peu n’importe quoi à travers le prisme déformant de la sensibilité du compilateur. Ce n’est que la valeur intrinsèque de la citation que j’ai retenue.
[5] Matthieu 27.55.
[6] Marc 15.40. et 41.
[7] Luc 23.49.
[8] Jean 19.25 à 27.
[9] Matthieu 27.44.
[10] Marc 15.32.
[11] Luc 23.39. à 43.
[12] Par exemple : « Mais lui (Jésus), se retournant, dit à Pierre : « Va-t-en, arrière de moi, Satan ! Tu m’es un scandale, parce que tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. » Matthieu 16.23.
Ou encore : Et il (Jésus) monta auprès d’eux dans le bateau, et le vent tomba. Et ils étaient en eux-mêmes eu comble de la stupeur ; car ils n’avaient rien compris au sujet des pains, mais leur cœur était endurci ! » Marc 6.51. et 52.
Ou enfin : « Et s’en rendant compte, il leur dit : « Pourquoi raisonnez-vous sur ce que vous n’avez pas de pains ? Vous ne saisissez pas encore et ne comprenez pas ! Vous avez le cœur endurci ! Ayant des yeux, vous ne regardez pas ! et ayant des oreilles, vous n’entendez pas !... » Marc 8.17. et 18.
[13] Par exemple : Matthieu 26.69 à 75.
[14] Matthieu 20.20. et Marc 10.35.
[15] Par exemple : Marc 13.11.
[16] Matthieu 11.25.
[17] Matthieu 19.14.
[18] Marc 10.15.
[19] Matthieu 23.1. à 7.
[20] Matthieu 23.23.
[21] Luc 20.46 et 20.47
[22] Dossiers d’archéologie n°279, décembre 2002, janvier 2003, Editions Faton
[23] Marc 3.31. à 35. :
[24] Matthieu 12.46. à 12.50.
[25] Matthieu 22.35. à 39.
[26] Matthieu 5.39. à 5.48.
[27] Matthieu 5.21 et 5.22
[28] Matthieu 26.52.
[29] Voir, entre autres, à ce sujet la « question d’un (jeune homme) riche » en Matthieu 19.16 à 19.22. ou Marc 10.17 à 10.22. ou Luc 18.18 à 18.23. On notera que Jésus stipule bien au riche de vendre ses biens et de les donner aux pauvres, en aucun cas à un clergé ou au Temple...
[30] Matthieu 6.24.
[31] Je n’ai rien contre les 4X4 et leurs propriétaires et il m’est arrivé d’en utiliser quand j’en avais besoin pour rouler en tout-terrain (et encore, s’agissait-il d’un besoin sérieux et ne pourrait-on s’en passer totalement ?). Par contre, le symbole que constitue l’immense flotte des 4X4 qui n’ont été achetés que parce que c’est la mode, pour frimer en un mot, me paraît une excellente image de la vanité de notre société…
[32] Amin Maalouf . Léon l’Africain. Extrait du « prêche d’Astaghfirullah »
[33] « Et aussitôt la lèpre le quitta, et il fut
purifié. Et l’ayant grondé, aussitôt il le chassa. Et il lui dit :
« Attention ! Ne dis rien à personne ; mais va te montrer au
prêtre, et présente pour ta purification ce qu’a prescrit Moïse en témoignage
pour eux. » » Marc 1.42 à 44.
« Et les
esprits, les [esprits] impurs, chaque fois qu’ils le voyaient, tombaient devant
lui et criaient : « C’est toi, le Fils de Dieu ! » Et il
leur enjoignait fortement de ne pas le faire connaître. » Marc 3.11 et 12.
[34] « Et comme Jésus, sortant du Temple, s’en allait, ses disciples s’avancèrent pour lui montrer les bâtiments du Temple. Prenant la parole, il leur dit : « Vous regardez tout cela ? En vérité, je vous le dis : Il ne sera pas laissé ici pierre sur pierre qui ne soit détruite. » Matthieu 24.1. et 2.
[35] A la recherche de Théophile par Richard H. Anderson dans Saint Luc, Evangéliste et Historien, Dossiers d’Archéologie n°279, décembre 2002, janvier 2003, page 66
[36] Actes des Apôtres 9.9.
[37] Epître aux Philippiens 3.5. et aussi, sous la plume du traducteur de la Bible, Emile Osty : « Bien que né à Tarse, en plein paganisme, il a fait ses études supérieures de religion au centre spirituel du monde juif, à Jérusalem. C’est là que, disciple de Gamaliel, un des plus grands rabbins du siècle, Paul a étudié la Bible et les traditions des Pères. C’est là qu’il s’est familiarisé avec ces règles d’exégèse qui ne devaient être codifiées que plus tard, mais qui déjà étaient d’un emploi courant. Paul est ainsi devenu un Juif accompli, un interprète qualifié du Livre saint, à la fois docteur en théologie, en droit, en Ecriture sainte, un parfait rabbin en un mot. » Tout le contraire de la perception d’un petit enfant…
[38] Philémon 23 et 24.
[39] 1. Timothée 1.19 et 1.20.
[40] Matthieu 10.14.
[41] Galates 3.1. Paul fait bien référence à la crucifixion, pas à l’enseignement…
[42] Philippiens 3.15.
[43] Philippiens 3.17.
[44] Philippiens 4.3.
[45] Ephésiens 3.8.
[46] 2.Timothée. 1.15.
[47] Introduction au Nouveau Testament par Emile Osty : « Compagnon de Paul lors de son premier grand voyage apostolique, il (saint Marc) redevint son collaborateur après une brouille passagère. Mais il paraît surtout avoir été dans la mouvance de Pierre… »
[48] Notamment : 1.Timothée, toute cette épître fonde une église, sa hiérarchie, ses modes de fonctionnement, etc. et en particulier tout le chapitre 3. qui définit les « dignités ecclésiastiques » pour reprendre l’expression d’Emile Osty
[49] Matthieu 10.8 à 10.15
[50] Ro.15.26.
[51] 1 Corinthiens 16.1 à 16.4. et 2 Corinthiens, toutes les parties 8. Et 9. Sont consacrées à la collecte… puis Paul ajoute de manière étonnante et ironique d’après E.Osty (en 12.13.) : « Qu’avez vous eu de moins que les autres Eglises, sinon que personnellement je ne vous ai pas grevés ? Pardonnez- moi cette injustice. Voici que, pour la troisième fois, je suis prêt à venir chez vous et je ne vous grèverai pas ;… »
[52] Philippiens 4.15 et 4.16.
[53] 1 Corinthiens 7.1 à 7.9. Un exégète ou un psychologue ne manquerait pas de faire remarquer que Paul déclare ici ne pas avoir de désir pour les femmes et que cela pourrait expliquer tout ce qu’il dit par ailleurs de manière obsessionnelle sur la sexualité… Mais pourquoi en ferais-je autant ? Ce n’est pas mon sujet ! Le problème est de savoir comment on a pu dévier pareillement du Message initial et comment y revenir au mieux. Trouver des explications plus ou moins fumeuses au comportement de tel ou tel n’apporte rien à l’affaire !
[54] 1 Corinthiens 7.25. et en outre, bonjour la modestie et l’humilité !
[55] A comparer à : « Et toi, Capharnaüm, serais-tu élevée jusqu’au Ciel ?... Jusqu’à l’Hadès tu descendras ! Parce que, si les miracles qui ont été faits chez toi avaient été faits à Sodome, elle serait encore là aujourd’hui. Aussi bien je vous dis que, pour le pays de Sodome, ce sera plus supportable, au jour du Jugement, que pour toi. » Matthieu 11.23 et 24.
[56] Romains 1.26 et 1.27., et j’abrège !
[57] Actes 16.3.
[58] 1.Timothée. 2.12 et 2.13.
[59] 1 Timothée. 5.11. à 5.14.
[60] 1 Corinthiens.11.3 à 11.15.
[61] Luc 7.36 à 7.38. Et pourtant, c’est Luc, disciple de Paul, qui rapporte cet épisode. Jean mélange un peu les deux épisodes, onction de Béthanie et pécheresse : « Marie donc, prenant une livre de parfum de vrai nard d’un grand prix, oignit les pieds de Jésus et lui essuya les pieds avec ses cheveux… » (Jean 12.3.)
[62] Par exemple, Matthieu 23.1 à 23.36.
[63] Pour ne citer qu’un exemple, au demeurant ambigu, de la possibilité d’une telle évolution : « Quant à l’amitié fraternelle, vous n’avez pas besoin qu’on vous en écrive ; vous-mêmes en effet avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres, et c’est ce que vous faites envers tous les frères de la Macédoine entière. » Thessaloniciens 4.9 et 4.10. L’amour du prochain est certes prêché mais semble quand même limitée aux « frères » en religion, notion bien plus restrictive du prochain que celle des évangiles… On retrouve le « Aimez-vous les uns les autres » omniprésent dans les églises, mais bien édulcoré vis-à-vis d’aimer son prochain, même si c’est un ennemi, tel qu’on le trouve dans les évangiles.
[64] 1 Corinthiens.13.4 à 13.7.
[65] Luc 1.46 à 1.55.
[66] Luc 1.67 à 1.79.
[67] Luc 2.29 à 2.32.
[68] Matthieu 6.24.
[69] Actes 5.1 à 5.11.
[70] Actes 12.20 à 12.23.
[71] Epître à Tite 3.10. avec le commentaire du traducteur, Emile Osty : « « l’hérétique », première apparition d’un terme qui devait avoir au cours des âges, une trop grande fortune. Le sens fondamental est « homme qui choisit », d’où dérive : « homme de parti », « partisan », « sectaire » ».
[72] A comparer avec l’enseignement de Jésus : « Et lorsque vous priez, vous ne serez pas comme les hypocrites, qui aiment prier debout dans les synagogues et aux coins des places, afin de se faire voir des hommes. En vérité, je vous le dis : ils ont touché leur salaire. Pour toi, lorsque tu pries, entre dans ta resserre, ferme ta porte et prie ton Père qui est [présent] dans ce qui est secret, et ton Père, qui voit dans ce qui est secret, te le rendra. » Matthieu 6.5 à 6.6. Avec Paul, on en est bien loin…
[73] Bruno Etienne, Raphaël Liogier. Etre bouddhiste en France aujourd’hui. Hachette Littéraire. Pluriel. Préface page 28.
[74] « Bible Osty », Introduction à l’évangile selon saint Jean.
[75] Jean 8.7.
[76] Par exemple, Matthieu 20.20 à 20. 23.
[77] Jean 19.26 et Jean 21.20.
[78] Epître de Jacques. 13. à 15.
[79] Première épître de Pierre. 3.9.
[80] Première épître de Pierre. 3.7.
[81] Deuxième épître de Pierre 3.9.
[82] Bible Osty. Introduction à la deuxième épître de saint Pierre
[83] Deuxième épître de Jean. 10.
[84] Bible Osty. Introduction à l’épître de saint Jude.
[85] Jude 3.
[86] Jude 23.
[87] Collection aux frontières du Nouveau Testament. Inventaire des motifs apocryphes en Maurienne et en Tarentaise. Alzieu. Brepols. Livre de l’enfance du Sauveur. En soulignant que cet ouvrage ne correspond nullement à son titre et que celui qui se le procurera comme moi pour avoir une documentation sur les églises de Maurienne et de Tarentaise et leurs décorations restera sur sa faim ! Par contre, il contient des textes des évangiles apocryphes assez difficiles à trouver par ailleurs…
[88] Idem note 87.
[89] Source, notamment, encyclopédie en ligne Wikipédia, article sur Constantin 1er au 11 novembre 2010
[90] Mahatma, life of Mohandas Karamchand Gandhi par D.G.Tendulkar. Traduit et cité dans Gandhi, la voie de la non-violence. Gallimard. Collection Folio 2 euros.
[91] Emmanuel Le Roy Ladurie. Montaillou, village occitan de 1294 à 1324
[92] Anne Brenon, Le vrai visage du Catharisme. Editions Loubatières
[93] Premier bûcher d’un hérésiarque bogomile à Constantinople vers 1100, deux paysans hérétiques brûlés en Soissonnais en 1114, d’autres bûchers d’hérétiques à Toulouse entre 1115 et 1125. Anne Brenon, op. cit.
[94] Les Cathares, ouvrage collectif, collection In situ, éditions MSM 2000
[95] Bernard Gui. Manuel de l’inquisiteur. Les belles lettres. Editions bilingue latin-français. Paris 2007.
[96] Bernard Gui explicitant les croyances des Béguins. Op. cit.
[97] Elle avait été précédée de peu par la création de la première Inquisition en 1231 en territoire germanique. Anne Brenon, le vrai visage du catharisme, op. cit.
[98] Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, op. cit.
[99] Anne Brenon, le vrai visage du catharisme, op. cit.
[100] Bernard Gui. Manuel de l’inquisiteur. Les belles lettres. Editions bilingue latin-français. Paris 2007.
[101] Genèse 3.5. et 3.22.
[102] Luc 21.12 à 21.16, mais on trouve l’équivalent dans les autres évangiles.
[103] Luc 21.8
[104] Matthieu 24.11. et 12.
[105]
Taoïsme. Miroir immortel de la sagesse chinoise. Religions et Histoire n°4.
Septembre-octobre 2005. Le livre de la Voie et de sa vertu de Laozi et ses
différentes interprétations. Catherine
Despeux.
[106] Lao-tseu.
Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre XXVII.
[107] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre XLIX.
[108] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre LXXVII
[109] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre XLII.
[110] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre LXVI.
[111] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre XXXI.
[112] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre LIII.
[113] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre LV.
[114] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre LVII.
[115] Tchouang Tseu. Œuvre complète. Traduction, préface et notes de Liou Kia-hway. Connaissance de l’Orient. Gallimard/UNESCO
[116] Tchouang Tseu. Œuvre complète. Op. cit.
[117] Tchouang Tseu. Œuvre complète. Connaissance de l’Orient. Gallimard/UNESCO. Chapitre XII. Ciel et terre
[118] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre II.
[119] Religions et Histoire n°4 op. cit. Le clergé et les temples taoïstes, un enracinement profond dans la société chinoise par Vincent Goossaert
[120] Religions et Histoire n°4 op. cit. Qu’est-ce que le Tao ? Définition et influence de la Voie dans la Chine antique par Jean Lévi.
[121] Les entretiens de Confucius. Gallimard. Collection Folio deux euros. XIII.18. Et aussi avec une autre traduction encore plus dure : « Le père cache les fautes de son fils, le fils cache les fautes de son père. » dans Doctrine de Confucius ou les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine. Classiques Garnier 1922.
[122] Les entretiens de Confucius. Op. cit. XVIII.7.
[123] Les entretiens de Confucius. Op. cit. XIX.11.
[124] Les entretiens de Confucius. Op. cit. XVII.24.
[125] Les entretiens de Confucius. Op. cit. IV.3.
[126] Les entretiens de Confucius. Op. cit. IX.25.
[127] Les entretiens de Confucius. Op. cit. VI.4.
[128] Les entretiens de Confucius. Op. cit. XV.24.
[129] Les entretiens de Confucius. Op. cit. VI.29.
[130] Les entretiens de Confucius. Op. cit. XV.31.
[131] Les entretiens de Confucius. Op. cit. XIII.10.
[132] Nyanatiloka, Quintessence du Bouddhisme. Conférence faite à la société asiatique de Tokyo. Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve. Nyanatiloka est le premier occidental, allemand d’origine, à être devenu moine bouddhiste au début du vingtième siècle.
[133] Bruno Etienne, Raphaël Liogier. Etre bouddhiste en France aujourd’hui. Hachette littérature, collection Pluriel religion.
[134] Thich Nhat Hanh. Bouddha et Jésus sont des frères. Pocket spiritualité ; deuxième partie, « rentrer chez soi » ; page 45.
[135] La parole du Bouddha. Schéma du Système éthico-philosophique du Bouddha suivant les citations du canon Pâli réunies et expliquées. Nyanatiloka. Traduit par M. La Fuente. Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve.
[136] Par exemple : La leçon du Zen. Face à mon incommensurable stupidité. Soko Morinaga. Le Courrier du Livre.
[137] Bruno Etienne, Raphaël Liogier. Etre bouddhiste en France aujourd’hui. Hachette Littératures. Pluriel. Religion. Qu’est-ce que le bouddhisme ?
[138] Canon bouddhique Pâli (Tipitaka). Texte et traduction par Jules Bloch, Jean Filliozat, Louis Renou. Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve. Tome 1. Fascicule 1. 1989 (je n’ai pas trouvé trace d’autres fascicules ou tomes publiés)
[139] IV. Nyanatiloka. Op.cit. La Noble Vérité du Sentier qui conduit à l’extinction de la Souffrance. 1. Compréhension Juste
[140] Le grand livre de la progression vers l’Eveil, Tsongkhapa, La lampe pour la voie de l’Eveil, stance 5.
[141] Thich Nhat Hanh. Bouddha et Jésus sont des frères. Pocket spiritualité ; quatrième partie, « le corps du Dharma, la corps de la vérité » ; page 115
[142] Thich Nhat Hanh. Bouddha et Jésus sont des frères. Pocket spiritualité ; quatrième partie, « le corps du Dharma, la corps de la vérité » ; page 117
[143] Le grand livre de la progression vers l’Eveil, Tsongkhapa, Editions Dharma, dans l’avant-propos de Yonten Gyatso
[144] Thich Nhat Hanh. Bouddha et Jésus sont des frères. Pocket spiritualité ; sixième partie, « Jésus et Bouddha, deux frères ? » ; page 176
[145] Nyanatiloka, Quintessence du Bouddhisme. Conférence faite à la société asiatique de Tokyo. Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve.
[146] [146] Thich Nhat Hanh. Bouddha et Jésus sont des frères. Pocket spiritualité ; première partie, la naissance de la compréhension.
[147] Juste en « secouant la poussière de ses sandales en partant » si l’on a été mal reçu (Matthieu 1.14. et 10.15.)
[148] Alors Jésus parla aux foules et à ses disciples, en disant : « Les scribes et les Pharisiens se sont assis sur la chaire de Moïse ; tout ce qu’ils vous disent, faites-le donc et gardez-le, mais n’agissez pas selon leurs œuvres ; car ils disent et ne font pas. Ils lient de lourdes charges et les mettent sur les épaules des hommes, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. (Matthieu 23.1 à 23.12.)
[149] Nyanatiloka, Quintessence du Bouddhisme. Conférence faite à la société asiatique de Tokyo. Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve.
[150] Canon bouddhique Pâli (Tipitaka). Le filet de Brahman. Op. cit.
[151] Lao-tseu. Tao-tö king, Gallimard. Collection Folio deux euros, chapitre LIII.